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[L’album de la semaine] Avec Sit Down for Dinner, Blonde Redhead remet le couvert


(photo DR)

Cette semaine, Le Quotidien a choisi d’écouter le dernier album de Blonde Redhead, Sit Down for Dinner, sorti le 29 septembre sur le Label Partisan Records.

On ne vantera jamais assez l’importance d’un bon repas, aux vertus bien plus larges que celle d’être simplement rassasié. Non, se poser à table, comme le suggère le titre de ce nouvel album de Blonde Redhead, permet d’échanger, de gommer les blessures, de se fixer des objectifs, de rire, de pleurer, de s’aimer… Bref, de se retrouver, en famille ou entre amis, et de conforter ce socle commun qu’est le collectif, alchimie indissociable à toute société, jusqu’aux plus anciennes. D’une certaine manière, après une quasi-décennie d’absence, de dissensions et de douleurs, le trio passe ici en cuisine, sort les couverts et réaffirme les valeurs du vivre-ensemble.

Celles qui unissent Kazu Makino aux jumeaux Amedeo et Simone Pace remontent à trente ans. La ville de New York, leur berceau, a toujours aimé cet étrange assemblage «arty», avec cette chanteuse à la voix éraillée, au bord de la cassure, originaire du Japon, et ces frères touche-à-tout débarqués de Milan, se ressemblant comme deux gouttes d’eau. Depuis 1993, ces grands fans de Sonic Youth, autre emblème de la ville, ont pris tranquillement leurs distances avec la scène rock-noise des débuts. Fini les couches de guitares et les mélodies chaotiques, place à un son pop éthéré, construit au fil des albums. Sommet de cette transformation : le superbe Misery is a Butterfly (2004).

Sit Down for Dinner célèbre une libération et des retrouvailles, mais sans grandiloquence

Depuis, il y a eu de bonnes choses et, malheureusement, de moins bonnes : 23 (2007) et Penny Sprakle (2010), disques bien sentis, dévoilaient de subtiles appétences pour l’électronique à la Beach House. Mais Barragan, le suivant, lisse et décousu, confirmait qu’il y avait bien de l’eau dans le gaz au cœur du couple formé par la chanteuse et l’un des frangins. Résultat? Un album solo pour elle (Adult Baby, 2019) et juste quelques miettes à se mettre sous la dent de la part du groupe, soit une grosse compilation (Masculin Féminin, 2016) et un bref EP (3 O’Clock, 2017). De quoi se demander si Blonde Redhead n’était plus qu’un bon souvenir.

Sit Down for Dinner célèbre donc une libération et des retrouvailles, mais sans grandiloquence. Car il porte en lui une autre constante, l’autre face de la pièce : celle de l’absence et ce temps qui, toujours, s’échappe (comme disait Lamartine). Un spleen existentiel né de la lecture d’un roman autobiographique : The Year of Magical de Joan Didion, qui relate la mort soudaine de son mari alors que le couple dînait. De quoi rappeler brutalement au trio, en 2020, la souffrance du moment et cette pandémie qui isole, sépare, divise, tue. Kazu Makino, Amedeo et Simone Pace se retrouvent, comme beaucoup, à des milliers de kilomètres de leurs familles. De quoi donner de la matière à ces onze titres, tous habités par la mélancolie.

L’idée est simple : face à l’anxiété qui plombe les esprits, il faut chercher le beau, où qu’il se trouve. Sur presque 50 minutes, Blonde Redhead y parvient, avec une touche plus atmosphérique que d’habitude. Ici, c’est le clavier et la guitare en mode folk qui mènent la danse, sur la pointe des pieds. Une écriture simple et humble, sorte de mélange entre Nick Cave et This Mortal Coil (le côté sombre en moins). Mais l’épure ne se fait pas sans les déviations et déconstructions usuelles afin de rappeler qu’une chanson, aussi délicate soit-elle, doit avoir du relief, du caractère. Pour tout ça, Sit Down for Dinner est d’un bel équilibre, entre mélodies rêveuses et tourments bien terriens. Il confirme aussi, en creux, une chose essentielle : que la musique, comme une bonne tablée, peut elle aussi assembler les cœurs et raccommoder les âmes.