Cette année, son nom est sur toutes les lèvres : à 23 ans, la prodige du jazz vocal Samara Joy séduit les festivals par lesquels elle passe et rappelle les prouesses d’Ella Fitzgerald, de Sarah Vaughan et de Betty Carter. Rencontre.
Robe satinée orange, hauts talons, cheveux noués en chignon, la chanteuse afro-américaine Samara Joy, 23 ans, révélation musicale de l’année aux Grammy Awards, accompagnée d’un pianiste en élégant costume vert, d’un contrebassiste en bleu marine et d’un batteur en beige, a montré toute l’amplitude et la richesse de sa voix cette semaine, doublement même : au festival Marseille Jazz des cinq continents, puis au fameux Jazz in Marciac, avant de poursuivre sa tournée aux États-Unis. Une «voix exceptionnelle, magnifique, qui ouvre des espaces incroyables», s’émerveille Hughes Kieffer, le directeur du festival marseillais.
Samara Joy, c’est «une énorme souplesse vocale qui relève plutôt de l’influence d’Ella Fitzgerald, et une manière de faire ployer sa voix, d’être très joueuse avec la mélodie qui fait penser à Sarah Vaughan», notait le président de l’Académie du jazz, François Lacharme, en lui remettant un prix en mars dernier à Paris. Et pourtant, la jeune femme, qui a grandi dans le Bronx à New York, ne chante le jazz que depuis cinq ans. «J’ai commencé à découvrir au lycée, mais je n’étais pas vraiment intéressée jusqu’à ce que j’arrive à la faculté», raconte-t-elle dans un entretien avant ses concerts en France.
Du jazz sur TikTok
«Je me suis inscrite dans un programme d’études de jazz. Et quand j’ai commencé, je me suis dit : « Mon Dieu ! Je ne connais rien à cette musique, alors que c’est tellement riche, excitant, plein d’énergie. Je veux apprendre plus ! ».» «J’ai comme trouvé une autre voie dans laquelle je pouvais être moi-même», ajoute celle qui a grandi dans une famille de musiciens, dans la pure tradition du gospel et de la soul. Pour son second disque, Linger Awhile, également couronné du Grammy Award de meilleur album de jazz vocal, elle a notamment réinterprété de grands standards comme Round Midnight (Thelonious Monk, 1944) ou Misty (Eroll Garner, 1954), déjà chanté par Ella Fitzgerald.
«J’écoutais Ella Fitzgerald et Sarah Vaughan. J’ai réalisé que si je n’apprenais pas la mélodie en premier, alors je pourrais juste les copier au lieu de trouver, écouter la base, apprendre la base et voir ensuite les idées qui me viennent quand je chante» pour improviser de manière plus personnelle. Même si la chanteuse choisit d’interpréter des standards datant du siècle dernier, elle séduit aussi un public de jeunes. Elle compte plus de 600 000 abonnés sur TikTok. Elle y poste des vidéos de jazz, mais aussi d’elle dansant de joie sur un quai de gare en apprenant sa nomination aux Grammy.
Avec son grand-père de 92 ans
«Les gens de mon âge, ou plus jeunes, sont bombardés sur les radios par tellement de musiques du monde entier. Donc, c’est bien de faire une pause, d’avoir un son différent de tout le reste», avec une forme de jazz plus classique, explique-t-elle. «C’est peut-être la nostalgie, ils ont l’impression d’être transportés en écoutant ma musique. C’est ce qu’on me dit souvent. Comme un voyage vers une autre époque. Ou alors c’est juste rafraîchissant, avec ce son, ces instruments.» À Marseille, elle a aussi chanté une chanson en brésilien en hommage à Gilberto Gil, 81 ans, programmé le même soir.
La suite ? «J’ai mon propre groupe, en plus de celui-là, un octette avec des cuivres. Ils arrangent et composent, et j’écris les paroles sur leurs mélodies. Je vais peut-être choisir d’enregistrer avec cet ensemble. Ou alors je pourrais faire enregistrer un album live.» «Je veux prendre mon temps… et en même temps pas trop», s’amuse-t-elle. «Donc, peut-être que je vais arriver avec quelque chose et qu’on ira directement dans un studio pour faire péter le truc.»
Elle sourit : «Ce que je ne veux pas, c’est me mettre trop de pression pour le prochain disque en me disant que ça sera un chef-d’œuvre absolu. Que je vienne à oublier ce pour quoi je fais tout ça.» Car pour Samara Joy, «la musique est un plaisir, comme un chez-soi!». Aux alentours de Noël, elle repartira d’ailleurs avec sa famille pour chanter le gospel à travers les États-Unis. Et se réjouit déjà de partager la scène avec son grand-père âgé de 92 ans.