Tokyo Vice «a changé ma vie», affirme Jake Adelstein, auteur du livre-enquête devenu un best-seller, qui publie un nouveau volet de ses investigations au pays du Soleil levant et des yakuzas, Tokyo Detective.
Le livre d’enquête Tokyo Vice, adapté en 2022 en une série produite par Michael Mann, racontait la plongée de Jake Adelstein, jeune journaliste – et premier Occidental embauché dans un grand quotidien de Tokyo –, dans l’univers de la mafia japonaise. Et la façon dont une de ses enquêtes fit tomber un puissant yakuza, Tadamasa Goto, dépourvu, à ses yeux, du code de l’honneur propre à ces clans ayant longtemps eu pignon sur rue au Japon. Goto était le chef d’une «filiale» du Yamaguchi-gumi, la plus grande famille yakuza, qui l’exclura après qu’Adelstein eut dévoilé qu’il avait collaboré avec le FBI en échange d’une greffe de foie aux États-Unis.
Ces révélations, en 2008, lui valurent de vivre ensuite sous protection policière et le livre qui en découla «changea (s)a vie», écrit Jake Adelstein dans son nouvel ouvrage, Tokyo Detective. Une conséquence fut l’éclatement de son couple : son épouse japonaise, la mère de ses deux enfants, était en désaccord «avec la façon dont je choisis de gérer la menace» Goto, explique cet Américain du Missouri aujourd’hui âgé de 54 ans, arrivé à 19 ans au Japon, où il a pratiquement toujours vécu depuis. «Je voulais continuer à lui porter des coups, jusqu’à ce qu’il soit en position si difficile auprès des autres yakuzas que je deviendrais le moindre de ses soucis. Elle voulait que j’abandonne, pour notre sécurité, me reprochait mon entêtement, mon arrogance et de chercher la gloire», s’est-il souvenu, alors qu’il était invité, le week-end dernier, au festival Quais du polar, à Lyon.
«Faites autre chose !»
Mais pour lui, «le job d’un journaliste est de dire ce que les forces du mal ne voudraient pas que vous sachiez. Pour que les choses puissent changer.» Quitte, dans son cas, à fouiller des poubelles ou coucher avec une source. «Autrement, faites autre chose !» Une mission qu’il remplit aussi au mitan des années 2000 en enquêtant pour le département d’État sur le trafic d’êtres humains au Japon. Il reconnaît néanmoins qu’il ne savait pas vraiment dans quoi il s’engageait en commençant à enquêter sur la pègre nipponne…
Trente ans plus tard, il continue d’exposer les «forces du mal» dans son quatrième récit, qui est aussi le second publié en français avant toute autre langue, par les éditions Marchialy. Cette petite maison a été créée spécialement pour faire paraître Tokyo Vice, boudé par les éditeurs français. Tokyo Detective, qui démarre en 2007, «parle encore de yakuzas, de compagnies, de nucléaire et de problèmes personnels (NDLR : un cancer, notamment). C’est un peu le livre de la maturité», résume-t-il.
L’art de la négociation
Tokyo Detective est à la fois le fruit de son travail de journaliste, mais aussi, à l’époque, de détective spécialisé en «diligence raisonnable», sur la respectabilité et les risques d’une société, pour s’assurer notamment qu’elle ne soit pas une société écran des yakuzas. «C’était une période formidable pour de telles enquêtes : (les yakuzas) étaient tellement impliqués dans la vie économique.» «Le gouvernement a commencé à sévir contre eux en 2006/2007… Vers 2014, il les avait fait sortir, pour la plupart, du marché boursier. Aujourd’hui, leurs effectifs ont fondu.»
Une des investigations narrées dans Tokyo Detective porte sur la catastrophe nucléaire de Fukushima en 2011 et sur Tepco, l’électricien japonais, devenu, pour Jake Adelstein, «le symbole de tout ce qui n’allait pas dans la société japonaise : népotisme, collusion, corruption, faiblesse de la réglementation…». Une autre met en lumière son art de la négociation avec les yakuzas pour publier un article sur une photo du vice-président du Comité olympique japonais avec le chef du Yamaguchi-gumi «sans se faire péter les genoux», sort subi par deux confrères japonais, affirme-t-il.
La suite ? Se recentrer sur le journalisme, mais aussi progresser – lui qui a vécu de longues années d’excès – en tant que prêtre bouddhiste zen. Parce que «le sacerdoce bouddhiste, c’est comme l’armée : vous montez en grade ou vous sortez».
Tokyo Detective, de Jake Adelstein.