Au début du XXe siècle, les grandes expéditions dans les sites préhistoriques ont embarqué des artistes pour transposer sur place les peintures rupestres, et les exposer ensuite dans les centres d’art. Cet art du relevé, un peu oublié, reprend vie au Musée de l’homme, à Paris.
L’exposition «Préhistomania», visible depuis vendredi et jusqu’au 20 mai 2024, offre un panorama inédit des copies grandeur nature de peintures rupestres, dont la diffusion au début du XXe siècle contribua à changer la face de l’art moderne. «Nous voulons que le visiteur éprouve le même choc esthétique qu’ont eu les découvreurs des premiers sites préhistoriques», a expliqué Aurélie Clemente-Ruiz, directrice du Musée de l’homme. D’emblée, on se retrouve en tête-à-tête avec les répliques originales des œuvres millénaires ornant les grottes et abris sous roche d’Afrique du Sud, du Tchad, de Papouasie-Nouvelle-Guinée…
Découvertes à partir de la fin du XIXe siècle, ces traces picturales de nos lointains ancêtres ont suscité une véritable «préhistomanie» chez les artistes et une partie de la population dans le courant des années 1930. Les grandes missions archéologiques ont alors développé une nouvelle forme d’expression : le relevé, pour pouvoir étudier les œuvres fraîchement découvertes, et surtout les révéler au public, dans le souci de partager leur émerveillement premier.
«Les roches, ça voyage mal, donc les relevés étaient la seule façon de les présenter dans les musées», en couleur et grandeur nature, raconte Richard Kuba, l’un des commissaires scientifiques de l’exposition. Avec des techniques variables de calque des parois – sans prélèvement des pigments – afin de restituer l’œuvre fidèlement, avec des détails reproduisant la texture des roches.
Nous voulons que le visiteur éprouve le même choc esthétique qu’ont eu les découvreurs des premiers sites préhistoriques
L’abbé Breuil, le «pape» de la préhistoire qui authentifia les peintures de la grotte d’Altamira, en Espagne, et expertisa la grotte de Lascaux en 1940, passa des centaines de journées sous terre à réaliser des milliers de relevés. L’exposition en présente dix, qui n’étaient encore jamais sortis des collections. L’ethnologue allemand passionné d’Afrique Leo Frobenius a parcouru le monde accompagné d’équipes d’artistes, essentiellement féminines, toutes diplômées d’écoles d’art. La plupart des sites étant difficiles d’accès, ces femmes «ont dû trouver des moyens de copier dans des conditions pas idéales, dans des climats souvent secs où les peintures séchaient très vite», dit Egidia Souto, maître de conférence en histoire de l’art de l’Afrique à l’université Sorbonne-Nouvelle et commissaire de l’exposition.
À l’entrée du parcours, le visiteur est accueilli par une grande photo de l’une d’entre elles, une femme allemande, nommée Agnes Schutz, qu’on voit assise sur une chaise de fortune, en train de peindre sur une grande toile à l’entrée d’une caverne. Cette dessinatrice, la première à avoir travaillé avec Leo Frobenius, dès 1923, réalisa au moins 700 reproductions de gravures rupestres lors des missions en Afrique du Sud, en Libye, en Scandinavie, en Australie…
Entre 1912 et les années 1950, les équipes de Leo Frobenius ont produit quelque 8 000 relevés à travers le monde. Une centaine d’entre eux ont été accrochés aux murs des plus grands musées du monde : à Paris, dans une quarantaine de villes européennes, une trentaine de villes américaines, «jusqu’à Honolulu», précise Richard Kuba. Avec un point d’orgue au Museum of Modern Art (MoMA) de New York, en 1937 : pour la première fois, ces copies furent présentées comme des œuvres d’art, accompagnées d’œuvres modernes, sans aucune information contextuelle.
Le parti pris d’Alfred Barr, alors directeur du musée new-yorkais, a été payant : critiques d’art et artistes sont alors «soufflés» par le travail des peintres préhistoriques, décrits comme les premiers surréalistes, selon le Musée de l’homme. Nombre d’artistes comme Jackson Pollock, Paul Klee, George Bataille, Picasso ou encore Jean Arp, s’en inspirèrent. Aujourd’hui, le relevé reste une étape fondamentale pour les préhistoriens, même si les méthodes, plus respectueuses, ont considérablement changé.
Les sites les plus fragiles comme Altamira, Lascaux ou Chauvet, ne sont plus visibles que sous forme de répliques. Mais beaucoup ne connaissent pas ce niveau de protection, et une grande partie des relevés présentés à l’exposition sont l’occasion de contempler des œuvres aujourd’hui effacées.