Un an après la mort de Mahsa Amini et le soulèvement des jeunes Iraniens, Ali Fatemi revient sur l’impact de ces évènements sur la société iranienne et sur le devenir de son pays.
Ali Fatemi a vécu jusqu’à l’âge de 23 ans en Iran. Entre répression et police de la moralité, il a décidé de quitter définitivement son pays en 2009. Depuis l’Europe et le Luxembourg, son lieu de vie depuis plus de treize ans, il est partagé entre deux sentiments : l’inquiétude à propos d’un régime dictatorial qui sème la terreur, mais aussi l’espoir nourri par «un peuple qui n’accepte plus de vivre sans liberté».
Il y a un an, le peuple iranien, surtout les jeunes, décidait de protester contre la mort de Mahsa Amini. Aujourd’hui, quelle est la situation en Iran ?
Ali Fatemi : Avant le soulèvement de septembre 2022, l’Iran en avait déjà connu d’autres : il y a cinq ans, puis deux ans, avant celui de l’année dernière. Mais celui que nous avons connu en 2022 était bien plus radical. Beaucoup de personnes y ont participé, au prix parfois de leur vie. Aujourd’hui, les Iraniens et surtout les jeunes ne veulent plus de ce régime dictatorial qui sème la terreur, la répression et les exécutions. Le soulèvement de l’année dernière se poursuit. Des citoyens, parmi lesquels des femmes et des jeunes, se regroupent à travers des groupes pour montrer leur opposition à ce régime. On sent que quelque chose est en train de se préparer. Si cela aboutit, cela sera encore plus fort qu’en septembre, car aujourd’hui la société iranienne est devenue explosive.
Votre famille est toujours en Iran. Comment vit-elle ?
La vie est de plus en plus compliquée pour les Iraniens. Les répressions et arrestations continuent. Des milliers d’étudiants ont été convoqués par le régime pour les obliger à ne pas participer aux manifestations, sous peine de punitions sévères. Des professeurs qui avaient soutenu le soulèvement ont été licenciés et remplacés par des enseignants du régime qui n’ont aucune compétence. D’autre part, la situation économique est catastrophique. Plus de 70 % de la population est pauvre. Il est très difficile de trouver un travail ou de quoi manger. Il y a aussi une très grosse inflation. Les prix ont augmenté de plus de 50 % alors que les salaires sont les mêmes. Mes parents n’ont jamais eu de problèmes financiers, mais aujourd’hui, tout est plus dur pour tout le monde. La classe moyenne supérieure d’il y a 14-15 ans vit actuellement comme la classe moyenne du passé.
Le soulèvement qui a suivi la mort de Mahsa Amini était aussi une révolte contre la condition des femmes iraniennes. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Les premières victimes du régime, ce sont les femmes. Aujourd’hui, malgré ce soulèvement, les conditions restent les mêmes. Elles ne peuvent pas quitter leur pays sans demander la permission à leur mari. Elles doivent porter le hijab ou ne peuvent pas avoir des activités politiques. La nouvelle génération de femmes ne supporte plus ces obligations et veut être libre de choisir sa propre vie.
J’ai été arrêté par la police de la moralité pour une simple discussion avec ma copine de l’époque
Vous avez été vous-même témoin de la répression du régime.
À l’époque, j’avais une vingtaine d’années, j’étais avec ma copine de l’époque dans un parc à Téhéran. Nous étions assis sur un banc en train de discuter. La police de la moralité, la même qui a tué Mahsa Amini, nous a arrêtés. Heureusement, nous avons pu discuter avec eux pour ne pas subir une sanction. Car en Iran, à l’époque, et encore aujourd’hui, un homme ne pouvait pas être dans la rue avec une fille qui n’était pas sa femme. C’est quelque chose qui peut sembler fou ici en Europe, mais c’est ce qui est imposé là-bas. C’est pour l’une de ces raisons que je suis parti de l’Iran, car je n’avais aucune liberté et pas de futur clair. Je n’y suis jamais retourné depuis. D’une part, parce que je ne tolère pas ce régime et, d’autre part, car au vu de mes activités politiques et d’activiste, cela peut être très dangereux de m’y rendre.
Quel regard portez-vous sur le devenir de votre pays ?
Je lui vois un futur positif. La solution viendra de l’intérieur, du peuple, car nous savons aujourd’hui la position de l’Occident vis-à-vis de l’Iran. Le pays a beaucoup de richesses : le pétrole, le gaz… Il est le premier exportateur de pistaches et de safran. Malheureusement, tout cela, le peuple iranien ne peut pas en bénéficier à cause de la dictature (…). L’image de notre pays est toujours représentée par ce régime. Mais l’Iran est aussi autre chose que cela. C’est un très beau pays, celui des quatre saisons, avec la mer, la montagne. J’ai moi-même skié à Téhéran. Ce sont des choses qui sont malheureusement impossibles à faire connaître à des étrangers à cause de ce régime.