Entre incrédulité, réaction virale et indignation, le monde du football argentin a fortement réagi mardi à la titularisation lundi, pour à peine une minute de jeu, d’un influenceur sans vécu footballistique dans un match de première division.
Ivan Buhajeruk, connu sous le pseudo de « Spreen », un streamer de 24 ans à la quinzaine de millions de followers sur divers réseaux sociaux –plus de 9 millions sur Twitch– a été titularisé dans le onze de départ du Deportivo Riestra, promu cette saison en « Primera Liga », dans son match contre le leader Velez Sarsfield.
Aligné en attaque, « Spreen » a joué à peine plus d’une minute –78 secondes, ont compté les médias- avant d’être remplacé. Il n’a pas touché le moindre ballon, tandis que le match se soldait par un nul (1-1) qui laisse Velez en tête du championnat et Riestra 9e. Au-delà du résultat, la presse sportive -et généraliste- n’en avait mardi que pour la participation du jeune influenceur, avec des réactions pour l’essentiel indignées. Mais relevant aussi que l’objectif -le buzz- voulu par Riestra a été atteint.
Le post X de Riestra annonçant la présence de Spreen dans le onze de départ a ainsi enregistré 3,4 millions de vues, au lieu de plusieurs milliers pour un match normal du club. Tous n’ont pas été convaincus, loin s’en faut. Visiblement remonté, l’attaquant de Velez, actuel meilleur buteur du championnat, Braian Romero, a dénoncé après match un « manque de respect envers le football ».
Il a regretté « une tricherie », un « message erroné envoyé à la société, aux enfants, à ceux qui essaient jusqu’au bout » de percer dans le football. Le football « ce n’est pas ça, c’est essayer jusqu’au bout, quitter ta famille (…), essayer, échouer, essayer, échouer, échouer encore, essayer encore ».
Nouveaux publics, ou paris ?
Juan Sébastian Veron, l’ex-international (73 sélections) et actuel président du club d’Estudiantes de La Plata, a lui aussi fustigé un « manque total de respect pour le football et les footballeurs ».
Le capitaine du Deportivo Riestra, Milton Celiz a eu une réaction plus mitigée, entre compréhension et dédouanement. « C’est un ami de la maison, il a un contrat (…) qu’il en profite, tout le monde aimerait jouer en première division ». Mais il a aussi dit « comprendre les critiques », ajoutant que « ce n’est pas notre responsabilité (de joueurs), c’est l’affaire des propriétaires » du club.
La Fédération (AFA) a demandé à son tribunal d’éthique d’enquêter sur « d’éventuelles conduites susceptibles de nuire à la réputation d’intégrité du football argentin ». Pour l’AFA, « à première vue, l’inclusion (de Buhajeruk) pourrait avoir enfreint une ou plusieurs clauses du Code d’éthique ».
Riestra, petit club de Buenos Aires qui a gravi cinq divisions en dix ans, appuyé par un homme d’affaires et avocat propriétaire d’une marque de boissons énergisantes, a dû mardi monter en défense, en constatant « les nombreuses opinions négatives » à son « action de marketing ».
Une enquête ouverte
« A aucun moment notre intention n’a été de manquer de respect au Club Atletico de Velez Sarsfield, ni au football argentin », a assuré le club dans un communiqué, rappelant que Velez avait été averti de l’initiative la semaine précédant le match. « Notre objectif était (et est) d’attirer de nouveaux publics vers le football, de générer des ponts entre différents mondes et plateformes pour continuer de renforcer le produit (le football, ndlr) et notre club, qui vit un moment historique en Première division ».
Riestra affirme qu’il « continuera à travailler avec toutes les composantes » du football, pour « contribuer à l’évolution et à la croissance du sport que nous aimons ». Mais présente tout de même ses « plus sincères excuses à quiconque s’est senti offensé ».
Certains médias relevaient mardi des soupçons plus sombres encore autour du buzz. Le quotidien Clarin rapporte qu’une officine de paris en ligne a offert lundi des paris juteux sur le fait que Spreen débuterait ou non le match. Une enquête a été ouverte par le parquet spécialisé dans les jeux de hasard.
« Il se passe des choses étranges dans le football champion du monde », concluait Clarin, en référence à la tension entre les clubs, à format associatif, et le gouvernement Milei qui voudrait les transformer en sociétés anonymes, ouvertes aux capitaux étrangers. « Mais il se passe aussi des choses qui ne devraient pas se passer. Et sur lesquelles il faudrait enquêter ».