Accueil | A la Une | [Communales] Logement abordable à Luxembourg : la majorité accusée d’inaction

[Communales] Logement abordable à Luxembourg : la majorité accusée d’inaction


Les appartements en construction (VEFA) n'ont plus la cote. (Photo : Fabrizio Pizzolante)

Thème numéro un des programmes électoraux dans la capitale, la création de logements abordables suscite des idées tous azimuts et cristallise les attaques contre le tandem DP-CSV, taxé d’immobilisme.

Alors que la crise du logement sévit dans tout le pays, la situation est particulièrement critique à Luxembourg qui concentre l’activité économique nationale et fait face à une croissance démographique galopante : 30 000 nouveaux habitants depuis 2013, soit l’équivalent d’une ville comme Differdange à absorber.

Un phénomène qui fait flamber les prix de l’immobilier et complique l’accès au logement de nombreux ménages. Or, avec seulement 3 % de logements sociaux à son actif, bien en dessous de la moyenne européenne (9 %), la Ville de Luxembourg a du retard à rattraper. Les candidats en lice aux élections en font une priorité et tirent à boulets rouges sur la majorité sortante DP-CSV.

Ainsi, pour le candidat cotête de liste du LSAP, Gabriel Boisante, ces six dernières années ont surtout été marquées par l’inaction : «La Ville est le plus gros propriétaire foncier sur son territoire et dispose d’un milliard d’euros dans ses caisses. À un moment, on ne peut pas se satisfaire de 880 logements abordables», attaque-t-il.

On a l’impression qu’ils ont une obligation de moyens, pas de résultat

Il estime qu’au lieu de racheter des projets immobiliers à des promoteurs, la commune doit créer elle-même du logement pour incarner un contrepoids sur le marché et éviter la montée excessive du prix du mètre carré.

Il regrette que les propositions de l’opposition se soient heurtées à un mur : «À chaque fois, la même réponse : on fait déjà beaucoup. On a l’impression qu’ils ont une obligation de moyens, pas de résultat.»

266 propriétaires détiennent 117 hectares, selon déi Lénk

L’idée d’augmenter drastiquement l’impôt foncier sur les terrains constructibles pour inciter les propriétaires à construire ou à vendre, a par exemple fait chou blanc : «La majorité a considéré que c’était un outil de spéculation. Mais comment favoriser la construction de logements si, dans le même temps, on soutient la rétention du foncier?», interroge-t-il, jugeant que cette mesure aurait envoyé un signal fort.

Un «très bon outil» aussi aux yeux des verts, qui l’avaient défendu au conseil communal, comme déi Lénk, qui y voit surtout un traitement de faveur réservé aux 266 propriétaires terriens concernés : «Ils détiennent à eux seuls 117 hectares viabilisés, mais la majorité refuse de les frapper au porte-monnaie», s’agace Ana Correia.

La bourgmestre préfère attendre

Si le premier échevin sortant, Serge Wilmes, concède qu’«une adaptation de cette taxe devient nécessaire, elle n’est pas pour autant une solution miracle» souligne-t-il, dans ce débat que la bourgmestre tranche tout net.

Lydie Polfer brandit le projet de loi en cours porté par son parti, le DP, pour mieux botter en touche. «Je ne crois pas que ça changerait quelque chose», commente-t-elle, confirmant «attendre une réglementation nationale».

Le premier échevin Serge Wilmes (CSV) et la bougmestre Lydie Polfer (DP) mettent en cause des procédures trop longues (Photo : Fabrizio Pizzolante)

Pour sortir de l’ornière, et doubler le nombre de logements abordables, les verts sont déterminés à puiser dans les confortables réserves financières de la Ville : «On veut monter une cellule dédiée en interne, et un groupe de travail réunissant représentants de la commune, acteurs privés et État», explique le candidat au poste de bourgmestre, François Benoy.

«Selon le PAG, nous disposons d’assez de terrains pour créer du logement pour 50 000 personnes. C’est le moment de les mobiliser», assène-t-il, ajoutant que les plus petites parcelles pourraient très bien être confiées à des résidents pour de l’habitat participatif.

Associer l’Agence immobilière sociale pour du modulable

La Gauche estime que la commune a les moyens de faire sortir de terre 5 000 logements abordables pour 1,3 milliard d’euros d’ici 2029, aide d’État déduite.

Pour cela, il lui faut lancer des projets sur ses propres parcelles (87 hectares) en s’associant à l’Agence immobilière sociale : «Des logements modulables, plus rapides à construire, peuvent être mis à disposition», clame Ana Correia.

