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Carlo Thelen : «Une reprise s’annonce très difficile»


Pour Carlo Thelen, la dégradation de la situation n’a rien d’«étonnant». Il renvoie vers une confiance des entreprises qui était déjà en baisse au premier semestre. (Photo : archives lq/julien garroy)

La récession qui pointe à l’horizon plombe encore davantage la confiance des entreprises. Le directeur de la Chambre de commerce, Carlo Thelen, livre des pistes pour relancer la machine.

Les résultats du baromètre de l’économie du second semestre 2023, une enquête réalisée auprès d’un échantillon représentatif d’entreprises, confirment la poursuite de la dégradation du climat des affaires. Le directeur de la Chambre de commerce, Carlo Thelen, dresse un état des lieux d’une économie nationale, qui se voit aujourd’hui confrontée à une récession.

Les entreprises sont engagées depuis début 2020 dans un genre de cercle vicieux avec successivement la crise sanitaire, la crise énergétique et l’inflation galopante. Quel est le degré d’inquiétude dans les différents secteurs ?

Carlo Thelen : Le baromètre de l’économie du premier semestre de cette année a déjà indiqué une baisse de la confiance et de l’activité. La dégradation de la situation n’a donc rien d’étonnant. Après les crises successives, les entreprises voient aujourd’hui leur capacité à investir compromise par l’augmentation rapide et importante des taux d’intérêt. Ces hausses étaient bien censées faire baisser l’inflation, mais il est toujours difficile de trouver le bon dosage pour éviter un refroidissement trop important de l’économie. À tout cela s’ajoute désormais la crise au Proche-Orient, dont les effets sur la confiance des entreprises restent à évaluer (NDLR : l’enquête a été clôturée le 6 octobre, à la veille de l’attaque du Hamas).

Le Statec misait encore au printemps sur une croissance économique de 1,5 %. Comment expliquer l’inversion de la tendance, avec la mise en perspective d’une récession ?

En début d’année, on s’était en effet attendu à une reprise, mais il s’avère que les prévisions ont été trop optimistes. Je tiens toutefois à souligner que les entrepreneurs sont encore 74 % à avoir confiance en l’avenir de leur entreprise à moyen terme. Cela n’empêche pas une chute globale de la confiance qui s’explique par une demande qui a fortement baissé, en dépit des très chères mesures tripartites, censées renforcer le pouvoir d’achat. Aujourd’hui, la flambée des taux d’intérêt impacte fortement la consommation des ménages.

Les ménages et les entreprises paient trop d’impôts

Quel effet une récession, estimée au mieux à 0,8 %, aura-t-elle sur l’économie luxembourgeoise ?

Il faut constater que la confiance est également en berne en Allemagne et en France. Sachant que les grands partenaires économiques du Luxembourg connaissent aussi une situation compliquée, la récession pointait déjà à l’horizon. L’industrie est notamment fortement impactée par les prix de l’énergie. D’ailleurs, il faudrait réfléchir à réintégrer le ressort de l’Énergie dans le ministère de l’Économie, afin de disposer d’un levier pour faire baisser les prix de l’énergie pour l’industrie. Il est à souligner que le Luxembourg vit de ses exportations. Il nous faut renforcer la compétitivité des entreprises pour qu’elles puissent mieux s’imposer sur les marchés étrangers. Cela générerait plus de revenus et de recettes fiscales. La consommation interne n’est pas suffisante pour inverser la tendance. L’économie a besoin de plus de stabilité et de prévisibilité, mais avec la crise au Proche-Orient, on risque de connaître une plus grande volatilité au niveau des prix du pétrole. Pour les taux d’intérêt, rien ne bougera a priori avant la mi-2024. Sous ces conditions, une reprise s’annonce très difficile.

Il faudra miser sur quelles mesures pour réussir le rebond ?

Nous avons toujours plaidé pour des mesures fiscales. Il ne s’agit pas de mettre en opposition les personnes physiques et les entreprises. Il est un fait que les deux paient trop d’impôts. Pour ce qui est des ménages, il faut adapter les barèmes d’imposition à l’inflation. Mais nous sommes assez réalistes pour savoir que l’on ne dispose pas de la marge financière nécessaire pour le faire en un seul coup. Le même constat vaut pour les entreprises. C’est pourquoi nous plaidons pour une feuille de route à mettre en œuvre dans le courant de la législature afin de réduire le taux d’imposition des entreprises à la moyenne européenne qui est de 21 %. Un autre élément pour ramener la confiance est une simplification administrative massive, voire la suppression de certaines procédures. Cela est surtout important dans la construction, où il nous faudra rapidement relancer la machine.

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Processus de sélection

Un autre facteur est le coût de la main-d’œuvre, où le camp patronal ne cesse de clamer qu’elle affecte trop lourdement la rentabilité. Vous proposez quels remèdes ?

Je citerais notamment l’indexation des salaires, qui a certainement des vertus en période d’inflation modérée. Elle  constitue toutefois un lourd fardeau pour les entreprises dès que les prix s’emballent. C’est la raison pour laquelle, dans le cadre du débat électoral, la Chambre de commerce a plaidé pour une évolution du système d’indexation basée sur trois piliers : une seule indexation maximum par an, une indexation plafonnée à partir de 1,5 fois le salaire mensuel médian et des tranches dégressives à partir de 4 fois ce salaire médian, le tout basé sur un panier de la ménagère durable.

La récession attendue amène aussi une dégradation sensible des finances publiques. Redoutez-vous que les moyens puissent manquer pour mettre en œuvre les mesures de relance ?

L’évolution des finances publiques n’est également pas une surprise. On est notamment confronté au grand défi de la sécurité sociale. Même si le bilan de l’assurance maladie sera plus positif que prévu, il faut constater que c’est l’inflation qui embellit les chiffres. Pour avancer, il faudra se montrer beaucoup plus sélectif, notamment en aidant ceux qui sont vraiment dans le besoin. Dans ce contexte, il faudrait peut-être aussi remettre en question le principe de la gratuité de certaines prestations pour tout le monde. Pour améliorer la rentabilité et la compétitivité, il sera indispensable d’investir davantage dans l’éducation, dans le volet recherche et développement, ainsi que dans l’innovation. Le futur gouvernement ne pourra pas économiser dans ces domaines, car il s’agit d’investissements dans l’avenir du pays.