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[Série] « Marginal », aux origines de la brigade criminelle luxembourgeoise


Jules Werner incarne le juge Henrotin, fin limier qui a autant à cœur de «rester humain (que de) défendre la loi». (photo Samsa Film/Lisa Folschette)

Signée du trio derrière Läif a Séil, la série Marginal, diffusée actuellement sur RTL, plonge dans le passé sombre du Luxembourg et les débuts de sa justice criminelle, à travers les (vraies) enquêtes d’un (faux) juge d’instruction.

À bien y regarder, les séries luxembourgeoises ont le vent en poupe en ce début d’année. Le LuxFilmFest, qui donnera demain son coup d’envoi, consacrera le format, dimanche, lors d’une soirée qui amènera en avant-première et sur grand écran trois nouvelles séries produites ou coproduites au Grand-Duché, et dont la diffusion est attendue courant 2025.

Mais pour le moment, c’est sur RTL que se dévoile Marginal, série d’anthologie à plus d’un titre. D’abord par le format – chacun des quatre épisodes raconte une nouvelle enquête –, ensuite par son ampleur, en se plaçant à la croisée du «true crime» et de la série policière en costumes.

Moins de deux ans après le western Läif a Séil, le duo Frédéric Zeimet et Loïc Tanson voit encore plus grand avec cette collection de faits divers à l’aube du XXe siècle qui vise, en profondeur, à raconter «la naissance et les premières remises en question de la première vraie brigade criminelle» luxembourgeoise.

Au départ, raconte Frédéric Zeimet, créateur et scénariste, il y a «la lecture d’un article du Dr Nina Janz qui se penchait sur la cour d’assises luxembourgeoise et ses particularités». La chercheuse à l’université de Luxembourg y parle de l’«affaire Jean Pommerelle» : un corps décapité découvert dans le quartier du Grund, sous le pont Adolphe, en 1906, et son mystère jamais résolu. «Et il y avait une phrase dans son article qui disait que plein d’autres affaires restaient encore à découvrir. C’est ça qui m’a mis la puce à l’oreille.»

Avec l’appel à projets du Film Fund et RTL, Frédéric Zeimet touche un mot de son projet à Claude Waringo et soumettent un dossier. Le cofondateur de Samsa Film retourne produire Läif a Séil; le scénariste, lui, file sans attendre aux Archives nationales et poursuit les recherches sur Jean Pommerelle. Une fois l’aide obtenue, il développe la série en parallèle du tournage et du montage de Läif a Séil et, «à peine le film fini, Fred et Claude m’ont très gentiment offert la réalisation de ce nouveau projet», rembobine Loïc Tanson.

Noir et blanc pour mœurs ambiguës

Au centre de la série, le juge Albert Henrotin, interprété par Jules Werner. Un personnage fictif mais basé sur des personnes ayant bien existé, et dont le parcours entre 1902 et 1910 reflète l’évolution de la justice luxembourgeoise. «Au début du XXe siècle, le tribunal se transforme et les juges d’instruction ne restent pas longtemps en place, ils évoluent vite et se transforment souvent en figures politiques», explique Frédéric Zeimet, qui souhaitait s’«émanciper» de leur poids historique.

Les sujets évoqués sont d’une importance très actuelle

Henrotin, dont on suit aussi l’évolution de la relation avec le jeune brigadier Clemens (Timo Wagner) et celle pleine de non-dits qui le lie à Schultz (Marie Jung), incarne plutôt la «matière humaine» avec laquelle le scénariste souhaitait travailler. «Derrière ces faits divers, il y a toujours des trajectoires et des destins assez compliqués», résume le créateur de ce fin limier qui a autant à cœur de «rester humain (que de) défendre la loi».

Le titre de la série se fait ainsi l’écho de l’idée «de ne pas trouver sa place, d’être en eaux troubles», analyse Loïc Tanson. Bien que loin dans le temps, «les sujets évoqués sont d’une importance très actuelle». L’usage du noir et blanc, qui renvoie d’ailleurs à l’âge d’or du film noir et à des séries policières d’un autre temps (de Maigret à Alfred Hitchcock Presents), veut traduire aussi l’ambiguïté de la justice, des criminels et des mœurs du pays à une époque où la magistrature vient de se professionnaliser.

