Un court et réjouissant documentaire revient sur les origines du punk en France, ses représentants, ses idéaux et où ils en sont aujourd’hui, préambule à une exposition dédiée à Bérurier Noir en février à Paris.
Comme le disent plusieurs intervenants du documentaire, non, «ça ne rajeunit personne!», mais la piqûre de rappel fait sens à l’heure où certains dinosaures, à la crête rouge légèrement flétrie, se tiennent toujours debout.
On en veut pour preuve les récents concerts des Washington Dead Cats ou ceux de Ludwig von 88 qui, en septembre dernier et à quelques kilomètres de la frontière du Luxembourg, s’amusait à rappeler une évidence : non, le punk «made in France» n’est pas mort, il a seulement pris de l’âge!
À sa manière, Lionel Boisseau appuie la démonstration avec son court film Punk is not vraiment dead?!, (récompensé par le prix 2023 du meilleur documentaire musical de la Sacem), avec lequel il revient sur plus d’une décennie de joyeux «bordel» (1976-1989), tout en questionnant ses résonances actuelles.
Après une introduction sur la naissance du style, que le réalisateur résume vite à travers le trio le plus connu (Ramones, Sex Pistols et The Clash), le punk fait un bon depuis l’Amérique et l’Angleterre jusqu’en France, avec toute la palette esthétique qui va avec (épingles à nourrice, cheveux colorées sur la tête…) et des groupes qui, le temps d’une soirée ou d’une carrière, vont secouer le paysage musical (et politique) français.
Le documentaire, initié par France Télévisions, part alors à la rencontre de ces trublions des origines, agitateurs colériques ou fantasques. Les tous premiers se nomment Stinky Toys (avec Elli Medeiros qui sortira en 1986 la chanson Toi mon toit), Métal Urbain ou encore Les Olivensteins (dont on retrouve dans le film les titres Fier de ne rien faire et Euthanasie).
«Choquer» et «dégoûter» les gens
Si les racines sont là, la période avant 1981 n’est pas très féconde (en cinq ans n’ont été enregistrés que dix 45-tours et un album, sorti plus tard, apprend-on). C’est la suivante sur laquelle se concentre Lionel Boisseau à travers quelques survivants d’une autre époque : Mat Firehair (Washington Dead Cats), Masto (Lucrate Milk, Bérurier noir), Pat Kebra (Oberkampf) ou Roger des Prés (Les Endimanchés).
Sans avoir la prétention d’être exhaustif, il place aussi sa caméra en coulisses en direction des fans comme René (qui filma les soirées de l’usine Pali-Kao), Jan Lou Janeir (animateur de Décibels sur FR3 Rennes) et même Béatrice Dalle, égérie punk qu’on voit mannequin d’un défilé underground, quelques années avant le succès de 37°2 le matin.
«T’y allais n’importe comment, de n’importe quelle manière, tu sautais partout, on pouvait entrer sans payer», relate-t-elle aujourd’hui, avant de préciser : «Ce n’était pas juste une distraction!»
Non, car derrière l’apparente insouciance («profiter des plaisirs et des joies de l’instant», dit Masto) ou la simple envie de «choquer les gens» ou de les «dégoûter» (comme l’a fait Oberkampf avec sa reprise de la Marseillaise), le punk refuse les injonctions et encore moins celles de ceux qui tirent les ficelles de la société du spectacle.
De toute façon, ils semblent rien y comprendre, comme le montrent des extraits tirés d’images d’archives (dont un saisissant lors d’une émission de Christophe Dechavanne). Autant alors imaginer ses propres armes : l’autoproduction, les fanzines, les radios libres, les squats, les graffitis (ou les pochoirs).
Et quand ce n’est pas suffisant, il reste l’auto-sabotage. Le plus symbolique : quand Bérurier Noir, en 1989, stoppe sa carrière dans un triple concert abrasif à L’Olympia, refermant ainsi subitement les portes du succès qui s’ouvraient à lui.
L’écologie, «urgence politique majeure»
Sur un peu moins d’une heure, à travers une riche documentation, Punk is not vraiment dead?! évite la nostalgie comme on esquive les costauds dans un pogo (une danse «légère et raffinée») et plonge dans un grand bouillon de riffs de guitare et de voix éraillées qui crient à la face de la société toute leur colère.
Musicalement, il remonte au premier hymne de la scène punk française (la chanson I Love You Fuck Off), composé par les très «arty» Lucrate Milk, au sein desquels on retrouve Helno (futur chanteur des Négresses Vertes) et Nina Childress (devenue peintre de renom).
