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Les temps modernes

Il n’y a encore pas si longtemps, les tempes un peu moins grises, le teint plus frais et le front bien lisse, j’étais de cette jeunesse arrogante qui raille ses aînés nostalgiques du passé. Ceux qui radotent «quand les voitures n’étaient pas bourrées d’électronique, on était quand même plus tranquille». J’avoue honteusement avoir pensé plus d’une fois «ah, ces vieux grincheux qui refusent toujours le progrès!».

Et puis, la force de l’âge vous gratifie de la sagesse. Ils avaient raison, les vieux. Même les grincheux. On était quand même plus tranquille à l’époque des tacots polluants qui en faisaient des caisses, mais roulaient sans broncher. Comme nous, d’ailleurs, les bagnoles n’étaient pas à ce point fragiles et ne pétaient pas une durite au moindre toussotement. Souvent, il suffisait de mettre soi-même les doigts dans l’engrenage pour régler le problème. Sinon, c’était le garagiste du coin, chez qui l’on se pointait à l’improviste. Il plongeait ses mains dans le cambouis. Sans prendre de gants. Le mystère était vite résolu et la facture, pas si douloureuse.

Aujourd’hui, c’est une tout autre galère. Ma guimbarde connectée à un futur déjà dépassé stagne au point mort à l’atelier depuis dix jours. Pour un capteur de pression de carburant défectueux qui a causé la pagaille dans toute une mécanique pas si bien huilée. Une panne que la mallette de diagnostic a mis des plombes à identifier. Les temps modernes. Car les mécanos du XXIe siècle ne glissent plus leurs paluches grasses entre les pièces noircies de calamine. À croire qu’ils ont tous les ongles manucurés… C’est l’ordinateur qui dicte la bonne conduite et la marche à suivre. Intelligence artificielle contre bon sens du réel.

Évidemment, impossible de se pointer à l’improviste chez le garagiste du coin. Il a fallu calmement patienter près de deux mois pour obtenir un rendez-vous auprès de la concession à laquelle soumet cette garantie qui n’assure en rien la prise en charge des exceptions. Celles qui font de vous un cas étrangement à part. Parce qu’on est toujours le con d’un autre. Et le vieux d’un jeune qui comprendra à ses dépens que si l’on n’arrête pas ce satané progrès, on devrait malgré tout s’en inquiéter un jour.

Alexandra Parachini