Carole Muller, la présidente de la nouvelle Luxembourg Confederation, évoque la «situation très fragile» qui règne dans le commerce, mais aussi dans les services et les transports. Explications.
À la mi-juin, la Confédération luxembourgeoise du commerce (clc) est officiellement devenue la Luxembourg Confederation. Quelle a été la réflexion derrière ce changement de nom, avec à la clé une nouvelle identité visuelle?
Carole Muller : Il s’agit du résultat d’un processus lancé 18 mois plus tôt. Historiquement, la clc a été créée par des commerçants. Dans les années 80, les entreprises de transport ont été intégrées, suivies des services dans les années 2000.
Or ces deux secteurs d’envergure étaient sous-représentés dans le nom et l’identité visuelle de notre confédération. Partant de ce constat, il a été décidé de trouver un nouveau nom clair, représentatif et orienté vers l’avenir. Le choix est tombé sur Luxembourg Confederation of Services, Commerce and Transport.
Passons en revue les trois secteurs que vous représentez, à commencer par le commerce. Après la pandémie, mais aussi avec la poussée inflationniste, comment se porte ce pilier historique de la Luxembourg Confederation?
Globalement, le secteur a sérieusement récupéré après la crise sanitaire, mais la situation est encore très fragile pour certaines entreprises. Toute une série d’acteurs se portent plutôt bien, d’autres sont plus mal en point, comme par exemple les vendeurs de meubles.
On constate d’ailleurs que l’indice de consommation est toujours assez bas. En dépit d’une certaine reprise, il n’atteint pas encore le niveau d’avant-pandémie. L’autre difficulté est la hausse massive des frais, que ce soit le prix d’achat pour la marchandise, les frais salariaux ou la facture d’énergie.
Cette flambée réduit les marges et freine les investissements, alors que dans certains domaines, le besoin d’investir est important. Or, avec la hausse des taux d’intérêt, les choses se corsent. Il faudra observer comment la situation va évoluer après la rentrée de septembre.
Les services constituent toujours une des épines dorsales de l’économie luxembourgeoise. Le secteur semble avoir moins souffert de la pandémie. Quelle est aujourd’hui la situation?
Il existe, en effet, une série d’acteurs qui ont moins souffert de la crise sanitaire. Les services constituent probablement le domaine d’activité le plus vaste que nous représentons. Parmi les coûts les plus importants, on retrouve le personnel, avec les multiples tranches indiciaires tombées dans un délai de 18 mois.
Le même constat vaut pour le secteur conventionné, tel que les crèches. Il ne faut pas être un grand mathématicien pour savoir que les marges bénéficiaires se réduisent. Sans soutien, la situation risque de rapidement se détériorer.
Quels sont les domaines d’activité qui sont le plus menacés?
Je songe en premier lieu à l’immobilier, qui pendant de longues années a très bien tourné. Aujourd’hui, les interrogations sont nombreuses. La Fédération des artisans est davantage concernée par le volet de la construction. Nous comptons parmi nos fédérations affiliées la Chambre immobilière, mais aussi des entreprises qui vendent des cuisines, du carrelage, etc.
Personne ne sait vraiment à quoi s’en tenir. Il sera d’autant plus important que le prochain gouvernement réagisse très rapidement, car de très nombreux emplois sont en jeu dans les PME. Si elles doivent commencer à licencier, il s’agira d’un énorme problème pour l’économie nationale.
Le secteur des transports est confronté aux prix élevés du carburant. Ce coût est-il désormais mieux maîtrisé?
On a demandé, en vain, que la taxe carbone (NDLR : passée de 25 à 30 euros par tonne de CO2 en janvier) soit repoussée en arrière. Nous savons dorénavant que la taxe va augmenter jusqu’à 45 euros en 2026. Il s’agit certainement d’un problème, d’autant plus que d’autres pays – l’Allemagne notamment – ont mis la taxe carbone entre parenthèses.
