Avant les attaques kamikazes du Stade de France, il y avait eu par exemple les attentats du marathon de Boston (2013). Qu’en pensent les professionnels luxembourgeois ?
Mandy Minella (Tennis)
«Depuis ma chambre, j’entendais les bombardements»
«Je suis complètement sous le choc de ce qui s’est passé à Paris. J’y ai vécu pendant dix ans. J’étais à Limoges, à 300 km. C’est l’horreur. Et pourtant, j’y vais demain (aujourd’hui) pour y disputer un match par équipe avec le TCP. La sécurité déployée y est énorme maintenant. Il ne faut pas s’arrêter de vivre. Néanmoins, j’essaie vraiment d’éviter les endroits où la situation est critique même si on voit bien qu’il peut arriver n’importe quoi, n’importe où, même à Esch-sur-Alzette.
Mon déplacement le plus difficile, c’était en 2008, quand je suis allée disputer un tournoi au Liban. La guerre civile a éclaté en plein tournoi, à Beyrouth. On l’a appris assez vite. Mes parents m’écrivaient. Monsieur Krecké (ancien ministre des Sports) et monsieur Asselborn (ministres des Affaires étrangères et européennes) leur demandaient de mes nouvelles. Ils voulaient s’assurer que j’étais en sécurité. J’étais seule, sans coach. Les frontières avaient été fermées par le Hezbollah. C’était la panique car on ne pouvait pas sortir du pays. J’étais éliminée, mais je suis restée bloquée quatre jours sur place.
Depuis ma chambre d’hôtel, j’entendais les bombardements. Les tanks passaient dans la rue. Personne ne sortait. Le site du tournoi était un peu plus loin, au bord de la mer, dans un endroit isolé, calme. En fait, on ne savait pas exactement ce qu’il se passait, on était relativement protégés. Mais on ne sait jamais quelle ampleur ça peut prendre. Ça aurait pu durer des jours, des semaines, des mois. On nous disait de rester là où on était. Les frontières syriennes étaient fermées, impossible d’aller à Damas. L’aéroport de Beyrouth était fermé aussi. Et puis on a trouvé un moyen de partir en bateau, direction Chypre et Limassol. On était dix filles, soit la capacité maximum du bateau. On a payé le trajet 3 500 euros.
En y repensant aujourd’hui, je me dis que c’était vachement risqué d’autant que c’était une initiative privée. Le trajet n’était pas forcément très agréable, il y avait beaucoup de stress. Ça a duré cinq heures en pleine mer. Parfois on rigolait, parfois le ton montait. Chacun avait son plan dans la tête. Ça partait parfois dans tous les sens. Quand on est dans une telle situation, on ne se comporte pas toujours normalement. En plus, j’étais malade. Je pense qu’on a eu de la chance. Quelques années plus tard (en 2012), j’ai décidé de ne pas aller en Israël pour disputer un match de Fed Cup. Avec ce qu’il se passait à côté, en Égypte…
Plus on vieillit, plus on a peur. Quand on est jeune, on ne voit pas les choses de la même façon. Le mois dernier, je ne suis pas allée à Tianjin, en Chine, alors que plein de filles y sont allées. Mais il y avait eu une grosse explosion au port de Tianjin quelques semaines auparavant.»
Laurent Didier (Cyclisme)
«Nous ne sommes pas à l’abri comme dans un stade»
«Cette saison, j’ai beaucoup voyagé, d’ailleurs, cela m’a amusé de me trouver souvent dans les mêmes lieux que Gilles Muller. Par exemple, que ce soit en Australie où j’ai pu aller le voir jouer à Melbourne, ou plus tard, à Tokyo. Moi, dans mes déplacements, et j’en ai fait beaucoup cette saison, je n’ai jamais été confronté à une situation tendue dans un aéroport.
Mais je rappelle quand même que cette année, le Grand Prix de Francfort a été annulé, puisque la veille, un attentat avait été déjoué. Ce n’est pas rien. Sinon, je dois aussi avouer que je n’ai jamais connu le moindre stress en course. L’avantage des sports collectifs, c’est qu’ils se disputent dans une enceinte fermée et on l’a vu vendredi avec le Stade de France, on reste quand même en sécurité lorsqu’on est à l’intérieur. En cyclisme, on serait plutôt vulnérable puisqu’on évolue à découvert sur des kilomètres et des kilomètres.
C’est plus dur à sécuriser même si j’ai été surpris de voir que sur Paris-Nice, où je me suis rendu cette année en simple spectateur, les effectifs de police étaient vraiment impressionnants trois heures déjà avant le passage de la course. Nous étions en mars et les attentats de Charlie Hebdo, juste derrière nous. Mais en course, sur le Tour de France par exemple, je n’ai jamais eu le temps de penser qu’il pourrait nous arriver quelque chose. Et fort heureusement, cela n’est pas arrivé.»
Ugo Nastasi (Tennis)
«Les habitants du Caire venaient se réfugier à Charm el-Cheikh»
«Les attentats font peur à tout le monde. Je dois partir en Tunisie jeudi pour disputer quatre tournois et j’avoue ne pas être très rassuré à l’idée de prendre l’avion à Paris. On est un petit groupe, on appréhende. Après, la vie reprend son cours. Et à la limite, je préfère être en Tunisie qu’en France en ce moment. Ma copine vit à Paris et elle est bien retournée à l’école… C’est juste pas évident.
J’ai vécu une expérience assez traumatisante il y a deux ans en Égypte, à Charm El-Cheikh. Il y avait des bombardements au Caire et tous les habitants migraient vers le sud pour se réfugier. Les forces de l’ordre étaient devant tous les hôtels, avec leur kalachnikov. Charm El-cheikh était assez sécurisée, c’était la ville où tout le monde voulait aller. Mais je n’étais vraiment pas à l’aise. On regardait les infos à la télé. Ils détruisaient les écoles, on voyait des enfants…
Ma famille s’inquiétait. J’avais planifié trois voire quatre tournois mais je n’en ai joué que deux et je suis rentré le plus rapidement possible. Je ne voulais pas passer par le Caire. Du coup, j’avais fait escale à Istanbul et j’avais atteri à Bruxelles. Jouer, ce n’est pas vital.»
Lynn Mossong (Judo)
«C’était quand même bizarre de me rendre là-bas»
«Au début j’ai cru à une blague, mais c’était l’horreur. Ça me faisait flipper car je savais que cinq heures plus tard, je prenais l’avion pour Paris avant de prendre le train pour Bruxelles.
Je ne ressentais pas une vraie peur, mais c’était quand même très bizarre de me rendre là-bas. Je me suis même demandé si l’avion allait décoller. Et à l’escale à Abu Dhabi, j’ai regardé au moins 30 fois l’écran pour être sûr qu’il n’y avait rien. Et finalement, à Paris, il y a eu trois contrôles de passeport avant les bagages. Ça m’a un peu rassurée.
En revanche, pour prendre le train, pas de contrôle des papiers. Mais une fois arrivée à Bruxelles, il y avait bien 15 policiers sur le quai.»
Textes : Raphaël Ferber, Denis Bastien, Romain Haas
Photos : AFP et droits réservés