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[Cinéma] «The Banshees of Inisherin» : avoir un bon copain…


Entre le violoniste Colm (Brendan Gleeson) et le berger Pádraic (Colin Farrell), rien ne va plus… sans que l’innocent Pádraic ne comprenne pourquoi. (Photo : searchlight pictures)

The Banshees of Inisherin marque le retour du trio culte de In Bruges – le réalisateur Martin McDonagh et les acteurs Colin Farrell et Brendan Gleeson – pour une excellente comédie noire sur la fin d’une amitié, doublée d’une fable historique.

Je ne veux plus être ton ami.» Pour Pádraic (Colin Farrell), les mots tombent comme un couperet. Colm (Brendan Gleeson), son complice de toujours, lui annonce qu’il veut mettre fin à leur amitié. Avec effet immédiat, et sans raison apparente. Ce jour-là, Pádraic était venu frapper à la porte de Colm à 2 h de l’après-midi, comme tous les jours, afin de prendre ensemble la direction du seul pub de l’île irlandaise – fictive – d’Inisherin. Mais l’ami l’ignore, avant de lui faire part de son incompréhensible et terrible décision. Pádraic, abasourdi et perdu, tentera de réparer ce qu’il estime être une erreur ou un coup de tête. Mais en redoublant d’efforts, il déchaînera aussi de graves répercussions.

Avec The Banshees of Inisherin, sa nouvelle comédie noire, Martin McDonagh ajoute deux nouveaux personnages à la galerie de «losers» magnifiques qui peuplent toute son œuvre. Et réussit, par la même occasion, le pari de faire revenir devant sa caméra Colin Farrell et Brendan Gleeson, le duo culte qu’il avait dirigé en 2008 dans son premier long métrage, In Bruges, où les deux acteurs irlandais jouaient un tandem de tueurs à gages qui, après une mission qui a mal tourné, partent se faire oublier en Belgique. «Je ne sais pas si les garçons ont ressenti la même chose, mais pour moi, c’était une source d’angoisse», s’inquiétait le cinéaste. «Je ne pouvais pas les réunir et faire quelque chose d’inférieur (à In Bruges).» La dernière Mostra de Venise, où The Banshees of Inisherin était en compétition, lui donnera raison : le film repartira du Lido avec deux prix, celui du meilleur scénario et la coupe Volpi de la meilleure interprétation masculine pour Colin Farrell.

Dans cette étrange fable bercée par la beauté des paysages et la musique d’inspiration celtique signée Carter Burwell – compositeur habituel de McDonagh et complice de longue date des frères Coen –, le réalisateur semble revenir à ses premières amours, le théâtre, en concevant le film comme un huis clos en plein air, où chaque acte est défini par une surenchère de violence. Tout commence lorsque Colm, pour avoir la paix, pose un ultimatum : à chaque fois que Pádraic continuera de lui adresser la parole, il promet de se couper un doigt. «C’est un peu comme une force de dissuasion nucléaire. Il s’imagine : « Si je menace de faire ça, ça n’arrivera pas »», analyse Brendan Gleeson. D’autant plus que Colm, violoniste doué, souligne qu’il commencera par la main qui pince les cordes…

Tous les personnages sont cinglés. Mais ils sont fous à leur propre manière

Colm, se sentant vieillir, souhaite cultiver seul sa mélancolie et utiliser son temps à l’écart des autres pour se concentrer sur sa musique, histoire de laisser quelque chose au monde depuis cette île perdue. Pádraic, lui, ne veut pas comprendre ses motivations. «C’est un type sympa, Pádraic», juge Colin Farrell. Sa naïveté lui donne une légère attitude d’idiot du village, mais qui cache une douceur et un optimisme (presque) inébranlables. «Comme le vrai Colin Farrell», remarque McDonagh. L’acteur reprend : «C’est quelqu’un de simple, jamais vraiment inquiet. Il est heureux tant que ses animaux sont nourris et qu’il a deux pièces en poche pour quelques pintes quotidiennes avec son ami Colm.» «La perte de son innocence est la partie la plus triste du film», estime-t-il encore, avant de trancher : «Tous les personnages sont cinglés. Mais ils sont fous à leur propre manière; ce sont des archétypes qui, mis ensemble, finissent par créer une bonne dose de chaos.»

Martin McDonagh a conçu l’histoire sur le modèle d’une relation amoureuse prenant fin prématurément. «Il est intéressant de voir à qui le public s’identifie. Peuvent-ils comprendre la ligne dure que Colm, celui qui rompt, a adoptée, ou se retrouvent-ils plutôt dans la personne gentille qui a le cœur brisé?» Derrière cette rupture inopinée, McDonagh, qui fait se dérouler l’histoire en 1922, glisse une habile allégorie. La guerre civile fait rage au même moment dans l’État libre d’Irlande, où les indépendantistes, qui ont obtenu l’indépendance du Royaume-Uni l’année précédente, se déchirent désormais.

Les habitants d’Inisherin, à l’écart du monde et très peu préoccupés par le conflit, ont tout de même leur quotidien rythmé par le bruit lointain des coups de canon. Mais dans cette communauté aussi, analyse Brendan Gleeson en paraphrasant Shakespeare, «il y a quelque chose de pourri» : «La douleur engendre la douleur. La colère engendre la colère. La violence engendre la violence. Les êtres humains font des choses terribles.» Cent ans après la guerre civile, Martin McDonagh regarde ainsi la période comme un insondable déchirement aux conséquences absurdes : «Je voulais aussi capturer une certaine tristesse. D’habitude, les réalisateurs ne cherchent pas à attrister le public au sortir de la salle. Mais ça faisait partie de la chose – une triste vérité à propos de cette histoire, à propos de l’Irlande à cette époque et, peut-être, à propos de la vie.»

The Banshees of Inisherin, de Martin McDonagh.

 

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