La pression ne fait qu’augmenter sur nos entreprises, confrontées à l’importante concurrence des grands pays voisins. Le problème le plus important demeure toutefois le manque de personnel. Les chauffeurs frontaliers ne peuvent travailler que 25 % dans leur pays de résidence sans être désaffiliés de la sécurité sociale luxembourgeoise.
Par exemple, nous disposons d’entreprises de bus qui exploitent des lignes transfrontalières. Elles se voient peut-être contraintes de faire rouler un chauffeur allemand pour assurer les trajets vers la France, alors qu’il serait plus logique que ces courses soient prises en charge par un conducteur francophone. C’est pourquoi nous continuons de presser le gouvernement de conclure de nouveaux accords bilatéraux avec les pays voisins.
Pour rendre le marché du travail plus attractif, certains partis politiques plaident pour une réduction du temps de travail. Cette mesure est très fortement contestée. Également par votre confédération?
Nous voyons un grand problème dans l’approche d’imposer cette réduction par le haut. On ne cesse de clamer que les entreprises doivent proposer des services plus spécifiques, tenant compte des besoins individuels de chaque client. Une éventuelle réduction du temps de travail doit, dès lors, se faire à l’échelle des entreprises, et plus encore en fonction du salarié.
Les spécificités sont telles qu’il n’est même pas possible de le faire de manière sectorielle. C’est pourquoi nous plaidons pour une évaluation en interne de la manière de s’organiser. Néanmoins, au vu de la pénurie de main-d’œuvre, il n’est pas vraiment concevable de réduire le temps de travail. Nous sommes déjà confrontés à un énorme problème de mobilité. La durée des trajets a quasiment doublé ces dernières années.
Et maintenant, on veut encore drainer davantage de salariés en réduisant le temps de travail? Il nous faut rester cohérents. Il ne faut également pas oublier qu’il est déjà possible de négocier avec son patron un temps de travail réduit. On se trouve dans une situation où l’on ne va pas écarter un candidat qualifié uniquement parce qu’il veut travailler moins de 40 heures par semaine.
Quelles sont vos propositions pour augmenter l’attractivité du marché du travail?
La mobilité et le logement sont certainement des facteurs. Ensuite, l’organisation du temps de travail doit être rendue plus flexible pour mieux tenir compte de la situation de vie des salariés. Il existe des moments dans la vie où l’on est prêt à travailler plus, et d’autres où l’on souhaite travailler moins. Le cadre légal actuel empêche encore souvent de trouver des solutions qui peuvent servir la cause de l’employé et de l’employeur.
Comme d’autres associations patronales, vous êtes plutôt critique par rapport à l’index. Quel doit être le modèle d’avenir pour cet acquis social, souvent qualifié de vache sacrée?
On n’est pas opposés à l’index en tant que tel. Mais nous sommes clairement d’avis qu’il faut se limiter au versement d’une seule tranche par an. La pression de ces dernières années, avec la succession de tranches, a été gigantesque pour les entreprises.
Une autre possibilité est de plafonner l’index et de changer la composition du panier de la ménagère. Il existe plusieurs options. Notre plus grand problème est que l’index est tabou pour les syndicats. Il faut pouvoir discuter, lors d’une prochaine tripartite, s’il est toujours sensé que les plus gros salaires touchent un index. Ma réponse est clairement non.
La transition énergétique et celle digitale sont deux autres enjeux majeurs. Ce double virage est-il déjà entamé par vos membres?
Dans les PME, souvent les connaissances manquent pour se lancer. Il faut aussi dégager les moyens de faire les investissements nécessaires. Beaucoup de mesures d’aide existent déjà. Il faut continuer sur cette voie, car les entreprises qui ne s’engagent pas dans cette double transition vont connaître d’importants problèmes à l’avenir.
En interne, nous organisons des webinaires pour aborder différentes thématiques. Une prochaine étape doit être la mise en place par l’État d’un one-stop shop. L’idée est que les chefs d’entreprise puissent s’adresser à un point de contact unique afin d’obtenir toutes les informations nécessaires pour se lancer dans la transition énergétique.