La qualité des rivières luxembourgeoises n’est pas bonne, mais un nouveau programme vient d’être lancé pour inverser la tendance. Il y a du travail…
Et si les cours d’eau faisaient partie des biotopes qui, à l’image des grandes forêts tropicales, étaient les plus menacés de la planète? La question peut faire sourire, mais on n’est pas loin de la vérité. Ils sont si communs dans nos paysages, dans les campagnes comme en ville, qu’on ne s’y intéresse pas vraiment. Pourtant, ces écosystèmes sont très riches, comme l’explique Carole Molitor, responsable du service écologie et pêche de l’administration de la Gestion de l’Eau (AGE) : «Les espèces présentes dans les rivières représentent 10 % de la biodiversité mondiale alors que les cours d’eau couvrent moins de 1 % de la surface, avance-t-elle. Pourtant, on considère qu’ils font partie des écosystèmes les plus menacés de la planète.»
L’Europe s’est emparée de la question, notamment en mettant en place une directive-cadre ambitieuse sur l’eau qui a fixé à tous les pays membres des objectifs à l’horizon 2027. Des stratégies ont été déclinées, mais dans les faits, elles sont très difficiles à appliquer. «En général, protéger une forêt est plus facile parce que cela engage moins de propriétaires, souligne la spécialiste. Pour améliorer la qualité écologique d’un cours d’eau, il faut que tous les riverains sans exception s’impliquent, ce qui rend la gestion des programmes très compliquée.» Disons-le tout de suite, à l’instar de ses voisins , le Luxembourg est très, très loin d’atteindre les critères requis dans moins de trois ans.
Un exemple explique toute la complexité de la gestion des cours d’eau. Les scientifiques estiment qu’un écosystème est fonctionnel si 5 km sans interruption sont de bonne qualité. Problème : au Luxembourg, on compte en moyenne un barrage par kilomètre de rivière, dont l’écrasante majorité n’a plus aucune utilité.
L’impact du changement climatique
«Ces barrages étaient utilisés dans le temps pour leur force hydraulique, ils permettaient de créer des dérivations qui alimentaient les roues des moulins, avance Carole Molitor. Mais même si les moulins ont disparu, les barrages sont souvent toujours là.»
Or chaque barrage modifie la dynamique fluviale. En amont, on trouve habituellement une zone de refoulement qui n’est pas naturelle et qui est donc un espace perdu pour la faune et la flore typiques d’une rivière. Fréquemment, on se retrouve presque dans la configuration d’un étang où l’eau stagnante chauffe et s’évapore l’été, voyant alors proliférer des bactéries qui consomment l’oxygène nécessaire aux poissons. «Le changement climatique renforce ces effets et nous observons malheureusement le dépérissement de plus en plus d’espèces», affirme Carole Molitor.
Le débit d’une rivière est également plus fort en aval qu’en amont. Ces variations influent sur le transport des sédiments. «Il s’agit d’un processus continu dans le temps et dans l’espace, ils doivent être transportés pour être déposés au fil du cours d’eau et empêcher l’érosion. Mais si on interrompt le flux, le gros matériel reste en amont et la rivière s’appauvrit vers l’aval», explique Carole Molitor.
Ces barrages sont autant d’obstacles pour la migration des poissons comme l’anguille, l’esturgeon, l’alose ou le saumon qui n’ont plus accès à leurs frayères. Membre actif de la Commission internationale pour la protection du Rhin, le Luxembourg œuvre d’ailleurs pour que les barrières artificielles jusqu’à l’embouchure du fleuve soient progressivement équipées de systèmes permettant de libérer le passage pour ces poissons.
À ce constat, auquel s’ajoute celui des piètres caractéristiques physico-chimiques de l’eau : il revient que la qualité des rivières luxembourgeoises est très mauvaise. C’est bien simple, sur les cartes, elles sont toutes marquées en rouge. L’Europe a créé une notation de 1 (très bonne qualité) à 5 (très mauvaise qualité), aucune rivière du pays ne fait mieux que 3.
Pour que la situation du réseau hydraulique luxembourgeois progresse, la stratégie Free Flow vient d’être lancée. Elle vise notamment à araser les barrages obsolètes et c’est une nouveauté. Étonnamment, la politique jusqu’à il y a peu était de les conserver tout en installant des passes à poissons. Une solution de compromis qui ne réglait qu’un problème parmi tant d’autres.
Mais avec son millier de barrages environ, le travail est immense… La priorité va être donnée à douze cours d’eau du nord du pays qui seront classés en zones protégées d’intérêt national. «Ce sera la première fois que toute une rivière sera protégée, ajoute Carole Molitor. Nous les avons choisis parce que leurs cours ne traversent pas beaucoup de zones urbanisées, leur potentiel est d’autant plus grand.» En attendant de voir, prochainement, que leur qualité passe enfin dans le vert.
Des saumons au Luxembourg?
Eh oui, il n’y a pas si longtemps, on trouvait des saumons dans les rivières luxembourgeoises, notamment dans la Sûre. Tout a cessé lors de l’aménagement de la Moselle en voie navigable, avec la construction des écluses et des barrages qui ont formé des obstacles infranchissables.
La pêche au saumon était même très populaire au Grand-Duché. À Vianden, le long de l’Our, on voit toujours une structure qui permettait leur capture. On installait des filets dans le courant pour les piéger, puis on les remontait. Au même endroit, on pratiquait aussi un autre type de chasse : depuis leurs barques, les pêcheurs harponnaient les poissons à l’aide de tridents.
Carte d’identité
Nom : Carole Molitor
Age : 46 ans
Fonction : responsable du service écologie et pêche de l’administration de la Gestion de l’eau
Profil : Après un master en écologie avec une spécialisation en hydrobiologie, Carole Molitor a travaillé pour le CRP Gabriel -Lippmann, puis a été enseignante au lycée Ermesinde (Mersch). Elle a rejoint l’administration de la Gestion de l’eau en 2015.