Avec un nouvel album, la chanteuse malienne Fatoumata Diawara dresse un pont entre musique traditionnelle africaine et pop anglo-saxonne pour y faire traverser ses combats.
Une chanson peut-elle faire évoluer les mentalités ? Pour Fatoumata Diawara, c’est oui ! Le credo de l’artiste malienne est le suivant : «Trouver de belles mélodies pour passer des messages». Vendredi, elle a sorti l’album London Ko, son quatrième en douze ans; le titre est une contraction de Londres et Bamako, clin d’œil à sa complicité avec Damon Albarn, cerveau anglais de Blur et Gorillaz, et collaborateur sur cet album.
Un jour, pour un documentaire, Fatoumata Diawara aborde le thème des mutilations génitales avec une quinzaine de femmes dans un village malien. «Elles étaient surprises que quelqu’un leur parle de ça dans un lieu public, en plus devant une caméra, elles étaient bloquées, alors j’ai pris ma guitare, j’ai chanté mon expérience, crié ma souffrance, elles l’ont entendue, puis on a pu en parler», raconte-t-elle.
Le plus intéressant, c’est la réaction d’un homme, le chauffeur qui la raccompagne après le tournage. «Il m’a dit : « Au début, je t’ai détestée quand tu as parlé de ça, mais depuis votre discussion entre femmes, je ne suis plus la même personne »», se souvient la chanteuse, qui avait failli succomber à son excision, enfant. «Je le sais, il ne fera pas exciser sa fille. C’est la puissance de la musique : on touche une personne, puis dix, puis une centaine, ainsi de suite, petit à petit», souffle la quadragénaire.
Un album qui veut faire vibrer, danser, et penser
L’excision, en Afrique et ailleurs, est au cœur de la chanson Sete, en langue bambara, avec un chœur d’enfants de Brooklyn pour des couplets en anglais à portée internationale. Et tout au long de l’album, d’autres causes défilent. Seguen, contre la domination masculine au sein du couple, ou encore Moussoya pour la place centrale de la femme dans la société, trop souvent minorée. Le tout sans accent dramatique. London Ko veut faire vibrer, danser, et penser dans un même mouvement. D’autres thèmes sont plus légers comme Mogokan, une ode à l’amitié.
Des amis de Fatoumata Diawara, on en trouve beaucoup sur ce disque, comme Matthieu Chedid, dit M, qui pose sa voix sur Massa Den. La Malienne et le Français ont déjà travaillé ensemble, notamment sur l’album Lamomali (2017), du nom d’un collectif créé à l’initiative de M, et sur lequel on entend Fatoumata Diawara participer à cinq titres.
Et puis, il y a Nsera, où l’on retrouve celui qu’elle appelle son «frère», Damon Albarn, qu’elle connaît via le projet Africa Express monté par l’Anglais pour épauler des artistes africains. Depuis 2005, le projet Africa Express, qui a six albums à son actif et est souvent apparu sur scène, en Europe et en Afrique, a fait collaborer, sous la houlette de Damon Albarn, de nombreux artistes des deux continents : Fatboy Slim, Björk, Franz Ferdinand, Femi Kuti et son batteur Tony Allen, Amadou et Mariam, Rachid Taha, Brian Eno, Salif Keïta… D’anciens membres de The Clash, Joy Division et The Smiths ont aux aussi participé au projet, ainsi que Paul McCartney, lors d’un «pop-up concert» en marge des Jeux olympiques de 2012, à Londres.
«La connexion a été assez flagrante tout de suite avec Matthieu Chedid. Damon, ça a pris un petit peu plus de temps, mais tous deux m’ont respectée tout de suite», décrypte Fatoumata Diawara. «Parfois, certains mecs avec qui tu travailles te font comprendre qu’à leurs yeux, tu n’es « qu’une femme », donc tu vas faire les chœurs, avec eux. Non, Matthieu et Damon te mettent au même niveau qu’eux, entre compositeurs.»
Damon Albarn n’a cessé de solliciter Fatoumata Diawara, que ce soit pour le tube Désolé de Gorillaz, sorti en 2020, ou pour d’autres pas de côté. Comme l’opéra pop Le Vol du Boli, une création à trois avec le réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako, qui avait déjà fait jouer la chanteuse dans son film Timbuktu (2014), récompensé par sept César et deux prix au festival de Cannes. «Pour Le Vol du Boli, ça faisait deux ans que Damon et Abderrahmane travaillaient sur le projet quand ils m’ont contactée pour me dire : « On veut le faire avec toi, on attendra dix ans s’il le faut, si ce n’est pas toi, on ne le fait pas ».»
Damon Albarn est si content du résultat qu’il propose ses services à la chanteuse pour le futur London Ko. L’Anglais cosigne et coproduit au total six des 14 titres. «Et Abderrahmane va sortir un film et veut absolument que je chante dessus. Avec eux, il y a toujours une suite, c’est à vie entre nous», conclut l’artiste, qui jouera son nouvel album devant le public luxembourgeois le 30 novembre, à l’Atelier.
London Ko, de Fatoumata Diawara.