C’est un pavé magnifique de 700 pages qu’offrent Denis Robert et Laurent Astier avec l’intégrale de « L’Affaire des affaires », l’histoire vraie des affaires Clearstream.
« L’Affaire des affaires », un bel objet, épais comme une brique, sombre comme les secrets cachés de la finance. (Illustrations : DR)
> L’intégrale de L’Affaire des affaires est sortie le 23 janvier, le film tiré de cette BD, L’Enquête, est sorti mercredi en salle. En ce qui vous concerne, cette double sortie sonne-t-elle le glas des affaires Clearstream ?
Denis Robert : Non, non, pas du tout. La bonne nouvelle, par rapport à la BD, c’est qu’elle est déjà épuisée un peu partout en France et qu’elle est réimprimée. C’est très bien. Mais cela ne sonne le glas de rien du tout. Pour moi, la date la plus importante a été le 3 février 2011, quand la Cour de cassation a rendu son jugement et déclaré que mon enquête était sérieuse, de bonne foi et servait l’intérêt général. Tous mes détracteurs n’ont, depuis, plus qu’une seule solution : se taire, à commencer par Clearstream. Après, je suis content de cette sortie, de ce film, parce que cela permet de reparler de tout cela; mais je m’intéresse toujours autant à l’actualité et aux affaires.
> La BD était déjà sortie en quatre tomes…
Oui, mais la forme qu’elle a aujourd’hui, c’est-à-dire une intégrale de 700 pages, c’était, pour moi, la forme de départ. Parce que là on entre vraiment dans un roman graphique, dans un travail important, titanesque.
> C’est en plus un très bel objet et on n’a pas à attendre la suite.
Voilà. Je suis grand consommateur de BD, et, en tant que lecteur, j’en ai marre des BD à suite. Les gens en veulent pour leur argent. Et là, ils en ont vraiment pour leur argent.
> Parlons du film, cela vous a fait quoi de revoir votre histoire au ciné ?
J’ai vraiment accusé le coup et il m’a fallu un moment pour m’en remettre, même si j’ai collaboré au scénario. J’étais très ému, car cela m’a replongé dans une ambiance et dans des états particuliers. Tout a été très long et très compliqué à vivre, pour moi et pour mon entourage. Surtout quand est arrivée la deuxième affaire avec Lahoud et compagnie ; parce que Clearstream et les ennuis que j’avais au Luxembourg, c’était surmontable, d’autant que j’étais en train de gagner tous mes procès.
Mais quand éclate cette tragicomédie entre Villepin et Sarkozy, je suis ballotté sans rien comprendre à ce qui se passe. Et on se rend compte, en lisant la BD, que les institutions françaises – magistrature, police, services secrets, et puis aussi la presse – ont toutes été instrumentalisées et ont servi les intérêts et les ambitions de deux candidats à la présidentielle. L’un devait tuer l’autre. Rien d’autre ne comptait. C’est là que l’on voit que le monde politique est vraiment particulier. Ce sont des animaux à sang froid capables de dire blanc et penser noir. Et là, ils pensaient tous très noir !
> L’affaire Clearstream 2 a finalement pris le dessus sur l’affaire d’origine, comme le montrent le livre et le film. Mais finalement, le milieu des affaires et de la haute finance a-t-il changé depuis vos révélations ?
Non, il n’a pas changé. Et vous avez raison, l’affaire Clearstream 2 a complètement occulté la première affaire. J’ai été vraiment victime de la seconde.
> Et la première, il n’y a pas moyen de la continuer alors ?
Si, je suis actuellement à Bruxelles (NDLR : l’interview a été réalisée vendredi 6 février par téléphone) où je suis sollicité par beaucoup d’hommes politiques. Je reprends donc mon bâton… Mais bon, un bâton beaucoup plus léger qu’il ne l’était il y a quelques années. Avant, j’étais dans le combat, aujourd’hui, je suis juste dans l’envie de terminer une histoire. Parce que, puisque le tribunal a dit que ce que j’avais écrit était vrai, cela veut dire qu’au cœur du Luxembourg, cette société qui s’appelle Clearstream continue à dissimuler des transactions, à héberger des comptes mafieux, etc. Je peux donc proférer ces accusations sans aucunement être poursuivi… Bien que cette société continue à faire du business.
> Parce que rien n’a changé depuis vos livres ?
En tout cas, Clearstream n’a jamais communiqué sur un quelconque changement. J’aimerais bien qu’ils changent leurs méthodes, qu’ils ferment certains comptes et qu’ils communiquent là-dessus. Mais ils ne l’ont jamais fait.
> Au Luxembourg, on vous a beaucoup critiqué à l’époque de vos révélations. Quelle est désormais votre relation avec le Grand-Duché. Le gouvernement a changé, on a promis la fin du secret bancaire, etc. Pour vous, ce sont des avancées ou de la poudre aux yeux ?
Je ne sais pas. J’ai beaucoup d’amis au Luxembourg et ils le restent. Je connais bien aussi votre système politique, vos journaux et je sais bien ce qui a été écrit sur moi. Je sais aussi ce qui a été écrit après l’affaire LuxLeaks, par exemple, et je trouve cela incroyable. Et c’est même stupide pour vous que la justice luxembourgeoise se prête au jeu de PriceWaterhouseCoopers et mette en examen ce jeune homme de 28 ans qui n’a fait que son devoir de citoyen en sortant ces informations. Je comprends que les Luxembourgeois veuillent défendre un certain confort de vie, mais vous ne pouvez pas continuer à vous arcbouter sur des règles dépassées.
> Au début du livre, vous dites que si vous aviez su tout ce qui allait vous tomber dessus, vous n’y seriez pas allé, mais à la fin vous dites aussi ne rien regretter. On se dit que la vérité est un peu entre les deux.
C’est vrai. Mais je n’avais pas de boule de cristal à l’époque. Si j’avais pu voir tout ce qui allait m’arriver, je n’y serais pas allé, parce que c’était très lourd, très long. J’avais prévu de courir un marathon, j’en ai couru cent. On a vraiment sorti l’artillerie lourde pour m’abattre ; ils n’y sont pas parvenus, mais cela a été très compliqué. J’ai perdu de l’argent et plein de temps, avec mes enfants surtout, ce qui ne se rattrape pas.
Mais en même temps, je suis très fier d’avoir résisté, d’être allé au bout et de voir aujourd’hui exister ce livre et ce film qui rappellent cette histoire. Vu le contexte, avec la crise des subprimes et les bouleversements de la planète financière, sans doute que ce que j’ai écrit il y a près de 15 ans est beaucoup plus audible par le grand public aujourd’hui. Peut-être enfin, les choses vont-elles bouger.
> Un dernier mot sur le médium BD : pourquoi avoir fait ce choix pour L’Affaire des affaires ?
Je prends du plaisir à faire de la BD, mais là, en plus, il y avait vraiment un sens. Je n’avais absolument pas envie d’écrire un livre ou de faire un film là-dessus. Et la BD, c’est très intéressant, car cela implique un gros effort de simplification et de pédagogie, mais aussi, de narration. On crée le suspense, un peu comme dans un film, sans avoir toute la machinerie de la production ciné derrière. Il faut quand même, à travers des séquences en images, des dialogues, des ellipses, etc., faire comprendre au public une histoire complexe. C’est passionnant à construire, et puis, cela permet de toucher un public plus vaste qu’un essai.
Entretien avec notre journaliste Pablo Chimienti