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En Côte d’Ivoire, les chefs revisitent la cuisine locale


À l’image de Charlie Koffi ou Valérie Rollainth, des chefs cuisiniers ivoiriens mettent leur savoir-faire au service des spécialités locales, réinventées en produits phares des restaurants huppés.

Dans les cuisines de son restaurant abidjanais, le chef ivoirien Charlie Koffi harmonise des produits du pays avec un savoir-faire français : comme lui, ses confrères parfois formés à l’étranger sont de plus en plus nombreux à revisiter les spécialités locales.

L’un de ses plats phares : une interprétation de la sauce gouagouassou, emblématique de la Côte d’Ivoire. Un lapin mijote dans une marmite, entouré d’aubergines africaines, d’huile rouge, de poudre d’akpi (une amande) et de fèfè (un poivre). C’est une des «recettes que j’ai tellement appréciées durant mon enfance», confie Charlie Koffi. «Les revisiter était presque une obligation en tant que chef», livre t-il.

Cet amoureux des mets de la Côte d’Ivoire, son pays natal, s’est formé en France avant d’ouvrir à Abidjan son établissement, la Villa Alfira, en 2017. Dans une salle lumineuse du restaurant, dont la vue donne sur un bassin où nagent les poissons au menu entre de petites plantes grasses, Éric Guei goûte le gouagouassou en cassolette qu’il a commandé.

«Je retrouve les saveurs» et «de l’audace», dans un plat qui «mélange savoir-faire occidental» et «saveurs du terroir», explique ce client. Il partage ce repas copieux à la présentation soignée avec son amie, Yasmine Doumbia. «Le gouagouassou, c’est un plat traditionnel ivoirien», et «le voir dans un restaurant pareil, franchement, c’est un plaisir», s’émerveille-t-elle.

Le lieu tranche avec les maquis, restaurants typiques informels et très animés où se mangent avec les mains poulets et poissons braisés, sauces traditionnelles, attiéké (semoule de manioc) et alloco (bananes plantain frites).

Quelques kilomètres plus loin, une cheffe de partie du restaurant huppé La Maison Palmier dresse sa nouvelle création : un amuse-bouche inspiré du placali, plat typique ivoirien composé d’une sauce gluante au gombo, de morceaux de viande et de poisson séché accompagnés d’une pâte de manioc fermenté. Entre les mains de Hermence Kadio, une Ivoirienne formée à Abidjan, le placali devient léger. Le gombo est grillé, le manioc soufflé et transformé en chips.

Le chef cuisinier de ce restaurant au décor épuré, le Français Matthieu Gasnier, propose des amuse-bouches de ce type chaque semaine, avec l’idée de «réveiller un souvenir chez les personnes qui connaissent parfaitement ces plats».

La moitié de sa clientèle est ivoirienne, indique-t-il. «Même si notre cuisine se veut internationale parce que c’est un hôtel cinq étoiles, je pense que c’est un non-sens de ne pas faire un clin d’œil à tous les beaux produits qui nous entourent», affirme-t-il.

Dans les savanes du nord du pays, où le climat est chaud et sec, «on va avoir beaucoup de céréales», comme le fonio ou le sorgho, détaille Charlie Koffi, tandis que dans la zone forestière du sud poussent «des feuilles d’épinard», de «taro» et «des produits typiquement tropicaux» comme les bananes ou l’igname.

Selon le chef cuisinier N’Cho Yapi, fondateur de l’Association des chefs créateurs d’émotions culinaires de Côte d’Ivoire, de plus en plus de ses confrères revisitent des plats locaux. Une tendance commencée au milieu des années 2000.

Les chefs de restaurants huppés «avaient l’habitude de faire des plats occidentaux» avec des produits importés, raconte-t-il. Mais «le coût la vie est devenu un peu cher», ils se sont donc tournés vers des produits aux prix moins élevés «qu’ils avaient sous la main», poursuit-il.

Outre l’aspect financier, N’Cho Yapi note chez ces chefs une volonté de donner «l’accès» à la cuisine locale aux «grands restaurants de luxe» qui fleurissent ces dernières années à Abidjan. De son côté, Valérie Rollainth, cheffe ivoirienne formée à l’Institut Paul-Bocuse, en France, estime que la cuisine de son pays natal doit être réinventée car elle n’est plus adaptée au mode de vie sédentaire des Abidjanais.

«Les légumes sont inexistants», les plats sont «trop cuits» et font perdre les nutriments des aliments, explique-t-elle lors d’ateliers qu’elle propose autour de la nutrition, «choquée de la quantité d’huile» parfois utilisée.

Selon elle, les produits locaux devraient être consommés différemment, comme le gombo, «très bien pour le diabète» s’il est mangé cru. Certaines «maladies sont liées à l’alimentation», affirme-t-elle. Et en Côte d’Ivoire, «tout le monde n’a pas accès aux soins, mais tout le monde peut avoir accès à une alimentation saine», assure-t-elle.