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Hua Ning, ambassadeur de Chine : «Nous ne pouvons pas promettre de renoncer au droit d’utiliser la force»


«Bien que le Luxembourg soit le deuxième plus petit pays de l'UE, c'est l'une des principales destinations d'investissement de la Chine dans l'UE.» (Photos : julien garroy)

La Chine et le Luxembourg ont jusqu’ici maintenu des relations diplomatiques amicales, selon l’ambassadeur de Chine, bien que l’empire du Milieu soit régulièrement au centre de tensions géopolitiques, en particulier avec les États-Unis.

L’année 2022 a marqué les 50 ans de relations diplomatiques entre la Chine et le Luxembourg, largement célébrés tout au long de l’année. Des relations qui n’ont eu de cesse de s’intensifier et de se diversifier au fil des ans, la coopération bilatérale portant désormais tant sur la politique que sur l’économie ou la culture avec, entre autres, l’installation au Grand-Duché de centres dédiés à la culture chinoise, comme l’institut Confucius. Le nouvel ambassadeur de Chine au Luxembourg, Hua Ning, qui a pris ses fonctions en août dernier, se réjouit de ces liens forts qui résistent malgré les crises mondiales et les conflits géopolitiques.

Quel bilan tirez-vous de ces 50 années de relations diplomatiques ? Comment qualifiez-vous les relations sino-luxembourgeoises ?

Hua Ning : Au cours des 50 dernières années, les relations sino-luxembourgeoises ont résisté à l’épreuve de l’évolution de la situation internationale et ont obtenu des résultats fructueux. Comme l’a déclaré le Premier ministre Xavier Bettel lors du Forum de coopération internationale Zhengzhou-Luxembourg l’année dernière, la relation sino-luxembourgeoise est la relation bilatérale la plus dynamique que le Luxembourg ait conclue en dehors de l’UE. Un succès obtenu grâce au respect mutuel, à la sincérité, à l’ouverture et à l’inclusion, ainsi qu’à la recherche d’un terrain d’entente tout en préservant les différences.

Mais les relations entre nos deux pays sont bien antérieures au 16 novembre 1972, date de l’établissement de nos relations diplomatiques. Ainsi, par exemple, à la fin du XIXe siècle, l’ingénieur luxembourgeois Eugène Ruppert, pionnier de la sidérurgie, a dirigé une équipe à l’usine de Hanyang pour aider la Chine à développer l’industrie sidérurgique naissante. À diverses reprises, des gens se sont investis pour promouvoir l’amitié entre nos peuples et ont participé à la modernisation de la Chine. Nous valorisons l’amitié et nous n’oublierons jamais ceux qui nous ont aidés.

À l’heure actuelle, le développement des relations avec la Chine fait consensus dans tous les cercles au Luxembourg et nous sommes également disposés à travailler avec le Grand-Duché pour développer davantage encore cette coopération au cours des 50 prochaines années.

«En 2022, le volume des échanges bilatéraux entre la Chine et le Luxembourg était de 850 millions de dollars américains.» (Photo : julien garroy)

 

Quels sont les principaux domaines d’échanges commerciaux entre la Chine et le Luxembourg ?

Bien que le Luxembourg soit le deuxième plus petit pays de l’UE, c’est l’une des principales destinations d’investissement de la Chine dans l’UE, et nous avons créé conjointement de nombreuses premières dans l’histoire de la coopération économique et commerciale Chine-UE. La Chine et le Luxembourg coopèrent tout particulièrement dans les domaines de la finance, de la sidérurgie et de l’automobile. À ce jour, sept banques chinoises ont d’ailleurs installé leur siège européen au Luxembourg. Le groupe ArcelorMittal a, de son côté, continuellement augmenté ses investissements en Chine.

Par ailleurs, la « Route de la soie aérienne », opérée par CargoLux, est passée de deux destinations à 14 et de deux vols réguliers par semaine à 14 par semaine. Les routes de fret entre la Chine et le Luxembourg ont du reste joué un rôle important dans la coopération antipandémique entre les deux pays, et ont également apporté une contribution importante à la stabilisation de la chaîne industrielle et de la chaîne d’approvisionnement mondiales.

En 2022, le volume des échanges bilatéraux entre la Chine et le Luxembourg était de 850 millions de dollars américains : 520 millions de dollars ont été exportés vers le Luxembourg (principalement des appareils mécaniques, des feuilles de cuivre, des tissus non tissés, des produits en plastique, des produits en acier, etc.), tandis que la Chine a importé pour 330 millions de dollars de marchandises du Luxembourg, principalement du pétrole, des machines, des équipements électriques, des produits chimiques divers, des produits sidérurgiques, etc. Pour l’avenir, les perspectives de coopération sont très larges, notamment dans la finance, l’industrie et la logistique.

La communauté chinoise au Luxembourg est-elle conséquente ?

