Alors que le Parlement européen vient de tirer les conséquences de l’affaire LuxLeaks, en adoptant une série de recommandations pour freiner l’évitement fiscal des multinationales, ces dernières semblent déjà sauvées : leurs fidèles complices, à savoir le « Big Four » des cabinets d’audit, préparent la parade.
Le cabinet PricewaterhouseCoopers (PwC) publie en effet ce jeudi le « vade-mecum des prix de transfert 2015-2016 », qui présente les outils pour « montrer patte blanche en cas de vérification des autorités fiscales », au lendemain de l’adoption d’une résolution volontariste par le Parlement européen. La coïncidence est plutôt savoureuse.
Pour les non-initiés, les « prix de transfert » sont les règles qui encadrent les transactions financières au sein d’une même entreprise (donc les transferts de bénéfices là où la fiscalité est la plus avantageuse) : pour toute multinationale qui se respecte (c’est-à-dire qui souhaite payer le moins d’impôts possible), les prix de transfert sont donc « un enjeu incontournable ». C’est d’ailleurs le titre du communiqué de PwC Luxembourg faisant la promotion de son ouvrage. « Les prix de transfert sont devenus le cheval de bataille des autorités fiscales du monde entier », rappelle le cabinet d’audit, largement épinglé pour avoir finement cousu les accords fiscaux incriminés dans l’affaire LuxLeaks.
En avril dernier, le lanceur d’alerte Antoine Deltour, ex-employé de PwC Luxembourg à l’origine des révélations de LuxLeaks, notait à ce sujet que Marius Kohl lui-même (l’ancien responsable des rescrits fiscaux à l’Administration des contributions du Luxembourg) avait avoué n’avoir « aucun moyen de vérifier la bonne application des règles des prix de transfert ».
Dans son rapport final adopté mercredi, la commission TAXE du Parlement européen, née à la suite de l’affaire LuxLeaks, s’en prend justement à ces prix de transfert, estimant qu’ils devraient être mieux encadrés et davantage coordonnés à l’échelle européenne, « pour mettre un terme aux régimes préférentiels » et faire en sorte que les impôts soient bien payés là où les bénéfices sont réalisés. C’est aussi l’un des chevaux de bataille de l’OCDE, dans le cadre de son plan de lutte contre l’érosion de la base fiscale des entreprises (BEPS).
« Des mesures pour montrer patte blanche en cas de vérification des autorités fiscales »
Pour le cabinet PwC, il s’agit bien d’aider les multinationales à s’adapter à ces « nouvelles exigences », qu’il qualifie de « tournant majeur au cours des douze derniers mois ». La fête serait-elle terminée ? Impossible d’échapper à l’impôt ? Bien sûr que si, laisse entendre le cabinet dans son communiqué. Selon lui, le plan BEPS impose simplement aux multinationales de « réévaluer et reconsidérer leurs stratégies de prix de transfert à la lumière des nouvelles orientations proposées ».
« Chaque entreprise devrait avoir une stratégie de prix de transfert en place (…). La mise en place de mesures ad hoc permet de maintenir un taux d’imposition compétitif et pérenne et de montrer patte blanche en cas de vérification des autorités fiscales», note Loek De Preter, associé et responsable du département Prix de Transfert chez PwC Luxembourg, cité dans le communiqué.
PwC Luxembourg juge que son précédent guide sur les prix de transfert est « périmé ». C’est plutôt une bonne nouvelle : cela signifie que les mesures annoncées au niveau de l’OCDE bousculent en effet les règles du jeu. Mais sans vouloir tomber dans le pessimisme, le message qu’adresse PwC Luxembourg aux entreprises est limpide : on vous attaque parce que vous ne payez pas d’impôts, mais faites nous confiance, on vous a déjà trouvé des solutions. Dans cette bataille à venir, dans laquelle son adversaire (les États) peine à s’organiser en coalition, le Big Four détient une (bonne) longueur d’avance.
Le Quotidien / S.A.