Pour le réalisateur, c’est d’abord un choix artistique qu’il a défendu bec et ongles, au-delà des «codes de ce qui se fait aujourd’hui à la télévision». «Le noir et blanc est ensuite devenu une nécessité de production», car il a permis de «dissimuler plus facilement», grâce à des effets visuels, des décors réels qui, en plus d’un siècle, ont bien changé. À

l’instar de la gare de Luxembourg, qui a subi à partir de 1907 de grands travaux de rénovation et d’agrandissement pour devenir le bâtiment que l’on connaît aujourd’hui. Les spectateurs pourront admirer ce décor dans le troisième épisode, dédié à l’affaire Pommerelle et diffusé mardi prochain.

Pour deux soirs au cinéma

Si, à l’instar de cette dernière, les histoires judiciaires relatées dans Marginal n’ont pas toujours été élucidées, les scénarios, écrits en collaboration avec Katia Lanero et Jonathan Becker, se basent sur une documentation d’époque «très précise». «On a des comptes rendus, des témoignages directs, des interrogatoires, des descriptions, des dessins, des rapports de médecins légistes…», énumère Frédéric Zeimet, qui n’a pas hésité à s’en servir, parfois même directement – dans un échange de dialogues par exemple –, pour étoffer le réalisme et l’exactitude historique.

Le scénariste a en outre fait appel, pour la consultation historique, à Jérôme Quiqueret, plume culturelle du Tageblatt et auteur du livre Tout devait disparaître (prix Servais 2023), qui retrace l’enquête sur un double meurtre au début du XXe siècle à Esch-sur-Alzette. «Dans son livre, il y a un brigadier qui, parce que la violence de ce que vivaient au quotidien ces gens spécialisés dans le crime était très dure à supporter, a quitté la brigade. Cette bribe d’histoire m’a beaucoup raconté de la façon dont on peut vivre ces tragédies humaines, et comment on peut les traiter», avoue Frédéric Zeimet.

Dans le même ordre d’idées, il observe que la période choisie a prouvé, avec l’affaire Pommerelle notamment, l’énorme intérêt que portaient les journaux et les Luxembourgeois pour ces «faits divers qui sont devenus des faits de société» – on le voit dans la série, avec un tribunal qui, au fil des ans et du retentissement des affaires, se remplit jusqu’à craquer.

À la suite de la diffusion du quatrième et dernier épisode, le 18 mars, toute la première saison sera disponible sur la plateforme RTL Play. Mais Loïc Tanson a plus d’un tour dans sa manche : les 14 et 16 mars déjà, il accompagnera la projection d’une intégrale de la série sur grand écran, d’abord au cinéma Scala de Diekirch puis au Kinoler à Garnich.

Se disant «très heureux» des retours qu’il a déjà reçus après le premier épisode, il a, au vu de la haute tenue de cette première livraison, de quoi se montrer confiant : Marginal est une très belle réussite. Il en attribue le mérite à «une équipe qui se connaît bien» et qui a puisé sa force tant dans «ses grandes qualités et singularités» que dans sa proximité, pour donner vie à «des personnages qui font plaisir tant à interpréter qu’à mettre en scène». Aux côtés de Jules Werner, aussi imposant que subtil, et d’un Timo Werner très touchant, citons Marie Jung, André Jung et les apparitions notables de Luc Schiltz et Jeanne Werner – «époustouflante» dans sa seule scène, note le réalisateur.

Quant à Frédéric Zeimet, «quand il a une idée dans la tête, il va jusqu’au bout», assure Loïc Tanson. Le scénariste, qui s’est initialement penché sur «20 affaires» en travaillant à cette première saison, confesse qu’«il y en a beaucoup, dont plusieurs cas d’infanticides qui m’ont beaucoup touché, pour lesquelles ça a été dur d’abandonner l’idée» – autre preuve que ces histoires ne demandent qu’à être racontées.

Mais il a déjà bien au chaud dans son tiroir le script de la saison 2, qui traversera toute la décennie 1910, «jusqu’à la dernière année de la Première Guerre mondiale». Alors que la brigade criminelle est déjà établie, ces quatre prochains épisodes poseront un autre point de vue sur l’histoire judiciaire du Luxembourg : celui des «changements amenés par des occupations non voulues mais acceptées, dans un pays neutre mais qui ne l’est pas vraiment». Et l’odeur du passé revient hanter le présent. Ou l’inverse.