Accueil | Culture | [Théâtre] Trente ans plus tard, La Haine revient sur les planches

[Théâtre] Trente ans plus tard, La Haine revient sur les planches


Mathieu Kassovitz transpose son film culte, sorti en 1995 mais «toujours d’actualité», en spectacle musical, avec une mise en scène immersive et une BO inédite riche d’une vingtaine d’artistes.

Une cité HLM, du béton, des escaliers, quelques fresques aux murs, les toits, une voiture brûlée : sur un écran en fond de scène sont projetées les images du quartier populaire de Chanteloup-les-Vignes, dans les Yvelines. La cité au nord-ouest de Paris, lieu de tournage du long métrage La Haine, est reconstituée ici numériquement en 3D.

Le réalisateur Mathieu Kassovitz signe lui-même la direction artistique et revisite son œuvre coup de poing – récompensée par le César du meilleur film – dans un show rassemblant 22 comédiens et danseurs. La première aura lieu le 10 octobre à La Seine musicale, en région parisienne, où le spectacle sera joué jusqu’au 1er décembre, avant une tournée à travers toute la France et des passages en Belgique et en Suisse, pour s’achever aux premiers jours de l’été 2025, au Galaxie d’Amnéville (13 et 14 juin) et au Zénith de Strasbourg (20 et 21 juin).

Vers chez moi, il y a dix Saïd, dix Vinz’, dix Hubert (…) Représenter ces gens-là, j’apprécie

Devant l’écran, sur un plateau rond comprenant un discret tapis roulant, la troupe fait revivre au spectateur immergé dans des effets visuels et sonores massifs la journée du trio d’amis banlieusards Vinz’, Saïd et Hubert, trois fortes têtes qui finissent par se heurter à la violence policière. «On a conçu un système technologique de mouvement des personnages et de mouvement du décor qui se synchronisent et vous donnent l’impression que vous êtes à la place de la caméra», indique Mathieu Kassovitz lors d’une répétition. Pour ce faire, il s’appuie sur un système créant des parallaxes, qui produit des effets de perspective.

Le hip-hop change, les thèmes restent

La bande originale du spectacle fait de son côté la part belle au rap, en rassemblant des figures du genre qui ont émergé à l’époque du film, comme Akhenaton ou Oxmo Puccino, jusqu’à la nouvelle génération incarnée par Jyeuhair ou Doria. En élargissant à d’autres sonorités, pop, electro ou symphoniques, le spectacle fait aussi état d’un genre qui s’est imposé dans le paysage musical en quelques décennies (lire encadré).

À la baguette, le directeur musical, Proof, a composé les trames sonores sur lesquelles ces artistes ont créé des œuvres totalement originales. Au total, douze titres donnent «la couleur musicale de chaque tableau» : ils sont chantés par les comédiens, dansés sur scène et seront disponibles le 4 octobre en streaming dans des versions interprétées par les artistes eux-mêmes.

Trente ans après, le thème du film est, lui, «toujours d’actualité. Les brutalités policières existent toujours», affirme Mathieu Kassovitz. «Jusqu’ici, rien n’a changé», avertit d’ailleurs le sous-titre du spectacle. Une référence au célèbre monologue du long métrage, dans lequel la voix off d’Hubert (Koundé) disait, en préambule : «C’est l’histoire d’un homme qui tombe d’un immeuble de cinquante étages. Le mec, au fur et à mesure de sa chute, se répète sans cesse pour se rassurer : jusqu’ici tout va bien…».

Pour autant, poursuit «Kasso», en 1995, il s’agissait d’«alerter le public» sur ce qu’il se passait en banlieue, d’envoyer un «message social» et «politique» à travers le film. Lui entend aujourd’hui mettre l’accent sur «le manque de respect» et «le besoin de justice», des «sujets universels». «Ces mômes, il y en a qui ont réussi maintenant, il y en a aussi beaucoup qui sont restés en bas et le problème sociétal est toujours le même.»

Les trois acteurs tenant les rôles principaux étaient enfants ou même pas nés quand le film est sorti. «Je me sens concerné, témoigne ainsi Samy Belkessa (Saïd), parce que, vers chez moi, il y a dix Saïd, dix Vinz’, dix Hubert (…). Représenter ces gens-là, j’apprécie.» Pour Alexander Ferrario (Vinz’) perdurent encore «des injustices» et «l’incompréhension vis-à-vis des jeunes de cités». «La Haine permet de comprendre d’où vient la violence, pas pour l’excuser, mais pour avoir un dialogue possible.» Issu d’un quartier populaire du Havre, Alivor (Hubert) a pour sa part envie de montrer «les valeurs qu’on a dans les quartiers : l’amour entre amis, la diversité, la créativité, l’humour».

La Haine,
en tournée en France en 2025.

Les 23 et 24 mai 2025,
Forest National – Bruxelles.

Les 13 et 14 juin 2025,
Galaxie – Amnéville.

Derrière la musique
de La Haine

Pour habiller la comédie musicale La Haine – Jusqu’ici rien n’a changé, le compositeur Proof a rassemblé pour sa bande originale une vingtaine d’artistes dont plusieurs générations de rappeurs, d’Akhenaton à Jyeuhair, mais aussi M, Clara Luciani ou The Blaze. Les douze tableaux du spectacle, qui s’inspirent du film de Mathieu Kassovitz sorti en 1995, sont accompagnés par une musique «au service du récit», dit Proof, en marge d’une répétition de la pièce.

Ce «beatmaker», anglicisme dont sont souvent affublés les compositeurs dans le monde du hip-hop, a d’abord fait ses armes auprès d’artistes comme Médine, Diam’s ou Kery James, avant de se tourner vers d’autres projets comme celui-ci, dont il pilote la direction musicale. Il a ainsi composé la trame sonore de «la plupart» des douze titres qui correspondent avec ces tableaux, soumis ensuite aux univers créatifs d’une vingtaine d’artistes.

C’est bien le rap, encore marginalisé à l’époque du film La Haine et qui caracole désormais en tête des plateformes de streaming en France et dans le monde, qui se taille la part du lion. Dans les années 1990, «toute cette culture hip-hop était émergente», rappelle Proof, venant lui-même d’un quartier populaire du Havre. Aujourd’hui, «cette musique influence partout. Je suis content de voir le style banlieusard sortir des quartiers, ça a créé une sorte d’ouverture».

Cette «capsule temporelle» et musicale rassemble des figures du rap comme Akhenaton (IAM), Tunisiano (Sniper), Oxmo Puccino et Youssoupha, aux côtés de la jeune génération, de Jyeuhair à Youssef Swatt’s. «Je voulais avoir un panel pour montrer la diversité et la richesse de cette musique», ajoute le compositeur, précisant que des tonalités pop sont également injectées. Ainsi, le rappeur belge Youssef Swatt’s, révélé dans l’émission Nouvelle école sur Netflix, partage un duo avec Clara Luciani. Apparaissent aussi Mathieu Chedid, Angélique Kidjo, le pianiste Sofiane Pamart et le duo electro The Blaze, tandis que certains morceaux présentent encore des arrangements symphoniques avec violons et chœurs. Le générique du film, Burnin’ and Lootin’ de Bob Marley, a lui été repris et remixé par le DJ Mercer.

PUBLIER UN COMMENTAIRE

*

Votre adresse email ne sera pas publiée. Vos données sont recueillies conformément à la législation en vigueur sur la Protection des données personnelles. Pour en savoir sur notre politique de protection des données personnelles, cliquez-ici.