Gilles Roth, fraîchement nommé ministre des Finances, n’est pas en mesure de chiffrer en détail la teneur et le coût de la nouvelle politique fiscale que compte mener le nouveau gouvernement.
Les députés de l’opposition, en quête de précisions sur le volet fiscal du nouveau programme gouvernemental, sont repartis bredouilles, hier matin, après la première réunion de la commission des Finances.
«Il est normal que l’on ne puisse pas encore avancer chaque chiffre dans les moindres détails. Mais je m’attendais à davantage de détails. Je reste convaincue que la nouvelle coalition a procédé à des calculs, car on ne peut pas inscrire des mesures dans le programme gouvernemental sans connaître leur coût ou sans savoir si elles sont finançables», déplore Sam Tanson au nom de la fraction de déi gréng.
D’importantes pertes fiscales en perspective
Taina Bofferding, désormais cheffe de file du LSAP à la Chambre, s’est montrée encore un peu plus acerbe, fustigeant le fait que l’attitude du nouvel exécutif est «contraire à la politique budgétaire responsable» mise en avant par le CSV et le DP. «Nous ne voulons pas que le gouvernement précipite les choses, mais on veut en savoir plus sur la méthode et le financement des mesures fiscales annoncées», complète l’ancienne ministre socialiste.
Diane Adehm, la présidente CSV de la commission, vient à la rescousse de son collègue de parti Gilles Roth, fraîchement nommé ministre des Finances. «À ce stade, il faut comprendre que l’on ne peut pas encore chiffrer au centime d’euro près l’impact et le coût des mesures. Le diable se cache dans les détails», argumente l’élue chrétienne-sociale.
Le flou persiste donc, ce qui ne dérange pas outre mesure Fred Keup (ADR) : «Je ne sais pas si quelqu’un est aujourd’hui en mesure de livrer une réponse sur le coût global des mesures. Toutefois, on va continuer à mettre la pression pour obtenir plus de détails».
La pression augmente néanmoins sur Gilles Roth, d’autant plus que l’État doit craindre un important déficit fiscal en raison de l’arrêt de la Cour constitutionnelle sur la discrimination entre l’imposition des entreprises et des sociétés financières.
Le ministre des Finances a précisé, hier, que quelque 5 000 entreprises doivent être régularisées. «Je ne peux et ne veux pas chiffrer le déchet fiscal avant que les calculs n’aient été effectués dans les moindres détails. De premières indications seront fournies lors de la présentation du budget de l’État 2024, prévue au plus tard en avril prochain», détaille-t-il.
«Avec 5 000 entreprises concernées, le déficit fiscal pourrait se chiffrer à hauteur de millions d’euros. Or nous ne savons pas comment le gouvernement compte procéder», renchérit Taina Bofferding. «Il s’agit d’une perte supplémentaire pour les finances publiques, qui vient s’ajouter à toutes les autres mesures qui auront un impact sur les recettes fiscales», enchaîne Sam Tanson.
Tout comme David Wagner (déi Lénk), la députée des verts s’attendait également à davantage de détails sur les mesures fiscales censées relancer, courant 2024, le marché de la construction. «On ne pourra pas voter de telles mesures s’il n’est pas précisément chiffré quel est leur apport sur le nombre de logements construits et sur les prix de vente et de location», développe l’élu du plus petit parti de l’opposition.
Un premier allègement de 380 millions d’euros
Gilles Roth préfère, dans un premier temps, mettre en avant l’adaptation du barème d’imposition à l’inflation, actée lundi par le Conseil de gouvernement et qui doit entrer en vigueur dès le 1er janvier prochain. «Une compensation fiscale de quatre tranches indiciaires n’est pas anodine. Il s’agit d’un soulagement de l’ordre de 10 % mis sur la table à peine 10 jours après mon arrivée», tient à souligner le ministre des Finances.
Le coût de cette mesure est désormais connu. L’État sera confronté à un manque à gagner de 480 millions d’euros, soit 180 millions de plus que les 300 millions d’euros prévus pour la compensation initiale de 2,5 tranches, décidée lors de la dernière tripartite. «Quelque part, il s’agit d’un coup marketing, sachant qu’avec la non-adaptation du barème à l’inflation, l’État a déjà enlevé aux gens. De plus, il n’y aura pas d’adaptation automatique, ce qui fait que les contribuables auront toujours à supporter une charge d’impôts supplémentaire», tacle Marc Goergen du Parti pirate.
