En Suède, une vieille règle sur les véhicules agricoles permet à des adolescents sans permis de conduire des camions ou des berlines, à condition de les brider à 30 km/h. En route !
À seulement 15 ans, Evelina Christiansen navigue au volant d’un break BMW dans son quartier de la banlieue de Stockholm. Dans le pays scandinave, on les appelle les «A-traktor» et ces véhicules rencontrent un tel succès, y compris désormais en ville, que les autorités s’inquiètent d’une dérive d’un système né à la base il y a près d’un siècle pour contrer la pénurie de tracteurs dans les campagnes. «Je l’ai eue il y a un an, en avril, pour mon anniversaire, parce que j’ai de très bonnes notes à l’école», explique fièrement la jeune fille devant son modèle, le haut de gamme de BMW, garé devant chez elle.
Là où les adolescents d’ailleurs doivent se contenter d’une mobylette, d’un scooter ou d’une voiturette tant qu’ils n’ont pas décroché le permis de conduire, les jeunes Suédois peuvent eux utiliser la plupart des véhicules disponibles sur le marché, tant qu’ils sont bridés. Dans les banlieues huppées de Stockholm, on peut ainsi croiser des adolescents seuls au volant d’une Porsche Cayenne. «Je m’en sers généralement quand je vais à l’école ou quand je sors avec des amis, pour jouer de la musique», explique Evelina Christiansen, dont la voiture est équipée dans le coffre d’une immense enceinte audio.
Un système assouplie en 2020
«C’est presque comme une voiture normale, on apprend vite !», estime encore l’adolescente à serre-tête et doudoune. Signe distinctif : un panneau triangulaire signalant un véhicule lent et une boule de tractage… obligatoire pour pouvoir être considéré légalement comme un «A-traktor». La banquette arrière doit être aussi enlevée, mais un simple permis mobylette (disponible à partir de 15 ans) ou tracteur (à 16) suffit. Une règle improbable dans un pays champion de la sécurité routière, connu pour avoir inventé la ceinture de sécurité à trois points et ses règles draconiennes sur l’alcool au volant.
Le système a même été assoupli mi-2020, avec un bridage électronique facilitant encore plus la conversion d’une voiture moderne. Les enfants des villes copient désormais davantage ceux des champs et le nombre de «A-traktor» a presque doublé, pour dépasser les 50 000, pour 10,3 millions de Suédois. L’histoire remonte à la pénurie de matériel agricole durant la crise des années 30 puis durant la Seconde Guerre mondiale, qui épargne militairement la Suède restée neutre mais la coupe de ses approvisionnements.
Pour favoriser l’essor de véhicules bon marché à une époque où les tracteurs sont encore inaccessibles aux bourses des paysans, le gouvernement les autorise à bricoler de simples voitures. Dans les années 1950, le véritable tracteur se généralise avec la chute des prix et la prospérité économique, et ce système D tend à disparaître. Mais dans les campagnes, il devient vite une astuce pour les jeunes pour circuler sans permis, surtout dans des régions peu denses sans beaucoup de transports en commun.
C’est presque comme une voiture normale, on apprend vite!
L’État réglemente la pratique – notamment avec une vitesse maximale – mais l’entérine en créant officiellement le régime «A-traktor» en 1963. Un privilège jalousement défendu depuis des décennies dans la Suède rurale, poussant les autorités à attendre 2018 pour instaurer le contrôle technique obligatoire. Mais une bataille s’annonce désormais : la Commission européenne a critiqué le système début mars, en proposant de rendre obligatoire un permis simplifié.
Pour beaucoup d’adolescents des campagnes, le «A-traktor» incarne un rêve d’indépendance, objet d’une véritable sous-culture de customisation et même d’un genre musical : le «EPA Dunk». À Karlstad, dans l’ouest de la Suède, Ronja Löfgren, 17 ans, fait sensation avec son vieux camion Scania Vabis de 5,5 tonnes datant de 1964, sauvé de la casse par son père.
Bichonné par l’adolescente, il arbore désormais une rutilante carrosserie rouge et bleu, des phares à foison, et la devise «Queen of the road» inscrite à l’avant et «Go with style» à l’arrière. «Quand j’allais en ville au début, tout le monde sortait son téléphone pour me filmer», raconte l’adolescente. Depuis l’assouplissement de 2020, les assureurs comme les policiers, eux, s’alarment de l’envolée des accidents, qui ont plus que quintuplé en cinq ans. Le nombre de blessés a dépassé les 200 par an et 2022 a été marquée par quatre morts.