Depuis dix ans à Kayl-Tétange et depuis 2019 à Boevange-sur-Attert, l’ASBL Trauerwee accompagne des enfants afin de parler de leur deuil comme nulle part ailleurs, sans jugement ni tabou.
Dans la maison située au 1, rue de l’École à Kayl-Tétange, les murs sont ornés de dessins d’enfants et les pièces sont chaleureuses et colorées. Rien ne laisse deviner que le deuil est présent partout. Depuis 2014, les lieux sont occupés par l’ASBL Trauerwee, dont le but est d’accompagner les enfants et leurs familles lors de la perte d’un être cher.
L’imagerie traditionnelle du deuil, composée de bougies et de fleurs noires, n’a pas sa place ici, puisque l’association souhaite par-dessus tout lever le tabou autour de la mort. À commencer chez les enfants, le public prioritaire de Trauerwee qui, depuis 2019, est aussi présent dans le Nord, à Boevange-sur-Attert (10, rue de Helpert).
«Les enfants qui viennent ici ont perdu leur maman, leur papa, un frère ou une sœur et l’idée est de les réunir dans des groupes d’entraide pour qu’ils puissent échanger et voir qu’ils ne sont pas seuls», résume Simone Thill, la directrice de l’association, qui l’a fondée avec la présidente, Christiane Rassel.
Composée de neuf bénévoles formés, d’une psychologue et d’une éducatrice graduée, l’association offre ses services les mardis et jeudis après-midi, de 14 h à 17 h 30, pour les enfants de 4 à 12 ans. Actuellement, ils sont neuf à être accompagnés afin, à travers diverses méthodes, de comprendre leur deuil, y faire face et le verbaliser.
«Ce n’est pas une maladie»
«On bricole beaucoup avec eux, car cela les aide à comprendre que la personne est décédée, afin de passer d’une relation extérieure, où la personne vivait encore, à une relation intérieure», explique la directrice. «Par exemple, nous avons fait un petit bateau et ils pouvaient écrire dessus un message pour la personne décédée», illustre Tania Alf, l’éducatrice graduée. Chaque semaine, des tours de table ont aussi lieu afin que chaque enfant fasse part de ses émotions du moment. Parfois, un atelier de cuisine permettra de refaire la recette d’un proche disparu.
Les discussions informelles, au détour d’un jeu ou d’une recette, sont tout aussi importantes que les échanges cadrés, car elles permettent aux enfants de poser des questions librement. «Les sujets comme aller au cimetière ou non, quand maman a un nouveau partenaire, sont des sujets très importants. Si on ne les cache pas, cela les aide dans leur développement.»
Pour autant, la fondatrice de l’ASBL tient à préciser qu’aucune méthode ou atelier n’est imposé aux enfants : «Nous ne leur disons pas que c’est cela le chemin du deuil. Nous tendons la main et c’est à eux de la prendre lorsqu’ils le souhaitent.»
C’est cette liberté dans la façon d’aborder la question qui a d’ailleurs poussé les deux fondatrices à créer l’association. Touchées par des pertes personnelles, les deux femmes ont réalisé à quel point la mort d’un proche est vécue différemment par l’enfant.
Une différence pourtant ignorée selon Simone Thill. «Lorsqu’une personne décède, vous recevez une carte pour aller chez un psychologue. Et je me suis dit : « Qu’est-ce que les enfants vont faire chez un psychologue ? Le deuil n’a pas besoin de thérapie, ce n’est pas une maladie ».»
Libérer une parole enfouie
La dimension familiale de la maison du 1, rue de l’École à Kayl-Tétange a donc été pensée afin de faciliter l’expression libre des enfants, loin de l’ambiance parfois morose d’une salle de consultation, car «le deuil de l’enfant est plus coloré que celui de l’adulte». En dehors de ces murs joyeux, le fait qu’un enfant est endeuillé plonge bien souvent dans l’embarras ceux qui le côtoient.