Lionel Boisseau ne pouvait pas non plus oublier un autre titre-référence : Porcherie, de Bérurier Noir (voir ci-dessous), à chanter en cœur lors des manifestations contre l’extrême droite.
Cette traversée tranquille du punk, courant essentiel pour le rock français, aurait pu s’attarder sur les nouvelles propositions, diluées dans de multiples appellations et humeurs (post-punk, hardcore…). Mais elle préfère se demander ce que sont devenus ces artistes aujourd’hui, tout comme leurs batailles.
À l’image, beaucoup n’ont jamais lâché leurs guitares (à l’instar de l’increvable Loran, ex-«Béru» désormais avec Les Ramoneurs de menhirs). Quant aux luttes, elles trouvent un nouvel écho dans la défense écologique. «C’est l’urgence politique majeure!», martèle Roger des Prés qui veille sur son jardin collaboratif, coincé entre une bretelle d’autoroute et le RER de Nanterre (Paris).
D’autres encore donnent de la voix dans les ZAD (Zone à défendre) à Bure, à Sainte-Soline ou Notre–Dame-des-Landes. Oui, l’éthique est sauve et les combats plus que d’actualité. Sûr que le punk aura, dans ce contexte, toujours son mot à dire.
Punk is not vraiment dead?!, de Lionel Boisseau. Disponible sur France TV.
Les punks de Bérurier noir squattent la BnF
Avec une exposition consacrée à Bérurier Noir (1983-1989), groupe phare de la scène musicale alternative des années 1980, la Bibliothèque nationale de France (BnF) mettra à l’honneur, dans un mois à Paris, les toutes premières archives du mouvement punk français à entrer dans les fonds d’une institution publique, et ce, grâce au don de deux membres du groupe.
Petit retour en arrière : en 2021, le chanteur Fanfan (François Guillemot) et le saxophoniste mastO (Thomas Heuer) confient à l’institution une centaine de pièces qui éclairent sur le parcours de leur groupe, et plus largement sur le creuset français de cette contre-culture.
«Par dépôt légal, on reçoit mécaniquement des partitions musicales, mais jusqu’à l’entrée des « Bérus » dans nos archives, on n’avait pas de fonds consacrés à la musique dite actuelle, populaire ou underground», rembobine Benoît Cailmail, commissaire de la future exposition, adjoint au directeur du département de la musique de la BnF.
On y trouve, entre autres, des carnets de notes, des photographies, des vidéos, des accessoires de scène (comme le tambour, les groins en plastique…), des affiches et fanzines (dont celui de Bérurier Noir, Le Mouv’ment d’la jeunesse). «Dans le premier numéro, il y avait une rognure d’ongle. Du coup, on l’a aussi!», s’amuse Benoît Cailmail.
Loin de l’esprit potache et de la simple provocation, l’exposition rappellera aussi que l’aventure collective du punk ne se limitait pas à juste «faire de la musique». Ainsi, le groupe incite ses auditeurs à une prise de conscience, comme en témoignent les affiches de concerts contre le racisme et les violences policières, ou les disques de soutien à des causes diverses.
Il encourage la jeunesse à bâtir une société fondée sur de nouvelles valeurs libertaires, égalitaires et solidaires. «Beaucoup de gens ne connaissent pas les « Bérus », mais ont entendu « La Jeunesse emmerde le Front National », un des marqueurs de cette époque», souligne le responsable de la BnF.
Cette célèbre punchline (issu du titre Porcherie en live à L’Olympia en 1989) est devenue un classique des manifestations face à la montée des extrêmes dans les urnes. Les «Bérus» «réveillent les consciences», déroule Beatrice Dalle dans le documentaire, parlant encore du groupe au présent.
Sans doute parce que cette formation «reflet de la jeunesse d’une époque» trouve une «résonance aujourd’hui», décrypte Benoît Cailmail. La preuve, un autre hymne du Bérurier Noir, Salut à toi, a refait surface en 2020 dans une version devenue virale pendant la crise sanitaire («Merci à toi ô soignant»). Et quoi de mieux qu’un hommage impertinent : un groupe punk d’aujourd’hui, Dalle Béton, éructe sur scène «la jeunesse emmerde le vin conventionnel».
«Même pas mort! – Archives de Bérurier Noir». Du 27 février au 28 avril.
BnF – Paris. Gratuit.