Il avait disparu du Grand-Duché depuis le XIXe siècle, mais le voilà qui habite désormais dans pratiquement toutes nos rivières. Le castor est de nouveau là et c’est une excellente nouvelle pour l’environnement.
Avec ses 20 à 35 kilos, il est le plus grand rongeur de l’hémisphère nord, mais cela faisait près d’un siècle et demi qu’on ne le voyait plus au Luxembourg.
Mais depuis les années 2000 environ, le castor est bel et bien de retour dans le pays. À vrai dire, il recolonise même nos cours d’eau avec une efficacité redoutable.
«Nous venons de le repérer dans la Gander, la rivière qui passe à Mondorf, avance Alexander Kristiansen, spécialiste de la gestion de la faune protégée à l’administration de la Nature et des Forêts (ANF). C’était la dernière grande rivière du pays dans laquelle il ne s’était pas encore implanté.»
Son retour était attendu. Si aucun castor européen n’a été réintroduit au Luxembourg, certains ont été relâchés pas très loin en Belgique (pas toujours légalement). D’autres, américains cette fois, avaient profité d’inondations pour s’échapper du zoo de Prüm, en Allemagne, à une trentaine de kilomètres de la frontière.
«Par chance, un récent dépistage génétique vient de démontrer que nous n’avons plus de castors américains au Luxembourg, uniquement des européens. Ils se ressemblent beaucoup, mais ce sont deux espèces bien différentes, qui ne peuvent même pas se reproduire entre elles.»
S’ils s’installent dans nos rivières, c’est que les castors sont voyageurs. Chaque site est occupé par un seul couple et ses petits qui naissent entre mai et juillet. Dès que ces derniers ont atteint l’âge de 3 ans, ils quittent le cocon pour aller s’implanter autre part. Cela peut être à quelques centaines de mètres… comme à plus de 50 kilomètres!
L’arrivée d’un castor ne passe pas inaperçue. Il construit un barrage dans le but de faire monter le niveau de l’eau, ce qui lui permettra de cacher l’entrée de son habitat. Au départ, il s’agit d’un terrier qu’il va consolider au fur et à mesure des nécessités avec des branches, des filaments de bois et de la boue.
Petit à petit, la structure prendra la forme d’une hutte et sera située le plus souvent au bord de la rivière, mais parfois aussi au beau milieu de l’eau. Certaines peuvent s’élever à deux mètres de haut. Un couple de castors peut se construire plusieurs huttes, jusqu’à plusieurs dizaines.
En bonne cohabitation
Inévitablement, ces infrastructures vont modifier l’environnement. «Le premier indice de la présence de castors, c’est le bruit de l’eau, fait remarquer Alexander Kristiansen, alors qu’il explore avec sa collègue Viviane Barten un cours d’eau du côté de Bavigne, juste au nord du lac de la Haute-Sûre. Écoutez : on entend les cascades créées par les barrages. Pour moi, c’est un des bruits les plus agréables qui soient!»
Mélodieux, certes, et très utile aussi. «Avant, cette petite rivière était toute droite et elle n’avait pas un grand intérêt écologique. Désormais, grâce aux barrages, l’eau s’est répandue en largeur et a complètement modifié le paysage. Il y a beaucoup plus de structures. Ces éléments apportent de la diversité et offrent de nouveaux habitats à une quantité d’espèces», s’enthousiasme le spécialiste.
Les batraciens et les libellules profitent des étendues d’eau tout juste créées. Les insectes et les chauves-souris s’épanouissent dans les arbres morts qui se trouvaient sur les anciennes rives à présent inondées et les poissons prospèrent.
«Des études ont montré qu’il y avait nettement plus de truites en amont des barrages qu’en aval parce qu’au milieu des branches, les poissons ont davantage d’endroits pour se cacher des prédateurs», relève Alexander.
Autre effet positif, la qualité de l’eau progresse. Grâce aux barrages, les sédiments restent en amont, s’entassent au fond des rivières et forment ainsi un puits de carbone très efficace.
«Les castors sont à la fois ingénieurs, bûcherons et ouvriers, sourit-il. Ils sont infatigables. Leur capacité à scanner un territoire me fascine, ils construisent toujours de manière très raisonnée pour obtenir le meilleur résultat, ne cesse de s’étonner Alexander. Nous, avec tous nos moyens et notre bonne volonté, nous n’arriverions jamais à renaturer une rivière d’une façon aussi fonctionnelle et rapide!»
Désormais, alors que le castor est protégé et bien en place aux quatre coins du pays, l’accent est mis sur sa bonne entente avec l’Homme. «Avec sa capacité à vite modifier un territoire, il est susceptible de créer des conflits avec la population, reconnaît-il.
C’est pourquoi nous effectuons un gros travail de terrain pour identifier les problèmes le plus rapidement possible, au mieux avant même qu’ils ne surviennent. En général, en expliquant ce qu’il se passe, cela fonctionne bien. L’ANF peut, par exemple, installer des clôtures ou poser des drainages sans frais pour les riverains.»
La règle, en tout cas, est de prendre le temps d’appréhender la situation pour trouver les compromis qui satisferont tout le monde. «Je me souviens qu’une fois, une personne s’acharnait toutes les nuits à casser un barrage construit par un castor. Mais le rongeur le réparait chaque lendemain, de façon à ce qu’il soit encore plus solide !, sourit Alexander Kristiansen. Venir nous parler pour que nous trouvions ensemble une bonne solution est toujours plus efficace que de s’y prendre de cette façon !»
Pourquoi avait-il disparu?
Comme souvent, une seule réponse suffit à cette question : l’Homme. Le castor a été chassé, jusqu’à complètement disparaître du pays et de beaucoup de rivières en Europe au XIXe siècle.
On l’a exterminé pour récupérer sa fourrure, mais aussi pour prélever le castoréum, une sécrétion odorante qu’il émet pour marquer son territoire. Cette odeur tenace et musquée a longtemps servi de base pour la création de parfums. Elle était également jugée aphrodisiaque, ce qui n’a pas aidé le rongeur.
Encore plus effarant, des théologiens de la Sorbonne ont statué au XVIIe siècle que, puisque le castor vivait sur l’eau, il pouvait donc être considéré comme un poisson et ainsi consommé le vendredi. Une décision qui a contribué à son extinction…
Carte d’identité
Nom : Alexander Kristiansen
Âge : 33 ans
Fonction : agent technique spécialisé, spécialiste de la gestion de la faune protégée
Profil : Après avoir étudié les sciences environnementales, il rejoint l’administration de la Nature et des Forêts en 2017 en tant que spécialiste des loups et des castors.
Carte d’identité
Nom : Viviane Barten
Âge : 48 ans
Fonction : opératrice de l’environnement
Profil : Fleuriste et paysagiste de formation et passionnée de nature dans toutes ses expressions, elle a rejoint l’ANF il y a un peu plus de trois ans.