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LuxLeaks : l’administration validait sans contrôle, selon une étude américaine


Selon l'étude, PwC et l'administration fiscale luxembourgeoise travaillaient avec beaucoup d'efficacité. (photo archives LQ)

Une étude américaine pointe le rôle de l’administration fiscale luxembourgeoise dans l’établissement des rescrits fiscaux, grâce à l’analyse des données du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ).

Omri Marian, professeur assistant en droit à l’université de California (Irvine School of Law) a utilisé une modélisation mathématique pour analyser certains documents disponibles.

Le collectif Tax Justice Luxembourg, qui soutient les lanceurs d’alerte Raphaël Halet et Antoine Deltour mais aussi le journaliste Édouard Perrin, à l’origine des révélations de l’affaire LuxLeaks, a partagé vendredi le contenu de cette étude pour laquelle Omri Marian a pris au hasard 172 rulings de la banque de données LuxLeaks mise en ligne par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) pour les encoder et les analyser.

Comme le précise Mike Mathias, porte-parole de Tax Justice Luxembourg, «l’étude ne peut porter que sur les informations récoltées dans ce contexte, c’est-à-dire des rulings établis par PricewaterhouseCoopers et sans connaître la véritable envergure des rulings établis par PwC ou d’autres firmes. En outre, les rulings ne couvrent que la période entre 2003 et 2010.»

Ces données sont néanmoins suffisantes à l’analyse du processus qui menait aux fameux rescrits fiscaux si avantageux pour les multinationales comme Amazon, IKEA ou encore Apple.

L’analyse de la forme juridique des sociétés clientes de PwC montre que 60 % des entités qui ont demandé une décision anticipée sont des sociétés privées dont les parts ne sont pas négociées publiquement et que moins de 40 % sont des sociétés privées dont les actions sont négociées en public.

40 % des rulings validés le jour-même

Sur les 172 demandeurs analysés, 36 % avaient leur siège social aux États-Unis et 26 % au Royaume-Uni. En troisième position vient l’Allemagne avec 5 %. Selon Omri Marian, cette prédominance des sociétés américaines et britanniques s’expliquerait par leur cadre légal favorable à l’établissement de rulings au Luxembourg. Il suffirait, selon le chercheur, que les textes nationaux soient adaptés pour empêcher la pratique des rulings en lien avec le Grand-Duché.

Sur la procédure administrative, Omri Marian démontre que Marius Kohl, le chef du bureau 6 chargé de l’imposition des sociétés financières et des multinationales, a signé à lui seul les rulings, et ce pendant plusieurs décennies. Du côté de PwC, toujours selon le chercheur, les cinq agents les plus actifs auraient été à l’origine de 30 % des accords.

Quarante pour cent des rulings auraient été acceptés le jour même de leur dépôt final alors qu’il s’agissait souvent de documents de plusieurs dizaines de pages. «Les ruling énumèrent souvent les antécédents des discussions et tous les rulings ne sont pas acceptés le jour du dépôt. 11,22 % des rulings semblent avoir été acceptés le jour même de leur première soumission», note Mike Mathias non sans surprise.

Il continue en relevant que les rulings n’ont pas été publiés et la plus grande partie du processus de négociation (85 %) est restée dans l’informel. Qu’ils ont été négociés pendant une longue période par les mêmes personnes, et que, du côté de l’administration, une seule personne était fondée du pouvoir de signature, ce qui a pour conséquence que le point de vue de l’administration n’a pas été documenté du tout dans la documentation du ruling.

«Tout cela constitue une très mauvaise pratique administrative, est contraire aux directives européennes qui demandent l’échange d’information et est contraire au sens même de l’idée des décisions anticipées», regrette Mike Mathias qui insiste sur le fait que «la pratique des rulings était créée, soutenue et tolérée par l’administration fiscale luxembourgeoise.»

Selon l’auteur de l’étude, «cette offre en termes d’optimisation fiscale n’a pas été faite pour attirer de l’investissement au Luxembourg : il s’agit d’une rente pour un service au détriment des autres pays concernés».

En d’autres termes, la mise en place de ce dumping fiscal aurait été délibéré. Mais qui en doute encore?

Le Quotidien