La metteuse en scène s’est emparée simultanément de deux pièces, avec la même équipe. Au bout, des allers-retours «enrichissants» et de sérieuses résonances contemporaines.
Deux textes pour un casting identique et un thème central : voilà l’équation sur laquelle s’échine depuis quelques semaines Anne Simon, accompagnée de sa doublette de comédiens (Magaly Teixeira et Max Thommes). Soit, d’un côté, Venus in Fur de David Ives (2010), et de l’autre, une pièce plus ancienne, The Censor d’Anthony Neilson (1997), toutes deux inscrites au patrimoine théâtral britannique. Un coup double pour un geste plutôt rare dans le milieu, né d’un «processus pas trop clair», selon l’intéressée. Elle explique avoir lu, par hasard, la première qui, par sa forme comme pour son sujet, est rapidement entrée «en résonance» avec la seconde, qu’elle connaissait. «Je me suis dit : « y a un truc, là ! »»
Ni une, ni deux, elle décide alors de les combiner lors des séances de travail avec son équipe réduite. Simplement parce que «la structure» des deux textes et leur «situation de départ» sont identiques, même s’«ils viennent d’une époque différente et qu’ils tendent à autre chose». Car dans les faits, le processus créatif n’en ressort pas bouleversé : «Durant les répétitions, on ramène toujours des sources secondaires, pour alimenter la thématique. Ici, c’est une question d’allers-retours : une pièce se nourrit de l’autre, et vice-versa !» Et ce, jusqu’au cœur du jeu : «C’est vrai, au départ, c’était un peu le bordel !, sourit-elle. Il arrivait qu’on mélange les répliques. C’était certes plus complexe, mais ça renforçait mon idée de mettre en parallèle ces deux textes, et de les jouer en tandem.»
La question du pouvoir et des genres
Surtout qu’une fois «à l’aise», les comédiens ont pu s’appuyer sur leur «double identité» pour enrichir leurs personnages : «Quand le tri est fait, cette approche donne des outils supplémentaires, dit Anne Simon. Je me rappelle avoir dit, un jour, à Max : « Peux-tu jouer ce moment-ci avec le caractère de l’autre pièce ? » Ces va-et-vient sont très intéressants.» Au milieu de cette avancée parfois schizophrénique, la metteuse en scène, elle, garde l’équilibre et le cap de ses intentions artistiques : «s’attacher à creuser des thèmes récurrents». Après sa version pour le TNL de Richard II (déjà en anglais), elle revient ici avec la même obsession pour la question du pouvoir et des genres.
Dans ce sens, placer côte à côte Venus in Fur et The Censor était quasi évident. «C’était logique : dans les deux cas, on a affaire à une femme face à un homme en position de domination, et qui vient interroger la situation, la renverser, la démontrer. Le tout dans un contexte érotisé. Les mettre face à face faisait sens!» Dommage, finalement, qu’en raison de la réalité «économique», le public ne puisse pas voir les deux créations ensemble. «C’était le projet de départ, concède Anne Simon, qui s’est raisonnée avec le temps. Il y a donc eu, le 6 mai dernier aux Capucins, une lecture scénique de Venus in Fur, qui pour l’instant, reste en l’état. En l’occurence, une sorte de «répétition bien avancée, mais pas aboutie».
«On est en plein dans MeToo !»
Suffisant pour les spectateurs, selon elle, d’avoir apprécié cette histoire de «mano a mano» troublant, et ce rapport de soumission-domination entre un dramaturge et son actrice. «Cette pièce expose clairement la notion d’abus de pouvoir, sans mystère, de façon presque caricaturale», soutient la metteuse en scène qui se rappelle, dans un rire gêné, que c’est Roman Polanski (accusé publiquement de viol et d’agression sexuelle) qui l’a adapté pour le cinéma en 2013. «On est en plein dans MeToo !», lâche ainsi Anne Simon. La pièce The Censor, qui sera dévoilée au Kinneksbond de Mamer dès samedi, est, elle, «moins explicite et plus compliquée». En un mot, plus «nuancée».
On y suit l’affrontement entre une pornographe et l’homme chargé de déterminer si son travail peut être diffusé au public. Un sujet également d’actualité, quand on songe notamment aux structures de pouvoir masculines, ou plus largement, celles des industries artistiques justement remises en question. Mais pas que, selon la metteuse en scène : «On y parle également de la dissociation par rapport aux corps, thème ô combien contemporain, surtout depuis la pandémie. Désormais, on s’expose totalement sur internet alors que les relations entre les gens, dans la vraie vie, restent embrouillées.» Ce qui l’amène à «veiller» et à poursuivre, bille en tête, son travail «nécessaire» autour de l’émancipation féminine et face au patriarcat, mais sans être «polarisant». «On n’est pas sur un ring, on est sur une scène!»
«The Censor» au Kinneksbond – Mamer. Samedi, mardi et mercredi à 20 h.