Tom Wirtgen attaque à 27 ans sa dixième saison avec la noble ambition de remonter dans la hiérarchie et retrouver le goût du succès.
Lorsqu’il parcourt le parc thermal planté à deux pas de chez lui, à Mondorf-les-Bains, Tom Wirtgen, qui n’y est installé que depuis quelque temps seulement, semble comme chez lui. Lena, son épouse, attend un heureux évènement pour le mois d’avril et l’automne prochain, on imagine très bien le couple, accompagné par leurs deux Border Collie, en train de déambuler dans cet écrin de verdure. Pour les virées en Vespa, puisque la passion de papa est particulièrement axée sur les deux et quatre roues des années 60, il faudra attendre quelques années…
Mais en ce vendredi de février où Tom Wirtgen nous a donné rendez-vous dans la calme et reposante brasserie Maus Kätti, il ne sera presque question que de cyclisme.
De son stage routier d’avant-saison qu’il s’apprête alors à effectuer à Calpe avant son début de saison programmé à la mi-mars avec sa nouvelle équipe autrichienne Felt-Felbermayr, une formation de troisième division qui aspire à plus ou moins moyen terme à grimper d’un échelon, ce qui correspondrait d’ailleurs à sa structure actuelle, «déjà très professionnelle», apprécie-t-il.
De sa carrière qu’il s’évertue avec obstination à poursuivre tel le forçat de la route qu’il est devenu au fil des ans. On l’imagine très bien en lieu et place des cyclistes qui forçaient l’admiration, boyaux pliés sur les épaules, pédalant au début du 20e siècle sur des machines archaïques et dont les images sépia peuplent les albums de certains collectionneurs.
Du métier qui a tant évolué ces dernières années, mais qu’il ne veut surtout pas quitter, par passion et par raison, car il lui semble assurément qu’il lui reste encore de beaux jours devant lui.
De ses rêves de succès qui ne sont donc pas encore fanés, même si son dernier bouquet sur la deuxième étape du Tour du Jura remonte à 2018. De ses vingt-sept ans.
De tout et de rien.
On connaît l’histoire familiale des Wirtgen. Celle du papa, Philippe, un ancien vainqueur du Grand Prix Patton chez les juniors, installé comme garagiste à Martelange où se tient en famille une concession Citroën. Tom et Luc, le petit frère qui, longtemps, restait dans sa roue lors des entraînements, y ont passé tant de temps à y tourner en rond, à observer le ballet ininterrompu des mécaniques qui entrent et qui sortent…
C’était incroyable pour moi de partager les séances d’entraînement avec des coureurs comme (Marcel) Kittel, (Mark) Cavendish et bien sûr Tom (Boonen).
À l’ entendre, la passion du cyclisme s’est faite naturellement. «Je ne connaissais rien du parcours de mon père lorsque je m’y suis mis, très jeune», explique celui qui est aussi le gendre de Marco Lux, le président du CT Kayldall.
Tom Wirtgen, 27 ans, entraîne dans son sillage Luc, de deux ans son cadet. Longtemps, le grand frère aiguillonna la trajectoire du petit. «C’était mon modèle, je voulais faire pareil que lui, tout simplement», sourit Luc aujourd’hui. Bien plus tard, ils allaient d’ailleurs porter le même tricot. Pendant quatre ans (en 2017 chez Leopard, puis chez Bingoal Wallonie Bruxelles de 2020 à 2022). Depuis 2023, Luc roule pour l’équipe suisse Tudor alors que Tom, enrôlé l’an passé par l’équipe cosmopolite Global 6 Cycling, d’ailleurs passée sous pavillon luxembourgeois depuis 2024, a trouvé refuge cet hiver en Autriche où il espère bien relancer sa carrière.
Pas un jour ou presque, où les deux frangins ne communiquent. Lorsqu’ils sont au Luxembourg, ils roulent ensemble à la première occasion, même s’ils ne résident plus au même endroit. Ils n’ont jamais cessé de s’encourager. De se motiver. «J’ai bénéficié de ses conseils», poursuit Luc qui aimerait en retour l’aider à retrouver le rang qui doit être le sien.
