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[Gardiens de la nature] Et si l’on préservait la nuit ?


Ces lampadaires n’éclairent que le sol et s’allument uniquement lorsque les caméras détectent des passants.

La pollution lumineuse n’est pas une fatalité. La commune de Putscheid, près de Clervaux, est pionnière en la matière. Elle est en train d’installer un réseau de lampadaires intelligent.

Les invités avaient beau être saisis par le froid, ce vendredi 8 novembre à la nuit tombée, sous leur bonnet, ils avaient tous la mine des gens convaincus. Après une journée consacrée aux présentations de spécialistes luxembourgeois et surtout allemands (120 personnes présentes, tout de même), ils avaient rendez-vous dans la petite localité de Weiler. Pourquoi là? Parce que la commune de Putscheid, sise dans le parc naturel de l’Our, 1 170 habitants répartis dans sept villages, a décidé de se retrousser les manches pour investir dans des lampadaires dont les bénéfices sont tels qu’on se demande bien pourquoi ils ne sont pas la norme partout ailleurs.

Fabienne Huberty, la bourgmestre, explique : « Nos lampadaires étaient allumés la nuit, ce qui ne servait à rien : cela perturbe la vie de la faune sauvage, gaspille de l’énergie dont les prix s’envolent… Cela n’avait aucun sens alors que des solutions existent.» Ces solutions, ce sont ces éclairages de rue nouvelle génération, équipés de LED à lentilles, de filtres et de commandes configurables. On peut par exemple les régler pour qu’ils livrent une lumière qui penche vers les ultraviolets plutôt que vers les bleus, ce qui ne perturbera pas le cycle des animaux, nous-mêmes y compris.

Ce système permet d’économiser entre 80 et 90 % d’électricité

Mieux, ces lampes équipées de caméras sont programmées pour ne se mettre en marche que quand c’est nécessaire. Il ne faut pas attendre longtemps les phares d’une première auto. Lorsqu’elle entre dans Weiler, les lampadaires s’allument les uns après les autres pour éclairer son passage. «Ils éclairent 40 secondes, puis s’éteignent », indique Fabienne Huberty. La démonstration est bluffante de simplicité et les chiffres appuient le discours : «Nous constatons que ce système permet d’économiser entre 80 et 90 % d’électricité.»

Hesperange s’y met aussi

L’investissement initial, autour de 150 000 euros (sans compter les subventions du ministère de l’Environnement) pour 170 points lumineux, sera donc vite rentabilisé. «La loi de 2022 nous impose d’éteindre les lumières la nuit, explique la bourgmestre. Ici, c’était entre 1 h et 4 h 30. Maintenant, elles le sont tout le temps, sauf quand on en a réellement besoin et le retour de la population est très positif.»

En fait, il n’y a qu’un souci. La commune n’est pas propriétaire de toutes les rues du village. Les autres dépendent de l’État et des Ponts et Chaussées, qui ne sont pas aussi réactifs. «Ils nous disent qu’ils n’ont pas les moyens humains de changer les lampadaires, regrette Fabienne Huberty. Nous comprenons, mais lorsqu’on leur propose d’effectuer nous-mêmes les travaux, ils ne veulent pas non plus. C’est dommage, parce que là, nous perdons du temps et de l’argent.» La commune va rénover tout le centre de Weiler à partir de l’année prochaine et les lampadaires de l’État seront les seuls à faire tache. Drôle d’image.

Putscheid est une commune engagée, mais elle n’est pas la seule à emprunter cette voie. Depuis août, Hesperange éclaire sa station d’épuration et la piste cyclable qui la longe de cette façon. «Non seulement les travaux ont été menés avec l’idée d’économiser l’énergie, mais ils permettent aussi d’augmenter la sécurité à la station, avance Yves Pauwels, chef du département de l’éclairage public de la commune. Désormais, lorsqu’il y a une urgence la nuit, le site est illuminé automatiquement dès que les ouvriers arrivent. C’est un vrai plus.»

Le reste du temps, le site est éclairé à seulement 5 %, «pour que les caméras puissent continuer à voir et sonner l’alarme en cas de problème», ajoute Yves Pauwels. Les économies sont ici aussi spectaculaires. Redin Toto, le responsable des réseaux électriques dans les bâtiments communaux, n’a besoin de pianoter que quelques secondes sur la tablette qui pilote tout le système pour nous montrer un graphique qui s’adapte en temps réel : «Regardez, à la station, nous économisons 94 % d’énergie par rapport à l’ancien système et, sur la piste cyclable, auparavant éclairée toute la nuit avec des globes lumineux qui n’étaient pas du tout efficaces, cela monte à 97 %. En plus, aujourd’hui, on peut gérer les problèmes sans avoir à se déplacer jusqu’au tableau électrique, on peut presque tout faire du bureau.» Ces performances ont motivé la commune, qui va installer des systèmes équivalents dans une cité et sur le chemin qui passe près du centre civique.

Toutes ces expérimentations sont à mettre au crédit de Daniel Gliedner, employé par le parc naturel de l’Our en tant que conseiller en éclairage, mais qui œuvre en fait dans tout le pays, puisqu’il est le seul spécialiste de la question. Il s’est engagé de longue date contre la pollution lumineuse qu’il définit ainsi : «C’est là où la lumière brille la nuit sans que ce soit souhaitable ni nécessaire.» Sa mission est d’expliquer que des solutions techniques existent et de convaincre les pouvoirs publics de moderniser leurs équipements. Malgré l’évidence des bénéfices, la route est encore longue (et toujours trop éclairée), mais il ne lâchera pas son bâton de pèlerin pour que, au final, on ne finisse par illuminer que ce qui est nécessaire, uniquement quand il le faut.

Pourquoi faut-il limiter la lumière nocturne?

La pollution nocturne est l’absence continue d’obscurité totale provoquée par des sources lumineuses artificielles. En Europe, elle impacte environ 85 % du territoire et augmente de 10 % chaque année. Ses conséquences néfastes sont scientifiquement étayées. Sur l’espèce humaine, elle engendre le trouble du sommeil, une diminution de la vision, des dépressions et même un risque accru de diabète et de cancer.

Elle apparaît comme une barrière infranchissable pour de nombreuses espèces animales. Pour celles qui vivent la nuit, par exemple les chauves-souris, elle est un fléau. Elle désoriente également les animaux diurnes (insectes, oiseaux, amphibiens, mammifères et même poissons).

Communiquer sur ce sujet pour diffuser les bonnes pratiques était l’objectif du colloque intitulé «Éclairage efficace et prévention de la population lumineuse» organisé sous la houlette de Daniel Gliedner par le parc naturel de l’Our, la commune de Putscheid et le ministère de l’Environnement, du Climat et de la Biodiversité. «Je suis content d’avoir vu des représentants de communes, des CFL, de Luxtram ou des Ponts et Chaussées, mais je regrette que la Fédération luxembourgeoise de football se soit excusée au dernier moment, parce que les terrains de foot sont très souvent éclairés n’importe comment… », fait remarquer l’organisateur.

Carte d’identité

Nom : Daniel Gliedner

Âge : 52 ans

Fonction : conseiller en éclairage au parc naturel de l’Our

Profil : issu du monde de l’industrie, Daniel Glieder a été spécialiste en éclairage pour AEG, puis directeur du grossiste AEM avant de rejoindre Creos en tant que responsable de l’éclairage public. Il a intégré l’équipe du parc naturel de l’Our en 2019.