Back to Black, le biopic très attendu de Sam Taylor-Johnson sur Amy Winehouse, est sorti hier. L’occasion de revenir sur ces fictions inspirées par des femmes stars de la pop.
Si, en 1976, Viv Albertine a formé The Slits, groupe punk 100 % féminin, c’est parce que les hommes avaient des héros dans le rock, là où elle manquait d’héroïnes. Les rockeuses manquent aussi au rayon biopics, même si des icônes féminines ont été célébrées, comme Nina Simone (Nina, de Cynthia Mort, 2016) ou Aretha Franklin (Respect, de Liesl Tommy, 2021). Sinon, plus proches de The Slits, citons The Runaways (Floria Sigismondi, 2010), film électrique sur le groupe du même nom, qui se voit autant comme une biographie collective qu’en tant que manifeste «girl power». Les «girls bands» se faisant plus rares, ce qui prédomine, ce sont les artistes au singulier, ici singulières si l’on parle d’Amy Winehouse, héroïne rock’n’roll. Ce que Back to Black, biopic signé Sam Taylor-Johnson, s’applique à souligner, comme l’eye-liner au coin des yeux de la chanteuse.
Portrait de femme
Derrière la star, la femme, démaquillée. Les biopics sont comme des making-of, en ce qu’ils montrent les coulisses – par rapport à la scène, moins cools et moins lisses. «J’ai imaginé un pont entre l’image que tout le monde a plus ou moins d’elle et cette photo où elle apparaît de manière bien plus brute», disait Olivier Dahan à propos d’Édith Piaf, pour expliquer le point de départ de La Môme (2007). Les grands noms ont toujours des petits noms, quand on ne les appelle pas par leur prénom, d’Elvis à Janis. Jusqu’à Amy, par ailleurs le titre du documentaire réalisé par Asif Kapadia en 2015. Là où Amy est très musical, Back to Black est très biographique; via l’interprétation de Marisa Abela (photo), le film relate sa vie, pas toujours en rose. Et c’est ainsi que Marisa Abela, à l’instar de Marion Cotillard, devient une star.
Vie privée, vie publique
Le biopic est le genre le plus people qui soit, qu’il filme les amours tumultueuses de l’artiste ou ses relations avec sa famille. Tina (Brian Gibson, 1993) raconte la gloire de Tina Turner autant que ses déboires avec Ike. Le film fait ainsi écho à Back to Black, qui raconte les tourments entre Amy Winehouse et son mari, Blake Fielder-Civil. Question famille, Selena (Gregory Nava, 1997), le biopic sur Selena Quintanilla-Perez, narre entre autres comment son talent a été découvert dès la petite enfance par son père; Back to Black aussi accorde une place importante à Mitchell Winehouse.
Interprètes et interprétations
Dans le biopic, l’actrice peut bien interpréter une chanteuse, encore faut-il bien interpréter les chansons. Certains cinéastes engagent une chanteuse pour en jouer une autre. Alors que c’est Jennifer Lopez qui incarne Selena Quintanilla-Perez, dans Lady Sings the Blues (Sidney J. Furie, 1972), Billie Holiday est campée par Diana Ross. Concernant Tina, Whitney Houston devait se glisser dans la peau de «la tigresse»; ça sera finalement Angela Bassett, laquelle réalisera un biopic sur… Whitney Houston (Whitney, 2014). Quant à Marisa Abela, elle a beau ne pas être chanteuse, il n’y a pas de playback dans Back to Black : l’actrice s’est entraînée à imiter la voix unique d’Amy Winehouse.
Drames musicaux
Le premier biopic de l’histoire du cinéma porte sur une femme: il s’agit de The Execution of Mary, Queen of Scots (William Heise, 1895), film qui raconte donc, non pas la vie de Marie Stuart, mais sa mort. Les reines contemporaines sont les «pop stars», de Loretta Lynn, appelée «The Queen of Country», qui elle aussi a eu son biopic (Nashville Lady, de Michael Apted, 1980), à Madonna, «The Queen of Pop» (à venir : son biopic, réalisé par elle-même).
Pour Amy Winehouse, « star » se traduit ici par « étoile filante »
Avec leur lot de tragédies, les biopics se rapprochent moins des comédies musicales que des drames musicaux. Back to Black n’échappe pas à la règle. On connaît la fin de la vie d’Amy Winehouse, donc le dénouement du film : puisqu’elle a rejoint le «club des 27», «star» se traduit ici par «étoile filante».
Sam Taylor-Johnson en quête de «vérité»
Avant même sa sortie, le film Back to Black a été critiqué pour ses partis pris sur la vie houleuse de la chanteuse britannique Amy Winehouse, qui a profondément souffert de l’attention publique et du harcèlement des tabloïds. «Compte tenu de l’attitude de vautour avec laquelle on s’est acharné sur sa vie, il est presque impossible de trouver une raison sincère de faire un film sur Winehouse, ou du moins une raison qui ne soit pas motivée par l’appât du gain», a fustigé la journaliste musicale Roisin O’Connor dans The Independent.
En 2006, son deuxième album, Back to Black, a fait connaître Amy Winehouse dans le monde entier, porté par le tube Rehab, dans lequel la Londonienne racontait sa bataille contre les addictions. Retrouvée morte d’une surdose d’alcool en 2011, à l’âge de 27 ans, elle a marqué le monde de la musique par sa voix soul éraillée, ses textes intimes et puissants, et son style unique inspiré des pin-up des années 1950.
Neuf ans avant le biopic actuellement en salle, le documentaire oscarisé Amy (Asif Kapadia, 2015) avait été décrié par la famille de la star. Son père fustigeait notamment sa représentation comme un homme «avide» et en «quête d’attention». La réalisatrice Sam Taylor-Johnson a pour sa part assuré que la famille n’avait pas contribué à Back to Black. «C’était important de les rencontrer par respect», a-t-elle expliqué au site Empire, «mais ils ne pouvaient pas me dicter ce que je devais tourner».
La cinéaste britannique a souligné avoir recherché «la vérité» sur la vie d’Amy Winehouse : «Amy aimait son père, quoi qu’il ait fait de bien ou de mal». Eddie Marsan, qui incarne Mitch Winehouse, dit avoir essayé d’éviter de tomber dans la posture «confortable» consistant à «blâmer quelqu’un» pour la mort de la chanteuse, que ce soit son père ou son ex-mari, Blake Fielder-Civil, accusé de l’avoir initiée à l’héroïne. Ce dernier a confié en 2018 qu’il porterait toujours le «fardeau de la culpabilité» pour avoir joué un rôle dans les addictions d’Amy Winehouse.
Marisa Abela, l’interprète d’Amy, a souligné que le but du film n’était pas de «juger» les personnages de l’histoire et leurs décisions : «Si les spectateurs estiment qu’Amy n’aurait pas dû aimer ou faire confiance à telle ou telle personne, c’est leur droit (…) mais les seuls méchants de notre histoire sont les addictions et les paparazzis. On ne dit pas aux gens ce qu’ils doivent penser.»
Back to Black, de Sam Taylor-Johnson. En salle.