Le LSAP prévoit, lui, de débourser 500 millions d’euros sur cinq ans pour passer de 880 logements abordables à 2 000 d’ici 2030. «Le levier qui nous paraît le plus efficace est un partenariat avec le secteur privé.»

Des partenariats avec le secteur privé 

«La Ville autorise des constructions plus hautes et plus denses, à la seule condition de pouvoir récupérer une partie des habitations», décrit Gabriel Boisante. Ce qui permettrait à la Ville de gagner du temps en lançant plusieurs projets à la fois sans avoir à jouer les constructeurs.

Tous tapent sur le collège échevinal qui n’a pas assez poussé les projets des deux nouveaux quartiers Route d’Arlon et Porte de Hollerich à leur goût. «Une question de procédures, pas de volonté politique», rétorquent d’une même voix Serge Wilmes et Lydie Polfer, sûrs qu’ils n’auraient pas pu accélérer la cadence.

Pas de quoi convaincre l’entrepreneur chef de file du LSAP et son esprit pragmatique : «L’ambition, c’est se fixer des objectifs et se donner les moyens de les atteindre. Si les procédures sont compliquées, pourquoi ne pas les améliorer?»

Serge Wilmes défend son bilan

En face, l’unique tête de liste pour le CSV défend son bilan et insiste sur les efforts déployés : «Nous avons établi un plan pluriannuel consacré au logement – bien avant l’adoption du Pacte logement 2.0.»

«Nous avons aussi recruté davantage d’architectes et d’ingénieurs, et investi beaucoup d’argent pour aboutir à 240 logements construits entre 2017 et 2021, et 500 autres en cours de réalisation ou à livrer dans les trois ans à venir», déroule-t-il.

Et ce ne sont là que de petits projets, en attendant ceux qui changeront pour de bon le visage de la capitale d’ici les 20 prochaines années : «Un premier PAP pour le quartier Porte de Hollerich qui accueillera 7 000 personnes sera soumis dès 2024 au conseil communal», annonce-t-il.

Francois Benoy (déi gréng) s’agace face aux excuses de la majorité (Photo : Julien Garroy)

Quant à la Route d’Arlon, la Ville doit y faire place nette en déménageant son ancien stade et son service d’hygiène. «Encore une excuse», soupire François Benoy chez les verts, «alors que ça aurait pu être fait depuis longtemps si la majorité en avait fait une priorité.»

On n’est pas dans SimCity, il ne suffit pas d’appuyer sur un bouton

Un déluge de critiques qui glissent sur l’échevin chrétien-social. Il dénonce à son tour les promesses de certains candidats, trop belles pour être réalistes : «On assiste à une surenchère sur le nombre de logements à construire. C’est mentir aux électeurs : on n’est pas dans SimCity, il ne suffit pas d’appuyer sur un bouton.»

Cependant, il rejoint volontiers le LSAP sur le budget, 100 millions d’euros par an – contre 60 actuellement – lui semblent pertinents, et également sur la collaboration indispensable avec le secteur privé. «L’effort ne peut être que collectif», pense-t-il.

Des habitations en zone commerciale

Il avance aussi l’idée d’une modification ponctuelle du PAG pour intégrer du logement à certaines zones économiques ou commerciales afin de faire vivre des quartiers où on ne compte aujourd’hui que des bureaux : «Si on fait ces changements, qu’il faudra justifier politiquement, ce sera uniquement pour du logement à coût modéré.»

Quant à la bourgmestre, candidate à sa réélection, elle se contente de rappeler que la Ville compte aujourd’hui plus de logements sociaux que le Fonds du logement et la Société nationale des habitations à bon marché réunis, et que le marché privé a beaucoup construit ces dernières années.

Encore 15 ou 20 ans pour les plus grands projets

«J’ai autorisé plus de 7 000 logements», affirme-t-elle. Dans leur programme, les libéraux prévoient d’activer 500 millions d’euros pour le logement abordable : «Nous voulons construire plus. Nous sommes aussi prêts à racheter des biens existants, mais à un prix raisonnable», complète Lydie Polfer.

Le dépliant électoral du DP liste de futurs grands projets immobiliers – place de l’Étoile, Nei Hollerich, Porte de Hollerich, Bonnevoie, Rollingergrund, Limpertsberg et Belair – en indiquant qu’ils seront «réalisés».

Mais certains d’entre-eux, comme le nouvel écoquartier résidentiel Porte de Hollerich, ne sortiront pas de terre avant 15 ou 20 ans. «Il faut être honnête là-dessus», corrige le challenger, Serge Wilmes.