Justine Triet a remporté samedi la Palme d’or pour « Anatomie d’une chute », la troisième jamais décernée à une réalisatrice, et a profité de la tribune pour lancer une attaque contre la politique du gouvernement français sur la culture et les retraites.
La cinéaste de 44 ans succède à Jane Campion (« La leçon de piano », 1993) et Julia Ducournau (« Titane », 2021), confirmant le lent mouvement vers l’égalité dans une industrie du cinéma historiquement dominée par les hommes.
Le Festival s’était ouvert il y a douze jours sous la menace d’une coupure de courant de la CGT mais c’est finalement par la lauréate que le mouvement social en France s’est invité à Cannes. En recevant son prix des mains de Jane Fonda, la cinéaste a vivement dénoncé la façon dont le gouvernement français avait « nié de façon choquante » la protestation contre la réforme des retraites.
« Ce schéma de pouvoir dominateur, de plus en plus décomplexé, éclate dans plusieurs domaines », a-t-elle ajouté, estimant que le pouvoir cherchait aussi à « casser l’exception culturelle sans laquelle (elle) ne serait pas là aujourd’hui ».
Réplique immédiate de la ministre française de la Culture Rima Abdul Malak. Elle s’est dite « estomaquée par son discours si injuste »: « Ce film n’aurait pu voir le jour sans notre modèle français de financement du cinéma qui permet une diversité unique au monde. Ne l’oublions pas », a-t-elle écrit sur les réseaux sociaux.
Le cinéma français à l’honneur
Sur le plan artistique, ce nouveau couronnement d’une jeune réalisatrice française témoigne du succès des réalisations tricolores dans les festivals internationaux, avec le Lion d’or remis à Audrey Diwan en 2021 à Venise pour « L’événement » et l’Ours d’or en février à Nicolas Philibert pour « Sur l’Adamant ».
Le jury, présidé par Ruben Östlund et où siégeait également Julia Ducournau, a choisi un film (dans les salles françaises le 23 août) qui raconte le procès d’une veuve (Sandra Hüller) accusée aux assises d’avoir tué son mari. L’occasion de disséquer les dynamiques de pouvoir au sein d’un couple d’artistes aisés et d’exposer les préjugés sociaux auxquels se heurtent les femmes indépendantes.
Il a également envoyé un message contemporain sur l’effroyable banalité du mal, en donnant le Grand Prix à Jonathan Glazer pour « The Zone of Interest », sur la vie quotidienne du commandant nazi d’Auschwitz, une oeuvre radicale.
Le prix de la mise en scène est allé à Tran Anh Hùng pour « La passion de Dodin Bouffant », film d’époque sur la gastronomie française avec Benoît Magimel, et celui du jury à Aki Kaurismäki pour « Les feuilles mortes ». L’actrice turque Merve Dizdar a dédié son prix d’interprétation dans « Les herbes sèches » de Nuri Bilge Ceylan « à toutes les femmes qui mènent une lutte pour surmonter les difficultés existantes dans ce monde ».
Le prix d’interprétation masculine est allé à Koji Yakusho pour son rôle de nettoyeur de toilettes publiques à Tokyo dans « Perfect Days », film onirique de Wim Wenders. Ce palmarès met un terme à la 76e édition, présidée pour la première fois par Iris Knobloch, ancienne de Warner.
Elle fut marquée par des polémiques sur le come-back de Johnny Depp, après ses procès pour diffamation autour d’accusations de violences conjugales, par une présence en force du cinéma du continent africain et des réalisatrices, au-delà de Justine Triet.
L’une d’elles, Molly Manning Walker, a reçu le prix Un Certain Regard pour « How To Have Sex », et deux autres se partagent l’Oeil d’or du meilleur documentaire: Kadib Abyad « La mère de tous les mensonges » et Kaouther Ben Hania (« Les filles d’Olfa », sur la radicalisation d’adolescentes tunisiennes).
L’édition a aussi été marquée par une nouvelle démonstration de la lune de miel entre Cannes et Hollywood: en 12 jours, le tapis rouge aura accueilli Martin Scorsese, Leonardo DiCaprio et Robert De Niro (pour « Killers of the Flower Moon ») ou encore Harrison Ford, venu faire ses adieux à « Indiana Jones ». Quentin Tarantino et Roger Corman, 97 ans, l’un des doyens du cinéma américain, étaient également sur scène samedi soir.
Quant au long-métrage de clôture, le festival renoue avec la tradition de programmer la dernière création des studios Pixar, rachetés par Disney: le film d’animation « Élémentaire », qui sortira en juin, a été présenté en avant-première mondiale après la cérémonie.