Le ministère de la Famille et de l’Intégration et Inter-Actions ont présenté le premier recensement des sans-abri dans la capitale, effectué en octobre 2022. Ce jour-là, 197 personnes sans-abri ont été recensées.
Dès lors que des inégalités sont perceptibles et tangibles dans une société, seuls les chiffres constituent une base irréfutable pour les combattre avec justesse. Le credo a inspiré le ministère de la Famille, de l’Intégration et à la Grande Région, qui a souhaité mettre en œuvre un projet de recensement des personnes sans-abri à l’échelle nationale. La tâche, ardue au regard des flux intenses avec les pays frontaliers, a été attribuée à l’ASBL Inter-Actions, dont une large partie des actions s’articulent auprès des personnes marginalisées vivant dans la rue.
Au fil des recherches et des rencontres, notamment avec des organisations étrangères opérant à Bruxelles ou Namur, le projet a été affiné pour se concentrer uniquement sur la ville de Luxembourg : «Nous sommes entrés dans un réseau pour entendre et utiliser les expériences des autres structures», dévoile Virginie Giarmana, directrice adjointe d’Inter-Actions.
De ce travail est né le premier recensement des personnes sans-abri, qui a eu lieu le 26 octobre dernier, de 17 h à minuit, dans les 24 quartiers de Luxembourg. Cette «photographie», selon les termes de Virginie Giarmana, a été complétée d’un travail de fond sur la base d’un questionnaire permettant d’établir des statistiques sociales.
Ainsi, 197 personnes sans-abri ont été recensées ce jour-là, dont 142 ont été rencontrées dans la rue, 38 dans des structures d’hébergement d’urgence et 17 dans un milieu hospitalier. La répartition femmes-hommes expose indéniablement une surreprésentation masculine parmi les personnes sans domicile fixe, avec un total de 169 hommes pour 28 femmes au soir du 26 octobre. Quant aux lieux où l’on a trouvé ces sans-abri, la plupart se situaient dans la Ville-Haute et dans les quartiers de la Gare et de Bonnevoie.
La rue, un point d’ancrage
Sur le modèle de l’opération parisienne «La nuit de la solidarité», Inter-Actions a déployé 66 professionnels du secteur social dans tous les quartiers de Luxembourg. Répartis en binômes, les équipes sont allées à la rencontre des personnes sans domicile fixe pour les décompter et mieux les connaître à travers une quinzaine de questions concises. «Seules 130 personnes ont accepté de répondre aux questions. Les autres SDF ont été comptés, mais ils étaient soit endormis, soit sous influence, soit n’ont tout simplement pas voulu répondre aux questions», détaille la directrice adjointe d’Inter-Actions.
Malgré la petitesse de l’échantillon, des tendances se dévoilent. Sur l’âge d’abord, avec une moyenne établie à 42 ans. La portion la plus représentée se situe d’ailleurs entre 46 et 50 ans, avec 21,54 % dans cette tranche d’âge. Si aucun mineur n’a été recensé, 10 % des sans-abri interrogés avaient entre 18 et 25 ans. Ce chiffre fait écho au travail du groupe interministériel «Jeunes et Logement», qui avait relevé 69 jeunes qui ont passé un total de 1 099 nuitées, réparties sur neuf mois, dans un hébergement d’urgence en 2020. «Pour les jeunes qui, pour une raison ou une autre, ne peuvent retourner chez leurs parents et qui, majeurs, ne peuvent plus être placés en foyer, la rue devient leur seul point d’ancrage», notait alors Caritas Luxembourg.
Quant à l’origine des sans-abri questionnés, 23,85 % ont déclaré être luxembourgeois, ce qui représente 31 personnes sur 130. La majorité a également confirmé passer la nuit dans l’espace public, directement dans la rue ou sous une tente, ainsi que dans les centres d’hébergement. Dans l’un ou l’autre cas, la situation des sans-abri est souvent vouée à se pérenniser, puisque 33, 85 % des interrogés sont à la rue depuis plus de cinq ans.
Bilan chiffré, action politique?
Naturellement, l’observation de ces statistiques évoque la nécessité d’une action politique. D’autant plus que le Luxembourg a promis d’être au diapason de la déclaration de Lisbonne créant la Plateforme européenne pour la lutte contre le sans-abrisme, qu’elle a signée le 21 juin 2021. Le texte engage à un travail en synergie avec les institutions européennes pour mettre fin au sans-abrisme en 2030, au mieux avant. D’ici là, «personne ne devrait dormir dans la rue par manque d’un logement d’urgence accessible, sûr et approprié», selon les objectifs de l’UE.
Si «le profil des sans-abri est divers», comme l’a constaté la ministre Corinne Cahen, leurs besoins demeurent sensiblement les mêmes : «L’objectif principal des personnes vivant dans la rue est de trouver un logement, le travail arrive en seconde place», fait état Virginie Giarmana.
Ce premier souhait est d’ailleurs partagé par 90 des 130 répondants. «Il est très difficile de faire davantage de housing first (NDLR : le logement comme première étape de l’insertion sociale) avant de travailler sur tout le reste, notamment avec des suivis sociaux pour les personnes les plus vulnérables. Mais il est vrai que les haltes de nuit ne peuvent pas être une solution durable», relève la ministre.
Côté travail, il est impossible de trouver un emploi sans adresse fixe. «Inter-Actions peut proposer son agence comme adresse de référence pour aider les personnes les plus éloignées du marché du travail», expose la directrice adjointe de l’ASBL.
Les mesures sociales sur ces fronts ne sont donc pas encore de mise, mais le ministère continue d’œuvrer avec les associations, par le biais de la Wanteraktioun de la Croix-Rouge et des autres dispositifs d’hébergement et de repas. Le recensement d’octobre 2022 servira désormais de mesure étalon pour les données recueillies à l’avenir, puisqu’il est prévu deux recensements pour 2023, «au printemps et pendant l’ouverture de l’Action hiver». D’autres communes pourraient être concernées, avec leur accord.