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Noyer le poisson

Tout baigne ! Le gouvernement nippon la qualifie de purifiée et l’entreprise Tepco la considère comme traitée. Affaire réglée. Les défenseurs de l’environnement et les habitants de la région de Fukushima, eux, la jugent tout simplement contaminée. L’eau qui a servi à refroidir les cœurs des réacteurs en fusion de la centrale nucléaire, après la catastrophe de 2011, provoque le trouble. Le processus de rejet dans le Pacifique doit débuter demain et s’étaler sur les trente prochaines années… L’on parle d’une bagatelle de 1,3 million de tonnes.

Le Premier ministre Fumio Kishida, soutenu par l’Agence internationale de l’énergie atomique, affirme que l’opération ne présente aucune menace ni pour les écosystèmes ni pour la santé humaine. D’ailleurs, cette eau quelque peu radioactive – la dépollution n’a pas permis d’éliminer les concentrations insolubles de tritium – sera même inoffensive une fois au large des côtes, paraît-il. Rappelons qu’en 1986, autorités et experts assuraient que le nuage de Tchernobyl s’arrêtait pile aux frontières. Une aberration largement acceptée en Europe, à l’époque.

Cette fois, les voisins du Japon ont immédiatement crié au scandale. Hong Kong a décidé d’interdire les importations de produits marins, tandis que la population sud-coréenne ne cache pas son inquiétude depuis plusieurs mois. Ni les pêcheurs locaux, qui souffriront longtemps d’une certaine défiance. La réaction la plus vive est venue des Chinois, arguant que «l’océan est la propriété de toute l’humanité». Une vision plus géopolitique qu’écologique de la part de Pékin, certes, mais la colère est légitime. Tokyo s’arroge en effet le droit d’évacuer ses effluents souillés à la flotte, comme on tire la chasse d’eau. En même temps, le monde entier prend déjà les profondeurs pour une décharge. On y balance des montagnes de déchets plastiques, on y laisse des vieux cargos rouillés larguer leurs hydrocarbures. Bref, on dérive.

En juin dernier, les États membres de l’ONU adoptaient le premier traité international visant à protéger la haute mer, avec un retentissement «historique» et la promesse d’agir concrètement pour la préservation d’une ressource vitale. Une façon de noyer le poisson, surtout.

Alexandra Parachini