L’exposition expérimentale «After Laughter Comes Tears», dédiée à la performance artistique, écrit un nouveau chapitre dans l’histoire du Mudam.
L’air de rien, le Mudam a inauguré sa nouvelle saison par une petite révolution ou, du moins, par le premier chapitre de la révolution en marche dans les espaces du musée. Elle prend la forme d’une exposition – jusque-là, rien de bien étonnant. Mais, en préambule au programme artistique de la nouvelle saison, qui débutera avec l’exposition en trois temps «A Model», dont le premier volet sera inauguré début décembre, place à la Mudam Performance Season (deuxième du nom) et à «After Laughter Comes Tears», une expo à voir comme une profession de foi. Car cette nouvelle saison du Mudam, la première conçue par Bettina Steinbrügge, qui a pris la suite de Suzanne Cotter en avril 2022, répond sans attendre aux ambitions de la directrice. À commencer par trois points fondamentaux : «comprendre et donner à voir le monde d’aujourd’hui», «s’engager activement dans les formes contemporaines» et «exercer un travail accru sur la collection».
Ainsi, donc, «After Laughter Comes Tears» – sous-titre : «une exposition performative en quatre actes». Et définitivement expérimentale. La performance, mode de création contemporain par excellence, est aussi l’art du corps, de l’intense et du moment présent; y consacrer une exposition sur trois mois semblait alors relever de l’impossible. C’était compter sans l’expertise des deux commissaires d’exposition, Joel Valabrega et Clémentine Proby, qui, outre l’idée de considérer aussi l’installation et le film comme objets performatifs, ont choisi comme point d’ancrage le corps même. Une réponse au titre de l’exposition : on y explore la place et le rôle du corps dans la société capitaliste contemporaine, en prenant comme extrêmes, donc, le rire et les larmes.
Variations sur le corps
Au Mudam, la performance est une réponse forte, presque militante, à l’ambiguïté d’un phénomène systémique qui lie crise climatique, «fake news» et accès à l’information, montée de l’extrême droite, changement des normes, culture numérique et colère généralisée. L’exploration du corps peut ainsi être liée à l’image du corps – c’est le cas chez l’artiste visuel Dorian Sari, qui, avec Look! (2021), tente d’attirer l’attention de la caméra braquée sur lui vers un phénomène qui se déroule hors champ. Elle peut aussi être en relation avec les mutations ou dégradations corporelles, comme chez Panteha Abareshi qui, avec Not a Body (2022), livre une variation douloureuse, et en vidéo, sur le statut d’objet d’art que les artistes performatifs donnent à leur corps.
Des artistes comme Marie Munk (Big Energy, 2021), Kate Cooper (Symptom Machine, 2014-2019) ou Stine Deja (Assembly, 2022) interrogent quant à elles le rapport entre la chair, élément sensible, et le virtuel, qui redessine, noie et monétise ce qui est concret. L’installation de Marie Munk, inconfortable, évoque l’univers de David Cronenberg, quand celle de Stine Deja, plus ludique, n’attise pas moins notre anxiété. La vidéo d’Artur Żmijewski, Temperance and Toil (1995), est peut-être la plus visionnaire et la plus marquante des œuvres à ce sujet. Diffusée au cours du deuxième acte – justement intitulé «Crisis mode : on» («Mode crise activé») –, elle montre deux corps, l’un masculin, l’autre féminin, qui se meuvent, puis se déforment; dénué de toute dimension genrée et sexualisée, le corps est ici présenté, dans un geste fort, comme le canevas sur lequel se forment les cicatrices des violences «invisibles» – sociales ou politiques.
Un performeur comme un autre
La grande majorité des œuvres présentées par les commissaires sont très récentes et réalisées au cours des trois dernières années – dans un monde pandémique ou post-pandémique, donc. On peut tisser la relation entre l’œuvre et son contexte, mais le parti pris du Mudam est autre : faire du visiteur un performeur comme un autre, ou presque. La scénographie, riche et complexe, évoque le théâtre et fait passer l’exposition pour «vivante» lorsque les œuvres vidéo s’activent, bluffant la supposée passivité du visiteur de musée.
Quant au dernier point soulevé par Bettina Steinbrügge, il semble que cette exposition ait un rôle à jouer. Des œuvres comme l’installation Floor Piece, de Cem A., ou Long Story Short, de Lukáš Hofmann, sont des commandes du musée. L’œuvre de Julika Rudelius Forever (2006), déjà montrée plusieurs fois et qui appartient au musée, est encore une fois sortie de la collection pour occuper les murs de l’exposition. Et, outre l’installation de Monira Al Qadiri Deep Float (2017), qui évoque la fameuse fontaine de Su Mei-Tse, pièce emblématique du musée, on pourra approcher une première fois le travail de la Canadienne Sin Wai Kin (The Story Style, 2022), dont la série Portraits, qui a valu à l’artiste le prestigieux Prix Baloise 2023, vient d’entrer dans la collection du Mudam. «After Laughter Comes Tears» est donc bel et bien une exposition qui fera l’histoire du musée.
Jusqu’au 7 janvier 2024. Mudam – Luxembourg.