Des Chinois sont venus s’installer au Luxembourg dès les années 1970. On compte aujourd’hui plus de 5 000 Chinois au Grand-Duché. Beaucoup sont partis de zéro et ont travaillé dur pour démarrer leur propre entreprise. Au début, ils se sont principalement engagés dans l’industrie de la restauration. J’ai été surpris par le nombre de restaurants chinois au Luxembourg, plusieurs centaines, ça va me prendre des années pour les tester! Aujourd’hui, de nombreux jeunes sont actifs dans les secteurs de la finance, de la logistique, de la sidérurgie, des télécommunications, de l’éducation, du sport, des soins médicaux…

La Chine a rouvert ses frontières début janvier. Où en est la pandémie ?

La Chine a récemment ajusté les mesures de prévention de la pandémie sur la base de considérations scientifiques telles que le faible taux de mortalité du variant Omicron et le taux de vaccination supérieur à 92 % en Chine. À l’heure actuelle, nous avons réussi à dépasser le pic d’infection et à établir une première barrière immunitaire. Le taux de détection positive n’est que de 2 % environ, ce qui est inférieur à celui de nombreux États de l’UE. La prévention et le contrôle de la pandémie ont résisté à l’épreuve des vacances de la fête du Printemps (NDLR : le Nouvel An chinois, célébré le 22 janvier 2023). Nous invitons les Luxembourgeois à revenir visiter la Chine!

Repères

État civil. Hua Ning est né le 6 mai 1971 dans la province du Zhejiang, en Chine. Il est marié et père d’un fils, qui vit à Pékin.

Formation. Le diplomate a fait des études de langue et de littérature anglaises. En milieu de carrière, il a également étudié durant un an les relations internationales au sein de l’université Johns-Hopkins de Baltimore, aux États-Unis.

Afrique. Avant de devenir ambassadeur de Chine au Luxembourg, Hua Ning a été en poste au Soudan du Sud, où la Chine a effectué de nombreux investissements, notamment dans le pétrole, et développé des projets d’infrastructure tels que des ponts, des hôtels, des hôpitaux…

Luxembourg. Hua Ning est devenu ambassadeur de Chine au Luxembourg le 12 août 2022. Il devrait occuper ce poste pendant trois à quatre ans. «Mais j’aimerais que ce soit prolongé!», fait-il savoir.

Harmonie. L’ambassadeur apprécie tout particulièrement le multiculturalisme du Luxembourg, qui parvient à atteindre «l’harmonie dans la diversité». Il aime l’ouverture, l’amicalité et l’attitude pragmatique des Luxembourgeois ainsi que les paysages du Grand-Duché.

La Chine est actuellement au cœur d’une polémique au sujet de ballons que votre pays assure être des sondes météorologiques. Quel commentaire faites-vous ? Êtes-vous inquiet du fait que des débris ont été récupérés par les États-Unis pour analyse ?

Il ne s’agit pas d’un ballon espion magique, mais d’un dirigeable sans pilote utilisé par des civils pour des recherches météorologiques et d’autres recherches scientifiques. En raison d’une mauvaise maniabilité et de l’influence des vents d’ouest, il a dévié de l’itinéraire prévu et est entré par erreur dans l’espace aérien américain. Après que les États-Unis ont informé la partie chinoise, nous avons immédiatement procédé à des vérifications et fait part de nos commentaires à la partie américaine. Le département américain de la Défense a également déclaré publiquement que le ballon ne constituait pas une menace militaire ou personnelle au sol. Nous avons espéré à plusieurs reprises que les États-Unis géreraient cet incident avec calme, professionnalisme et de manière appropriée. Malheureusement, juste au moment où le ballon était sur le point de flotter au-dessus de la côte américaine, les États-Unis ont utilisé la force pour l’abattre.

De nombreuses opinions publiques pensent que les États-Unis ont réagi de manière excessive. Je pense qu’il s’agit de politique intérieure : il est « politiquement correct » d’être dur avec la Chine et l’étiquetage des ballons comme « espions » donne à notre homologue une excuse pour attaquer par la force. Les ballons chinois sont visibles à l’œil nu dans de nombreux endroits aux États-Unis, un « espion » ne se livre pas à une soi-disant reconnaissance aérienne sous les yeux attentifs du peuple !

Comme la NASA l’a elle-même expliqué, le ballon à haute altitude est un moyen peu coûteux de transporter des instruments et du matériel d’observation scientifique. En 2018, les États-Unis avaient lâché plus de 2 000 ballons et il existe de nombreux ballons à haute altitude dans d’autres pays. Les pièces de ce type de ballon dirigeable sont facilement endommagées par des forces extérieures, et il n’est pas rare d’en perdre le contrôle. Rien que depuis l’année dernière, des ballons américains à haute altitude ont survolé illégalement l’espace aérien chinois plus de dix fois sans l’approbation des départements concernés en Chine. En Chine, nous clamons « Ne faites pas aux autres ce que vous ne voulez pas qu’ils vous fassent » : quelles mesures les États-Unis attendent-ils des autres pays à l’encontre de leurs propres ballons ou de leur drone marin espion découvert (NDLR : début février) dans les eaux territoriales de Namibie ?

