Rencontre avec Soumia, directrice d’une forge dédiée à la taillanderie et présente lors du 6e festival international des Forgerons.
S’il y a bien une silhouette qui se détache de ce 6e festival international des Forgerons, c’est celle de Soumia. Elle est l’une des rares, si ce n’est la seule femme à se tenir derrière les foyers de forge.
Lunettes de sécurité vissées sur le nez et tablier bien serré autour de la taille, la jeune femme ne rechigne pas à mettre la main à la pâte et à échanger avec les visiteurs pour présenter un métier méconnu du grand public… Celui de taillandier. Mais au-delà d’être un moyen de faire découvrir son savoir-faire, sa présence est aussi un «acte politique» : être une femme dans un milieu presque exclusivement masculin.
Soumia est là avec Simon, son conjoint. Ensemble, ils tiennent une forge dans la ville alsacienne de Munster. La Maison Luquet, de son petit nom, n’est pas une forge comme les autres. Simon est taillandier. Il se consacre à la confection d’outils tranchants.
«Ce qui est spécial avec ce métier, c’est que chaque outil nécessite ses outils, donc on passe du temps à faire des outils», explique Soumia à des visiteurs curieux. Derrière elle, son conjoint est en train de fabriquer une hache. Il travaille avec un lopin d’acier doux et un autre, plus concentré en carbones, qui prennent forme, étape géométrique après étape géométrique. «C’est tout un processus de soudure pour finalement donner un outil qui va traverser les générations.»
«Sortir de l’isolement»
Car oui, Soumia y tient. Leur métier a aussi un aspect utilitaire. «Le métier de forgeron est très folklorique et décoratif… Mais aujourd’hui, nous sommes là pour montrer qu’il est surtout utile et nécessaire !» Leurs outils servent à différents corps de métier et sont faits pour durer dans le temps.
Ainsi, le couple est en lien avec d’autres corps de métier, comme les tailleurs de pierre, les métiers du bois ou les métiers agricoles. Pour eux, le mot d’ordre est «l’échange». Un échange qu’ils pratiquent même entre eux. Soumia a beau être la directrice, elle n’hésite pas à aider Simon à la forge.
Elle est notamment son frappeur, elle bat le métal chaud à ses côtés. Ce qu’ils font d’ailleurs lors du festival. Lui tient la pièce de métal bien fermement, pendant qu’elle donne des coups de marteau dessus pour lui donner sa forme.
Et si le partage et la transmission sont si importants pour eux, c’est bien pour ça qu’ils sont présents au festival. «Le métier s’est perdu parce que le forgeron travaille seul dans sa forge et voit les autres comme des concurrents», se désole Soumia.
Mais elle garde espoir, le travail collectif revient petit à petit. Notamment grâce à ce genre d’évènement. «Les festivals de forgerons les font sortir de l’isolement.» Les guildes de forgerons n’existant plus, il n’y a plus vraiment de chantiers majeurs qui les rassemblent. D’où l’importance des œuvres collectives, comme celle présentée dimanche au festival.
Le festival permet également d’éprouver ses techniques. Comme le dit Soumia, chaque atelier, chaque région et chaque personne a ses propres techniques. «La rencontre avec autrui est une réelle intelligence collective», se réjouit-elle.
Et elle ne croit pas si bien dire ! Au-delà d’attirer l’œil curieux des visiteurs, le travail de taillandier intrigue aussi d’autres forgerons. Comme Corentin, qui est venu prêter main-forte à Simon et qui a découvert les savoir-faire spécifiques à la taillanderie par la même occasion.
«Montrer aux petites filles que c’est possible»
Le couple compte bien pousser l’aspect collectif du métier plus loin. Ils souhaitent fonder un collectif de forgerons. Avec toujours comme objectif, de favoriser la transmission entre artisans, «primordiale à la survie de ces métiers».
Mais si Soumia est là, ce n’est pas seulement pour faire découvrir son métier. C’est aussi pour prouver que les femmes existent dans le milieu très masculin qu’est la ferronnerie. La preuve en est, elle est la seule femme présente parmi les forgerons du festival. «Je veux montrer aux petites filles que c’est possible», assure Soumia.
Elle explique que le métier n’est toujours pas adapté à la gent féminine. «Avoir des femmes en ferronnerie change l’ergonomie du métier.» Il faut notamment trouver de nouvelles manières de porter les grosses charges. Et les vêtements de travail aussi doivent être repensés, car aujourd’hui, peu d’habits sont conçus pour le gabarit féminin. Alors, montrer qu’elles sont là permet de faire bouger les choses.
En tout cas, Simon et elle comptent bien féminiser le métier. Déjà, ils ont décidé que ce serait elle la directrice, et non pas lui, qui est pourtant forgeron de métier. Et en plus, le couple forme exclusivement des femmes. «Chez nous, tout est fait pour déranger!», sourit-elle.
Démonstration de «savoir-fer»
Une odeur de feu dans l’air et des bruits de fer frappé à coups de masse… Pas de doute, il s’agit bien là du 6e festival international des Forgerons. FerroForum et la confrérie Hephaïstos ont frappé fort en organisant ce festival dans l’ancienne usine Esch-Schifflange.
Le temps d’un week-end, les deux collaborateurs ont prévu un programme riche en fer pour ravir le public. Des forgerons venus de toute l’Europe se sont réunis au sein de l’atelier central pour faire découvrir leurs métiers aux visiteurs. Et ils étaient nombreux, dimanche, à venir les voir à l’œuvre. L’ambiance était à la découverte et à la convivialité.
Il faut dire que l’évènement a de quoi impressionner. Véritable métier ancestral, le forgeron continue d’utiliser des outils traditionnels pour travailler. Avec leurs foyers de forge alignés les uns à côté des autres et leurs vieux outils, les artisans ont pu faire des démonstrations de forgeage.
Et chaque étape y était représentée ! De la fonte du fer à la mise en forme des objets, les forgerons présents n’ont pas hésité à battre le fer devant un public ravi. Certains ont même pris le temps d’expliquer le processus aux visiteurs les plus curieux.
Des créations en fer forgé étaient aussi exposées. De quoi montrer l’étendue des possibilités offertes par les métiers du fer et de mettre en valeur le patrimoine industriel de la région. Dans un contexte où l’usine sera bientôt détruite, il était important pour les organisateurs de conserver l’artisanat du fer dans un lieu rempli de son histoire.
Mais le point d’orgue de la deuxième journée a été l’inauguration d’une œuvre collective. Sur un air de fanfare bariolée, les forgerons ont terminé de fabriquer une balancelle en fer, témoin de la franche camaraderie qui les a animés le temps du week-end.
Très souvent seuls dans leur forge, ces artisans n’ont pas souvent l’occasion d’échanger avec leurs confrères. Alors confectionner une œuvre commune était l’opportunité parfaite pour se transmettre différentes techniques de forgeage.
Bonjour, il n’y avait pas qu’une seule femme a pratiqué. Il y en avait une autre à l’extérieur juste avant la porte d’entée. 2 de mes collègues féminines (membres de la confrérie Hephaistos) y sont passés en visiteuses. Cordialement