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[Gardiens de la nature] Boire de la bière pour protéger l’eau potable !


La Fläschegeescht, portée par Rachel Krier, est l’exemple d’une belle collaboration entre les agriculteurs et les protecteurs de l’environnement. (photos Erwan Nonet)

Avec la Fläschegeescht, le Natur- & Geopark Mëllerdall a coordonné l’an passé un projet pilote qui a démontré que la fabrication d’une bière locale pouvait contribuer à la protection des sources.

Le Mullerthal, géoparc global Unesco depuis avril 2022, est une magnifique région, riche de paysages assez incroyables, mais aussi de grandes ressources en eau potable. Grâce à sa géologie et au grès de Luxembourg, l’eau de surface s’infiltre dans les pores de la roche, entre le calcaire et le sable, ainsi que dans ses nombreuses failles. Grâce à la couche d’argile imperméable située juste en dessous, l’eau est stockée naturellement et ne s’échappe qu’à travers les multiples sources qui jalonnent l’horizon.

Un indice démontre cette abondance : la région est la seule du pays dans laquelle les communes ne sont pas liées par un syndicat de distribution de l’eau potable (à l’exception de Rosport-Mompach, membre du Sidere). «Chacune possède ses propres sources, explique Rachel Krier, animatrice «Ressources eau potable» du géoparc. À l’exception de la commune de Rosport-Mompach qui utilise, en plus de ses propres ressources, l’eau du Sidere, aucune n’est branchée sur les tuyaux provenant du lac d’Esch-sur-Sûre. La plupart des communes disposent simplement d’un réseau de secours partagé avec une commune voisine.»

Carte d’identité

Nom : Rachel Krier
Âge : 31 ans
Fonction : animatrice «Ressources eau potable» du Natur- & Geopark Mëllerdall
Profil : Après avoir commencé des études en sylviculture, Rachel Krier s’est orientée vers l’hydrologie à l’université de Fribourg. Elle a d’abord travaillé pour un bureau d’études spécialisé dans la modélisation des inondations, puis rejoint le géoparc en 2019.

Cette richesse est bien sûr une grande chance, mais elle représente aussi une énorme responsabilité pour toutes ces localités qui doivent assurer, coûte que coûte, la qualité de l’eau distribuée aux robinets de tous leurs habitants.

Les presque 65 sources et captages canalisés du Mullerthal sont ainsi sécurisées par des zones de protection de l’eau potable, régit par un règlement grand-ducal qui impose certaines restrictions. C’est là qu’intervient Rachel : «Les communes gèrent l’aspect technique et moi, j’analyse les risques de pollution et je propose de mettre en place des activités pour que l’économie locale soit compatible avec la protection de l’eau.»

C’est en discutant avec des conseillers agricoles et des agriculteurs que l’idée de faire pousser de l’orge est apparue. «Cette céréale est très intéressante puisqu’elle est cultivée extensivement et nécessite moins d’engrais.»

Avec quelle malterie ?

Et que faire avec ces grains ? L’idée de créer une bière est rapidement arrivée sur la table, mais produire de l’orge brassicole n’a rien d’évident. Il lui faut des caractéristiques particulières pour pouvoir le transformer en malt. Les graines obtenues chez les producteurs luxembourgeois de semences LSG ont été semées en mars 2022 sur presque un hectare au pied de l’Aquatower de Berdorf par Paul Adehm, membre de la coopération agricole Mëllerdall, qui a été soutenu par son conseiller agricole (Convis) et qui en a récolté trois tonnes en juillet. L’envoi d’un échantillon au laboratoire de l’université technique de Munich allait valider le processus : «Notre orge pouvait faire un bon malt !»

Mais même à ce stade, rien n’était joué. Avoir de l’orge brassicole, c’est bien, pouvoir en profiter, c’est mieux. Or il n’existe pas de malterie au Luxembourg. «Nous avons fait le tour de celles de la Grande Région, mais elles appartiennent toutes à d’importants groupes qui produisent d’énormes quantités à chaque fois. On nous proposait d’apporter un lot de 30 tonnes, mais nous étions loin d’avoir cette quantité !»

La malterie Ludwig Zimmermann de Laupheim (pas très loin d’Ulm) a finalement accepté d’utiliser le petit appareil qui lui permet de réaliser ses tests pour préparer l’orge luxembourgeoise. Rachel Krier a donc pu récupérer 200 kg de malt, toujours mieux que rien! L’Echternacher Brauerei, à Bech, a brassé la bière au printemps 2023. La production s’est élevée au total à 54 caisses de 24 bouteilles.

«L’objectif était de sensibiliser tous les acteurs en leur prouvant que nous avions le potentiel pour produire un beau produit, avec des matières premières issues des champs cultivés par des agriculteurs de la région, relève Rachel Krier. Cette mission-là est réussie. Nous avons démontré qu’en mettant toutes nos forces en commun, nous pouvons parvenir à de très belles choses et que la protection de l’eau n’est pas un frein au développement économique.»

La bière, qui a été nommée Fläschegeescht (lire l’encadré), n’a pas été commercialisée. Produite en petite quantité, elle a été distribuée aux communes membres du géoparc et lors des réunions d’agriculteurs locaux. Évidemment, le but ultime serait de la voir en magasin, mais il reste encore du chemin à parcourir…

«Le plus grand défi sera de régler le problème de la malterie, reconnaît Rachel Krier. L’idéal serait de créer une filière locale qui pourrait profiter à différents producteurs. Cela existe en Suisse, alors pourquoi pas chez nous?»

Le Luxembourg ayant une belle histoire brassicole, avec toujours aujourd’hui de grands acteurs élaborant des bulles de qualité, mais aussi une myriade de petites brasseries artisanales, l’idée ne manque d’intérêt! «J’espère que l’on y arrivera!», souffle la coordinatrice du projet, dans un grand sourire. L’eau du Mullerthal ne s’en porterait que mieux.

Qui est le génie de la bouteille ?

Le nom de la bière produite grâce à l’orge du Mullerthal, Fläschegeescht, porte un double sens. «En luxembourgeois, Geescht signifie l’orge, mais aussi le génie», traduit Rachel Krier. Fläschegeescht est donc à la fois le génie de la bouteille, tout comme celui de l’orge.

L’étiquette, conçue par Michel Sabbadini, reprend l’idée du génie de lampe, tout en intégrant une foule de détails qui caractérisent le Mullerthal : sa faune (les chauves-souris, les hérons, les libellules…), sa flore (les arbres, les fougères…), ses champignons, ses fossiles (ammonites), ses cours d’eau, ses moulins… Un condensé du géoparc qui montre bien que l’on boit une bière portant l’identité de toute sa région!

Un commentaire

  1. Au Moyen-âge, on buvait bière ou vin car l’eau, la plupart du temps était polluée et plus ou moins toxique (épidémie de choléra due à l’eau).
    On revient à cette époque?