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TABA, un premier pas pour se reconstruire


Claudia Allar. (Photos : fabrizio pizzolante)

Créé en 2016, TABA récupère, trie et répare des jouets puis les met à la disposition des familles dans son magasin. Un exemple d’économie circulaire? Pas seulement.

L’atelier du père Noël doit forcément ressembler au local de TABA : des jouets entassés du sol au plafond, des établis pour les réparer et des livres pour enfants alignés sur des étagères par centaines.

Parmi les multitudes de caisses colorées accueillant puzzles, figurines ou jeux, tous en attente d’être triés, s’affairent plusieurs personnes. Pas des lutins, non bien sûr… mais c’est pourtant un petit miracle qui se déroule au 34, rue Josy-Welter à Walferdange, cinq jours par semaine.

Acronyme de «TAgesstrukturierendes BeschäftigungsAngebot» («offre d’emploi structurant le quotidien» en français), TABA est une offre de travail à bas seuil. Autrement dit, cette structure propose à des usagers de drogue un travail sans conditions strictes.

Lorsqu’on consomme des drogues illicites dans la rue, on n’a plus de rythme, parfois on n’a même plus le repère des jours et des heures, explique Claudia Allar, chargée de direction du Comité national de défense sociale (CNDS), association dont font partie TABA, l’Abrigado ou encore Marga.

L’objectif de cette structure encadrée par une équipe de six professionnels de santé et de l’action sociale, c’est de proposer un travail, mais également une structuration de la journée aux personnes qui sont en cours de stabilisation. Avec, en bonus, l’intégration à un réseau social dans une atmosphère d’acceptation.

Ouvert cinq jours sur sept

Concrètement, TABA ouvre ses portes dès 8 h. Autour d’une table, les «clients», comme on les appelle ici, commencent leur journée par un café, parfois un croissant, et un tour de table informel : comment chacun va et surtout ce que chacun se sent capable de faire ce jour-là.

Chacun choisit ensuite de trier les puzzles, vérifier les jeux électroniques, ranger les caisses de dons ou préparer les rayons. La matinée se poursuit jusqu’à 11 h, 11 h 30 avant que ceux qui le souhaitent préparent le déjeuner. Le repas sera pris en commun. Cela fait partie du dispositif autant que les étagères de jouets, l’idée étant toujours de créer du lien.

L’après-midi, le travail reprend jusqu’à 15 h. Mais rien n’est obligatoire : certains ne restent qu’un bref instant, d’autres y passent la journée entière. «On accepte les gens s’ils restent une heure, deux heures, trois heures», insiste Claudia Allar.

Ainsi, des personnes encore fragiles peuvent tester leurs limites sans risquer de perdre leur place à la première incartade. Et ça marche : ils sont nombreux à prévenir quand ils sont malades, à s’excuser de ne pas pouvoir venir. Ils se sentent de nouveau responsables de quelque chose.

En moyenne, entre six et huit personnes passent ainsi chaque jour par le local de Walferdange. Certaines sont âgées, usées par des années de vie dans la rue, parfois marquées par la violence de la scène ouverte. Pour elles, TABA représente un espace à l’écart, au chaud, où l’on peut travailler et souffler.

Un petit coin du local est même réservé à l’acupuncture NADA (National Acupuncture Detoxification Association), pratiquée par des collaborateurs formés. Quelques minutes de musique au casque, cinq aiguilles dans l’oreille : de quoi, parfois, «survivre» à l’envie urgente d’aller consommer à l’Abrigado.

Un magasin de jouets ouvert aux familles

Si TABA est d’abord une offre de travail à bas seuil, c’est aussi une boutique de jouets et de livres ouverte au public. Deux fois par semaine, les mardis et les jeudis, les familles peuvent venir déposer ce dont leurs enfants n’ont plus besoin et repartir avec d’autres trésors. «On a chaque mois beaucoup de nouvelles familles, de toute la société», souligne Claudia Allar. Une activité loin d’être anecdotique puisque TABA remet chaque mois plus de 600 jouets ou livres à des enfants.

Les bénévoles – un petit réseau d’une dizaine de personnes qui se relaient, notamment le jeudi – accompagnent les familles, montrent, recadrent gentiment si un petit souhaite tout emporter. «Tu donnes un petit jouet, tu ne peux pas prendre un trop gros», résume la directrice, qui y voit aussi une forme d’éducation.

Une première marche vers d’autres formes de travail

Pour le CNDS, TABA n’est pas une fin en soi, mais une première marche dans un dispositif plus large. Le centre s’inscrit dans un réseau d’offres de travail à bas et haut seuil, des ateliers vélo aux projets de nature-travail en passant par Nei Aarbecht ou d’autres structures dans le nord du pays. L’idée est de proposer de pouvoir passer de la salle de consommation de l’Abrigado à un atelier comme TABA, puis, pour certains, d’aller vers un emploi plus classique.

La directrice évoque ainsi une personne restée des années «devant l’Abrigado», hébergée à l’asile de nuit, qui a commencé par venir travailler à TABA plusieurs jours par semaine.

Petit à petit, le dossier administratif est remis en ordre, la santé se stabilise, le rythme aussi. Après une phase de transition, en lien avec les assistants sociaux des deux lieux, cette personne a pu rejoindre Nei Aarbecht et signer un contrat de travail. «Ce n’est pas tout le monde, mais ceux qui en sont capables et qui le veulent doivent avoir des perspectives», insiste Claudia Allar.

À l’inverse, TABA assume aussi les retours en arrière, les week-ends difficiles, les rechutes. Chaque lundi, l’équipe remarque que les deux jours de fermeture ont laissé des traces.

La consommation a été plus forte, l’isolement s’est accru, le découragement est perceptible. Là encore, l’enjeu n’est pas de sanctionner, mais de «raccrocher» : un coup de fil, une proposition de venir «ne serait-ce que pour un café, une heure ou deux». Il n’y a pas de bons et mauvais usagers, martèle Claudia Allar.

Manque de place et regard de la société

Toutefois, derrière l’image chaleureuse d’atelier du père Noël, les limites sont bien réelles. Le local est sur le point d’exploser sous les jouets, le dépôt déborde, et certaines habitudes des donateurs compliquent la tâche. Quand des sacs sont abandonnés devant la porte en dehors des heures d’ouverture, la pluie et l’humidité rendent parfois les jouets inutilisables. «C’est triste de devoir jeter des choses», soupire la responsable.

Financièrement, le projet repose sur une convention avec le ministère de la Santé. Mais pour la suite, la directrice voit plus grand. Elle aimerait trouver, un jour, un local plus spacieux et développer d’autres «petits TABA» ailleurs dans le pays. Des discussions sont d’ailleurs en cours.

Reste enfin la question du regard porté sur l’addiction. Claudia Allar rappelle que la dépendance «peut arriver à chacun», dans une phase de vie difficile, à des personnes plus vulnérables ou moins entourées.

Elle plaide pour moins de jugement moral et plus de solutions concrètes. Entre les étagères de Playmobil et les puzzles recomposés, la phrase qu’elle aime répéter résume bien le sens de TABA : «Un être humain a besoin de faire quelque chose et de se sentir nécessaire.»

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