Il tatoue des cochons, fabrique des machines à caca et révèle la beauté dans l’ordinaire. L’artiste belge Wim Delvoye présente, au Mudam, un panorama de ses 25 années de production. Entre séduction et dissonance.
Pour ses dix ans, le Mudam se devait de proposer une exposition à la hauteur de ses prétentions. Avec Wim Delvoye, il s’inscrit même dans une «logique historique évidente» à l’échelle du Luxembourg.
Belge, Wim Delvoye l’est assurément. Son accent, son art singulier, son humour combiné à un sens aigu de la provocation en témoignent. Pourtant, en lui consacrant cette exposition retraçant 25 années de création iconoclaste et extravagante, c’est comme si le Mudam retrouvait un des siens, sorte d’enfant d’adoption. Il a marqué en effet l’ouverture du musée avec sa superbe Chapelle , tandis que ses deux cerfs «amoureux» profitent toujours de l’ombrage du parc.
En 2007, c’est le Casino qui présentait l’ensemble de son ambitieux projet Cloaca , neuf (sur dix) machines à fabriquer des excréments. Plus tôt, en 1994, la galerie Beaumont s’entichait du garçon, tandis que le MNHA, comme la Cour grand-ducale – la Grande-Duchesse Joséphine-Charlotte appréciait son travail – collectionnaient ses créations. Un retour, donc, dans un pays qu’il connaît bien et qui, pour le coup, lui déroule le tapis rouge en le laissant s’étaler sur deux étages, Grand Hall compris. « C’est la plus grande monographie réalisée au Mudam », confie Enrico Lunghi, maître des lieux.
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C’est que Wim Delvoye s’épanouit dans l’espace et la liberté, lui qui est si difficile à étiqueter. Les frontières, très peu pour lui, sauf pour mieux les abolir, s’en amuser. Un briseur de murs, en somme, qui entremêle art et culture populaire, l’ancien et le contemporain, le noble et l’impur, le beau et l’incongru. Le philosophe Michel Onfray aura les mots justes pour définir son travail : « Il pratique l’oxymore » avec des œuvres traversées de contradictions. Des opposés qui s’affrontent pour créer une nouvelle signification, un entre-deux neutre, comme cette ancienne broderie, datant de 1987, estampillée d’un logo carnassier.
Machine végétarienne
Entouré de nombreux spécialistes – de l’ébéniste au scientifique en passant par l’ingénieur – l’artiste multiplie ainsi, depuis de longues années, les pieds de nez, transfigurant l’objet dans le musée et changeant les regards sur son utilité. Avec Wim Delvoye, les mélangeurs de ciment utilisés sur les chantiers, se parent d’attributs baroques, devenant fragiles et délicats. Inutiles, donc. Même sort réservé aux planches à repasser, devenant armoiries, aux tuyaux d’écoulement et aux bonbonnes de gaz. Des détournements qui réenchantent le banal. Un esprit qui n’est pas sans rappeler le surréalisme belge et qui s’observe sur le petit, comme le très grand (une dernière salle, intitulée «Monuments», s’attache aux productions XXL).
Outre ses dessins d’enfance, réalisés entre 3 et 5 ans, et l’un de ses derniers travaux – des fusils construits avec des objets de récupération, et qui fonctionnent… à la pomme de terre! – l’ensemble des œuvres présentées balance entre ses deux obsessions : le corps et la religion, dualisme (encore) platonicien par excellence. Rappelons, d’abord, qu’avec sa Chapelle , le radiologue devient un artiste qui saisit le noir et blanc sur des vitraux. Le cochon, souvent diabolisé, prend subitement une plus-value, affublé d’imposants tatouages. Même Jésus se tord sur sa croix, fondant comme une bougie au soleil sous les mains de l’artiste qui, grâce aux outils technologiques, réinterprète les formes académiques du passé.
Restent, évidemment, ses machines à caca, paroxysme de l’artificiel, « un truc difficile à faire, cher, et qui ne mène à rien », confiait-il. La plus imposante, avec sa signature à la Superman, devra attendre le 13 novembre pour recevoir son premier repas – Léa Linster va-t-elle, à nouveau, la combler? Que le public se rassure : une plus petite, faite de superpositions de machines à laver, sera, elle, alimenter deux fois par jour, suivant toutefois un menu rigoureux : « Elle est végétarienne », explique Enrico Lunghi. Contemporain jusqu’au bout des ongles, ce Mudam!
Grégory Cimatti
Wim Delvoye. Mudam – Luxembourg. Jusqu’au 8 janvier 2017.