«Dans la société, à l’école, à la maison, les enfants ne parlent pas de leur deuil», constate l’éducatrice Tania Alf. Ce mutisme ne naît cependant pas d’une honte : «Ils ne parlent pas pour protéger un parent ou pour ne pas mettre des adultes dans une situation difficile, car souvent ces derniers ne savent pas comment réagir quand un enfant parle d’un parent décédé.»
Afin de «briser le tabou», l’ASBL organise des séminaires et des formations sur le deuil pour le personnel enseignant. Bien évidemment, Trauerwee soutient aussi les parents en quête de conseils et d’une épaule sur laquelle s’appuyer : «On travaille à leur donner une sécurité, car ils sont confrontés à leur deuil, ce qui prend beaucoup d’énergie, beaucoup de temps, et ils ne sont plus focalisés sur leurs enfants.»
Des enfants qui reviennent
Lorsqu’elles ne le font pas d’elles-mêmes, les familles peuvent être dirigées vers l’ASBL par des acteurs tels que les assistants sociaux. Une fois que les enfants sont pris en charge, l’accompagnement dure, en moyenne, un an, voire plus si la situation est compliquée, comme dans le cas d’un suicide. Et c’est à l’enfant qu’il revient de décider s’il veut mettre fin à son accompagnement : «Nous faisons une réunion avec les parents deux fois par an où l’on demande à l’enfant s’il est encore d’accord de venir.»
Malgré les liens noués entre les bénévoles et les enfants, le but est de quitter la maison au plus vite. «Lorsqu’une enfant me dit après deux ans qu’elle est encore triste, mais qu’elle est plus triste encore pour autre chose, on voit qu’elle avance», sourit Simone Thill, qui souligne : «Le deuil ne se termine pas.»
D’où l’importance d’en parler dès que possible. Et pour cela, les portes de Trauerwee restent toujours ouvertes, même pour «les enfants devenus adolescents ou adultes et qui viennent nous voir avec de nouvelles questions».
1. Ouverture et honnêteté
Il est crucial d’être ouvert et honnête avec l’enfant concernant le deuil, d’autant plus que la dimension du deuil est différente chez les enfants. «L’adulte est dans la mer et nage souvent sous l’eau, alors que l’enfant, lui, saute dans une flaque d’eau, reste un peu, puis continue sa vie.» Ne pas cacher la réalité de la perte permet donc à l’enfant de poser des questions, l’aide à se sentir en sécurité et à comprendre qu’il peut s’exprimer librement sans jugement.
2. Accompagner individuellement
Chaque enfant vit son deuil de manière unique. Il est important de respecter la façon dont l’enfant exprime son chagrin et de l’accompagner sur son propre chemin de deuil, sans pression pour suivre un modèle spécifique. «L’attente de l’adulte vis-à-vis de l’enfant et son deuil, il faut l’oublier», prévient Simone Thill.
3. Encourager l’expression
Offrir des moyens créatifs pour que l’enfant puisse exprimer ses sentiments, comme des ateliers de bricolage ou des activités artistiques, est une des clés pour vivre au mieux le deuil. Cela l’aide à comprendre et à gérer ses émotions, qu’il ne faut pas nier, car elles restent à vie. «Le deuil est une biographie, on vit avec.» Si on l’escamote, «il est possible qu’une fois adolescent ou adulte, l’enfant souffre de cette perte».
4. Impliquer l’enfant
En cas de décisions et ou de discussions concernant le deuil, l’association préconise d’interroger les enfants sur leur point de vue afin de les impliquer et les valoriser. Un geste qu’il faut faire rapidement, car «les enfants sentent vite s’ils ne sont pas impliqués et ne demandent pas une deuxième fois. Il ne faut pas les sous-estimer, ni faire comme si on ne les entend pas.»
5. Rituels de mémoire
Encourager la création de rituels personnels ou familiaux pour honorer la mémoire de la personne décédée. Cela peut inclure des activités comme allumer une bougie ou partager des souvenirs «qui vont les aider à vivre leur deuil». «Ils sont fiers de parler de la personne disparue, de parler de ce qu’elle aimait. Il faut continuer d’en parler.»