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[Gardiens de la nature] Loup : l’affect plutôt que la science


Aucune meute ne vit au Luxembourg, bien que l’on aperçoive de plus en plus fréquemment des loups de passage. Entre 1893 et 2017, le loup avait complètement disparu du Luxembourg. (Photo : loup@tobias reimann)

L’Union européenne, avec l’appui du Luxembourg, vient de rétrograder la protection du loup sur le continent. Une décision politique, qui n’est pas étayée par des données factuelles.

Ce revirement de situation se tramait depuis la fin de l’année dernière et il s’est conclu jeudi, lorsque les ministres européens ont ratifié la décision prise lundi par les ambassadeurs de rabaisser le degré de protection du loup. Il reste encore à Bruxelles à notifier mardi prochain au secrétariat de la convention de Berne relative à la protection de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe sa volonté de la modifier. Mais cela ne fait guère de doute.

La convention de Berne, signée en 1979, contient quatre annexes qui dressent la liste des espèces animales et végétales protégées en fonction de leur risque d’extinction. Le loup va donc passer de l’annexe 2 (strictement protégé) à l’annexe 3 (protégé). Ce faisant, il sera ensuite nécessaire d’amender la directive européenne «Habitats», ce qui n’avait encore jamais été fait depuis son adoption le 21 mai 1992.

Comment en est-on arrivé là ? Ce revirement est d’abord celui de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, qui avait pourtant porté avec courage un Green Deal (Pacte vert) ambitieux en faveur de l’environnement. Mais le 4 septembre dernier, elle déclarait : «La concentration de meutes de loups dans certaines régions européennes est devenue un réel danger pour le bétail et, potentiellement, pour l’homme ». Cette sentence surprenante est peut-être née d’un trauma personnel : la presse allemande révélait que la présidente avait perdu à l’été 2022 son poney Dolly, attaqué par un loup dans sa propriété de Basse-Saxe.

Or, bien que les lobbys des agriculteurs et des chasseurs réclament depuis longtemps le droit d’abattre des loups, les études montrent que, sans nier l’impact psychologique de la découverte de cadavres de brebis et de moutons croqués, les loups ne sont coupables d’aucun massacre. Dans le rapport publié par la Commission européenne en décembre 2023, on apprend que seuls 65 000 animaux d’élevage sont perdus chaque année à la suite d’attaques de loups, principalement des ovins et des caprins (73 %) et des bovins (19 %).

Les décès d’ovins causés par les loups représentent ainsi 0,06 % de la mortalité dans l’Union européenne. À titre de comparaison, les statistiques de l’administration luxembourgeoise des Services vétérinaires révèlent qu’entre 2005 et 2018, entre 9 000 et 13 000 veaux et de 1 000 à 3 000 chèvres, moutons et agneaux décèdent chaque année dans les fermes. En outre, depuis 40 ans, la Commission ne recense aucun décès humain causé par le loup.

Le dossier d’une grosse centaine de pages note toutefois, «à grande échelle, l’impact global des loups sur le bétail dans l’UE est très faible, mais au niveau local, la pression sur les communautés rurales peut être élevée dans certaines régions». Il est intéressant de savoir que le loup n’a jamais été réintroduit en Europe. Alors que ne subsistaient que quelques populations en Europe de l’Est, en Italie et en Espagne, c’est la directive «Habitats» qui a permis d’empêcher son extinction. Enfin protégé, le loup a ensuite recolonisé l’Europe tout à fait naturellement. La surpopulation pointée par ceux qui défendent son déclassement est d’ailleurs toute relative, puisqu’en 2023, la Commission européenne estimait que 20 300 loups vivaient en Europe, contre 11 193 en 2012.

Une position différente en mars dernier

Jusqu’à présent, le Luxembourg avait toujours été un grand défenseur de la protection sans condition du loup. Le ministre de l’Environnement, Serge Wilmes, avait d’ailleurs lancé un plaidoyer pour sa protection pleine et entière le 11 mars 2024, dans sa réponse à une question parlementaire des députés Mars Di Bartolomeo et Claire Delcourt (LSAP) : «La proposition de la Commission (de décembre 2023) va à l’encontre des mesures de protection entreprises ces dernières années au sein de l’Union européenne pour arriver à un état de conservation plus favorable des populations de loups. […] Si on peut constater une légère progression de l’amélioration de l’état de conservation du loup au sein de l’Union européenne, c’est justement en raison du statut de protection stricte dont a bénéficié jusqu’ici cette espèce.

Par ailleurs, le Luxembourg est convaincu que le cadre légal existant de la Convention et de la directive Habitats donne suffisamment de flexibilité pour déroger aux mesures de protection dans des cas spécifiques, comme par exemple pour prélever des loups individuels présentant un comportement problématique. Il faut également relever l’importance et l’utilité de populations de loups saines dans l’atténuation des effets du changement climatique sur la résilience des forêts, alors que le loup contribue à maintenir les populations de gibier à un niveau équilibré. Il y a lieu aussi de relever que le Luxembourg a cosigné en date du 1er février 2023, ensemble avec 11 autres États membres, une lettre à l’attention du commissaire Sinkevicius faisant appel à refuser de façon explicite la diminution du statut de protection du loup».

Ses prédécesseurs verts n’auraient pas dit mieux, mais Serge Wilmes a toutefois placé cette semaine le Luxembourg dans la liste des pays qui ont autorisé le déclassement de la protection du loup. Il est malheureusement à craindre que la cause de ce revirement soit essentiellement politique. Cette décision est sans doute davantage celle du Premier ministre, Luc Frieden, proche d’Ursula von der Leyen, que la sienne.

« L’émotion plus que la rationalité »

Le président de natur&ëmwelt, Roby Biwer, regrette cette décision et rappelle les bienfaits du loup dans les écosystèmes.

Comment comprenez-vous la décision de l’Europe, avec la voix du Luxembourg, de baisser le niveau de protection du loup ?

Roby Biwer : Je le déplore, car nous pensions gagner cette bataille. Serge Wilmes a toujours été très favorable à la protection du loup. Je crois qu’il a été placé entre le marteau et l’enclume. C’est d’autant plus dommage que je pense que la population du Luxembourg est globalement pour la protection du loup. Je regrette que l’on ait rouvert cette porte, d’autant que cette séquence est davantage portée par l’émotion que par la rationalité.

Avec le plan d’action loups, créé par l’administration de la Nature et des Forêts (ANF) dès 2017, le pays est d’ailleurs prêt à son retour…

Il faut porter un coup de chapeau au ministère de l’Environnement et à l’ANF pour ce très bon plan. Il prévoit des subventions pour que les éleveurs puissent protéger leurs troupeaux, des dédommagements en cas d’accidents et aussi l’information du grand public par l’organisation de conférences.

La chasse n’est pas la solution

Le loup est-il un si gros problème en Europe ?

Non, et là où cela pourrait être le cas, la chasse n’est pas la solution. Au contraire, les grands prédateurs sont indispensables au bon équilibre de l’environnement. L’exemple de Yellowstone est intéressant. Alors que les biotopes se dégradaient massivement, notamment à cause d’une surpopulation de bisons, la réintroduction du loup gris il y a 30 ans a permis de rééquilibrer l’écosystème. Chez nous, des loups seraient utiles pour réguler les populations de gibier, qui empêchent le bon renouvellement des forêts en mangeant les jeunes pousses d’arbres.