Car Tom Wirtgen, que Luc se plaît à surnommer «tommeke», en référence à Tom Boonen qui était justement l’idole du grand frère, veut relancer sa carrière lancée tambour battant. Une carrière commencée par une quatrième place lors des Mondiaux espoirs de contre-la-montre. Ça pose un homme.
Un avenir radieux semble lui être alors promis. Pendant quatre ans, il est de tous les stages de l’équipe Quick-Step, qui aime miser sur des potentiels en devenir. «C’était incroyable pour moi de partager les séances d’entraînement avec des coureurs comme (Marcel) Kittel, (Mark) Cavendish et bien sûr Tom (Boonen).»
Toujours est-il qu’il n’a jamais eu l’opportunité d’intégrer l’équipe World Tour. «Je n’ai jamais reçu d’offre. Il faut dire qu’une grosse chute en espoirs première année m’a impacté à ce moment-là, je n’arrivais plus alors à frotter.»
Tom Wirtgen, rouleur de grand style, respirant la classe, au commerce très agréable, un sourire toujours scotché sur les lèvres, a longtemps vu les trains partir alors qu’il restait sur le quai. «Souvent, j’ai dû me débrouiller seul», soupire-t-il. Il pense aussi que sa volonté de pousser sa scolarité jusqu’au bac l’a peut-être un peu trop aspiré vers le réel, l’empêchant de vivre son rêve à fond. «Sinon, je serai un coureur World Tour depuis longtemps», raconte-t-il.
Il n’a que 27 ans, mais a connu la mutation du cyclisme et a vu cette nouvelle génération peser ses assiettes au gramme près de ceci et de cela, assez loin de sa propre conception de son sport basé sur le plaisir. «Chaque année, le niveau monte d’un cran», constate-t-il.
Je le vois réaliser une grande saison et sa spécialité, le contre-la-montre, va finir par ressortir, j’en suis persuadé
Lorsqu’en 2022, en rupture de ban avec son équipe Wallonie Bruxelles Bingoal qui lui avait permis d’acter son passage dans le monde pro, il se retrouve en carafe, il écoute alors la voix de son épouse, institutrice. «Lena m’a dit, vas-y, je crois en toi, continue le cyclisme.» Il rejoint donc Global 6 Cycling, l’envoyant courir aux quatre coins du monde dans le peloton continental. «Cela m’a redonné l’amour du vélo, de l’amitié.»
Il n’avait jamais perdu un goût prononcé de l’entraînement, son bonheur tout con est aujourd’hui encore de rouler et de rouler encore dans la campagne luxembourgeoise et de finir en beauté par les vignes de la Moselle. Par tous les temps, il entretient cette passion dévorante.
Le voilà reparti pour une nouvelle aventure. C’est juste après la Flèche du Sud 2023 qu’il est tombé d’accord avec son équipe autrichienne qui le rémunère dignement.
Le premier stage en Croatie, fin novembre, a toutefois viré au drame puisque sur le trajet en voiture, à six kilomètres de Zadar, un chauffard ivre est venu percuter une des voitures de l’équipe. Trois coureurs, dont les identités n’ont pas révélées, ont été blessés. Nous n’en saurons pas plus, la formation autrichienne imposant à ses coureurs la plus grande discrétion avant la tenue d’un procès. Tom Wirtgen élude poliment le sujet, comme s’il s’agissait d’un dernier nuage gris.
Car sous ses nouvelles couleurs qu’il fait déjà scintiller à l’entraînement, il espère bien démontrer tout au long de la saison qui promet, qu’il dispose encore devant lui d’un avenir radieux. Lui qui pense avoir été par le passé «un peu trop gentil» – «C’est Tom, il n’a jamais appris à sauter de relais en échappée, même s’il me le conseille», commente Luc – affiche désormais un sourire lame de couteau. «Je sais que je suis plus fort aujourd’hui que je ne l’ai jamais été.» Luc abonde : «Je le vois réaliser une grande saison et sa spécialité, le contre-la-montre, va finir par ressortir, j’en suis persuadé.»
Après une petite heure de discussions, Tom Wirtgen repart comme il est venu. D’un pas ferme et décidé.