Accueil | A la Une | [Critique série] «Fiasco», l’art de la catastrophe

[Critique série] «Fiasco», l’art de la catastrophe


Experts en naturalisme cabotin, à l’aise et à 200 % dans le malaise, Niney, Gotesman et les autres montent avec Fiasco un formidable numéro d’humour «cringe» à la française. (Photo Netflix)

Pierre Niney et Igor Gotesman se retrouvent sur Netflix avec Fiasco, une série au format «mockumentaire» où le réalisateur adapte une nouvelle fois les ingrédients qui avaient fait la saveur de Five et Family Business.

Devant la caméra de Michel Gondry l’année dernière, Pierre Niney se glissait dans la peau d’un réalisateur génial mais tyrannique et dépressif, qui prenait la fuite avec son équipe pour terminer son film dans la petite ferme familiale des Cévennes, s’aidant pour cela d’un Livre des solutions.

S’il y a bien un livre dans Fiasco (qui aura, ou pas, son importance dans le dénouement), les solutions, elles, amènent systématiquement leur lot de mensonges – et, donc, de problèmes – toujours plus gros. Pierre Niney y incarne à nouveau un réalisateur, Raphaël Valande, auteur d’un scénario remarqué sur les actions héroïques de sa grand-mère pendant la guerre, et qui signe avec Une femme résistante son premier film… et son seul espoir de rendre fière sa famille, qui lui a tourné le dos depuis qu’il est «monté à Paris».

Des seconds rôles déjantés

Cocréée et coécrite avec Pierre Niney, Fiasco marque également le retour très attendu d’Igor Gotesman sur Netflix. Adoptant cette fois le format de la minisérie «mockumentaire», le réalisateur adapte une nouvelle fois les ingrédients qui avaient fait la saveur de Five (2016) et Family Business (2019-2021) : le casting (les vieux copains Pierre Niney et François Civil, Pascal Demolon, Louise Coldefy…), une galerie de seconds rôles déjantés et un humour lourd qui nous a à l’usure.

Avec un tel titre, et revendiquant à chaque séquence qu’elle cherche à faire grincer des dents, la série est certaine de ne pas plaire à tout le monde. Pour qui aime l’humour pesant et occasionnellement puéril, c’est un régal de bout en bout.

Surenchère est le maître-mot et la série ne s’arrête jamais sur un bide

Tout commence dès le premier jour du tournage d’Une femme résistante, quand «Raph» dérape dans son discours à l’équipe, avec des propos sexistes à l’égard de l’actrice principale. La scène est filmée, et quelqu’un fait chanter le réalisateur; avec l’aide de son producteur paumé, Jean-Marc (Pascal Demolon), et de la première assistante, Magali (Géraldine Nakache), «Raph» enquête pour trouver le corbeau parmi l’équipe. C’est le début d’une incessante spirale de mensonges que les personnages se lancent à tour de rôle, chacun poussant un peu plus le projet au bord du précipice…

Surenchère est bel et bien le maître-mot ici. Et, des longs silences et brefs regards caméra embarrassés à la répétition à outrance des manies des personnages (le racisme décomplexé d’un acteur, un producteur qui ne comprend rien quand on lui parle…), la série ne s’arrête jamais sur un bide. Pas plus qu’elle ne s’arrête sur un gag innocent ou un moment de malaise, d’ailleurs, puisque tout est prémédité – et souvent décuplé par la capacité d’improvisation de Niney et sa bande, qui se mesurent tranquillement à la troupe de The Office (2005-2013).

Ce qui caractérise l’humour de Fiasco, c’est surtout la rupture de ton par le silence ou le décalage : comme Pierre Niney (qui en est généralement l’instigateur), elle est de toutes les scènes, des quiproquos à répétition sur les employés handicapés de la production à une séquence de diarrhée purement régressive.

Naturalisme cabotin

Alors que les trois premiers épisodes se déroulent comme une succession de saynètes qui dessinent l’imminence de la catastrophe (la mise en ligne de la vidéo compromettante, le remplacement de l’acteur principal, démissionnaire, par le réalisateur lui-même, le retrait de la productrice exécutive), le récit prend une nouvelle tournure quand Tom (François Civil, parfait dans le rôle), vieux copain de «Raph», intègre le projet en se faisant passer pour Bartabé, un riche producteur censé aider à éponger l’hémorragie financière du projet.

Seule vraie bouffée d’énergie positive dans un monde peuplé de personnages lâches, menteurs et monomaniaques, Tom/Bartabé se taille la part du lion à chaque apparition, et sa petite combine met le scénario sur de nouveaux rails.

Experts en naturalisme cabotin, à l’aise et à 200 % dans le malaise, Niney, Gotesman et les autres montent avec Fiasco un formidable numéro d’humour «cringe» à la française. Et en profitent pour placer mine de rien quelques tacles au monde du cinéma français, avec ses copinages, ses petites magouilles, ses acteurs divas (Vincent Cassel, forcément), ses dirigeants incompétents, ses scandales et sa manie de ne jamais faire de vagues. Peut-être est-ce pour cette même dernière raison que l’épisode final, qui évoque la domination des plateformes et leur récupération du cinéma (sur Netflix, donc), est aussi le moins féroce ? Voilà une autre histoire.

Fiasco d’Igor Gotesman et Pierre Niney. Avec Pierre Niney, Pascal Demolon, Géraldine Nakache, François Civil… Genre comédie. Durée 7 x 35 minutes. Netflix