Le ministre des Finances sera de retour demain et vendredi à la Chambre des députés. Les élus de l’opposition espèrent pouvoir enfin y voir un brin plus clair sur la politique fiscale du nouveau gouvernement.
À peine quelques dizaines d’euros en plus?
Il faudra attendre demain pour voir le ministère des Finances publier des exemples de calculs plus détaillés sur l’impact de l’adaptation supplémentaire du barème d’imposition à l’inflation.
Dans le cadre de leurs moyens, déi gréng avancent qu’un célibataire (classe 1) touchant un revenu mensuel brut de 3 000 euros gagnera à peine 14 euros par mois en plus (168 euros par an) grâce à la compensation supplémentaire de 1,5 tranche indiciaire. En tenant compte des 4 tranches, le gain fiscal est de 39 euros par mois (25 euros pour les 2,5 tranches déjà actées) ou de 468 euros par an.
Le même célibataire touchant un revenu brut de 15 000 euros par mois gagne lui 41 euros (1,5 tranche) en plus des 65 euros déjà actés (2,5 tranches). Il s’agit d’un allègement fiscal de 106 euros par mois ou de 1 272 euros par an.
BARÈME Adaptation dès le 1er janvier 2024 du barème d’imposition à 4 tranches indiciaires. D’autres tranches indiciaires échues depuis 2017 pourraient être neutralisées plus tard, à condition que la trajectoire budgétaire le permette.
REVENUS Une réduction, non chiffrée et précisée, de la charge fiscale des petits et moyens revenus est prévue.
CLASSE D’IMPÔT Le gouvernement compte présenter en 2026 un projet pour la mise en place d’une classe d’impôt unique. En attendant, un allègement fiscal est mis en perspective pour les personnes appartenant à la classe 1A (veufs ou célibataires avec enfants). Un pourcentage ou échéancier fait encore défaut.
ABATTEMENT Un abattement fiscal plafonné, en faveur des personnes qui entrent dans la vie active, sera introduit.
TÉLÉTRAVAIL Le gouvernement compte clarifier le cadre fiscal s’appliquant au télétravail.
TAXE CARBONE La trajectoire ne change pas. La taxe sera de 35 euros par tonne de CO2 en 2024, de 40 euros en 2025 et de 45 euros en 2026.
AMORTISSEMENT ACCÉLÉRÉ Le taux de cet amortissement accordé pour la construction de logements locatifs sera augmenté. Il en ira de même pour la durée de la période d’amortissement. Le montant total de cette faveur sera plafonné.
PLUS-VALUES Le taux d’imposition des plus-values réalisées sur la vente d’un bien immobilier sera diminué.
BËLLEGEN AKT (1) Un nouveau crédit d’impôt à des fins d’investissement dans le logement locatif sera introduit pour les seules personnes physiques.
BËLLEGEN AKT (2) Le crédit d’impôt pour l’acquisition d’une résidence principale sera revu à la hausse.
INTÉRÊTS DÉBITEURS Les montants de la déductibilité fiscale des intérêts débiteurs, payés sur des prêts immobiliers, seront augmentés.
ANTI-SPÉCULATION Les travaux relatifs à la réforme de l’impôt foncier et à l’introduction d’un impôt national sur les logements non occupés ainsi que sur les terrains non mobilisés vont être poursuivis.
TVA Le gouvernement cherchera à réduire la TVA logement de 17 % à 3 %.
TAUX D’IMPÔT Le gouvernement s’engage à adapter, en plusieurs étapes, l’imposition des entreprises de manière à les rapprocher à la moyenne applicable dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Ce taux moyen tourne actuellement autour des 21 %. Au Luxembourg, les entreprises doivent pour le moment payer entre 24 et 25 % d’impôts sur leurs revenus.
PME Des allègements fiscaux au profit des petites et moyennes entreprises seront examinés.
TRANSITION Il est envisagé de compléter les bonifications d’impôt afin de soutenir les entreprises qui investissent dans la double transition durable et digitale, ainsi que dans la recherche et le développement.
START-UP Un régime fiscal incitant les personnes physiques à investir dans les jeunes entreprises innovantes dans le domaine de la double transition sera introduit.
TRANSMISSION La fiscalité en matière de transmission d’entreprises sera analysée dans le but de favoriser la pérennité du tissu économique.