Il est « politiquement correct » d’être dur avec la Chine

Le procès de 47 figures de l’opposition, des militants pro-démocratie, vient de s’ouvrir à Hong Kong. La Chine est accusée d’imposer à Hong Kong la répression et la censure. Que répondez-vous ?

Il y a deux ans, à Hong Kong, à la veille de la nomination des candidats au septième Conseil législatif de la Région administrative spéciale de Hong Kong, des agitateurs antichinois ont envahi les rues, bloquant la circulation, agressant des piétons, attaquant le Conseil législatif, forçant les services gouvernementaux à cesser de travailler. Certains en ont profité pour organiser une soi-disant « élection primaire », fabriquer de fausses opinions publiques et tenter de prendre le contrôle du Conseil législatif. Des actions qui interfèrent et sapent le système électoral démocratique.

Or, dans tous les pays et régions du monde, les élections sont des affaires très sérieuses, avec des dispositions légales strictes et des contraintes institutionnelles. Il est strictement interdit de manipuler l’opinion publique, d’interférer avec les élections ou même de tenter de renverser le pays. Le tribunal juge les affaires en stricte conformité avec les preuves et toutes les lois applicables. Tout le monde est égal devant la loi, toutes les personnes faisant l’objet d’accusations pénales bénéficieront d’un procès équitable, mais il n’y aura pas de traitement spécial parce que certaines personnes sont favorisées par certaines forces extérieures. Nous nous opposons à toute activité qui interfère avec les affaires intérieures de la Chine et l’indépendance du système judiciaire de Hong Kong. Ce genre d’ingérence est un abus de la démocratie et un mépris de la loi.

Les relations avec Taïwan, que la Chine considère comme une province sécessionniste et qu’elle accuse de « collusion » avec les États-Unis, se sont encore dégradées. Taïwan a d’ailleurs récemment augmenté la durée du service militaire. Des observateurs craignent une invasion de l’île par votre pays, comme la Russie l’a fait avec l’Ukraine. La Chine envisage-t-elle un tel procédé ?

Je tiens d’abord à rappeler que la crise ukrainienne n’a pas été causée par la Chine, et la clé pour résoudre la crise n’est pas entre les mains de la Chine. La crise ukrainienne ne s’est pas réalisée du jour au lendemain, mais est le résultat d’une accumulation et d’un développement à long terme de contradictions. L’Ukraine et la Russie sont toutes deux des amies traditionnelles de la Chine. Nous ne voulons pas voir les deux camps se battre et avons toujours appelé toutes les parties concernées à réaliser un cessez-le-feu et à mettre fin au conflit militaire dès que possible par le dialogue et la négociation. La souveraineté et la sécurité des deux parties doivent être respectées, et la communauté internationale doit également créer les conditions et l’espace pour cela.

La question ukrainienne et la question de la province de Taïwan sont essentiellement différentes. La province de Taïwan n’a jamais été un pays indépendant, mais fait partie intégrante de la Chine. La racine du problème réside dans l’invasion et l’ingérence de l’impérialisme en Chine depuis les temps modernes. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la Chine a remporté la guerre contre le Japon. La déclaration du Caire en 1943 et la proclamation de Potsdam en 1945 ont toutes deux explicitement exigé que le Japon restitue à la Chine les territoires chinois qu’il lui a volés, comme la province de Taïwan. Et bien que les deux côtés du détroit de Taïwan n’aient pas encore été réunifiés, le fait que le continent et la province de Taïwan appartiennent à la même Chine n’a jamais changé, ce qui est le plus grand statu quo.

La tension à travers le détroit a de multiples causes. Premièrement, les autorités du Parti démocrate progressiste de la province de Taïwan ont refusé d’accepter le consensus de 1992 conclu entre les deux rives du détroit de Taïwan et se sont entendues avec des forces extérieures pour rechercher l’ »indépendance ». Elles ont acheté un grand nombre d’armements dans une tentative de refus de regroupement. D’autre part, certains pays ont déformé et évidé le principe « une Chine, deux systèmes », incitant des politiciens tels que des parlementaires à se rendre dans la province de Taïwan, augmentant les ventes d’armes à Taïwan et soutenant les forces séparatistes de « l’indépendance de Taïwan ». Le budget militaire de la province de Taïwan en 2023 a atteint un record de 18,3 milliards de dollars américains, soit une augmentation d’environ 14 % par rapport à l’année dernière.

Nous avons dit que le peuple chinois n’attaquera pas le peuple chinois et nous sommes disposés à lutter pour la perspective d’une réunification pacifique avec la plus grande sincérité et tous les efforts possibles, mais nous ne pouvons pas promettre de renoncer au droit d’utiliser la force à l’encontre des « forces de l’indépendance de Taïwan » et de l’ingérence étrangère, sans quoi la paix sera impossible. Adhérer au principe « une Chine, deux systèmes » est la meilleure garantie de paix dans le détroit de Taïwan.