Sur le point d’être champion d’automne six mois après avoir été champion, le F91 n’oublie pas qu’il a failli être rayé de la carte pour d’insolubles problèmes financiers en très grande partie solutionnés par «Gigi» Tallarico.
Même Gerry Schintgen, président du F91, n’a pas cherché à le cacher : sans Luigi Tallarico, 53 ans, propriétaire du restaurant Gigi l’Amoroso et sponsor de très longue date du club dudelangeois, «on n’aurait pas été champions la saison passée». Ni sans doute encore devant le Swift à une journée de la fin de la saison régulière du présent exercice.
En signant au mois d’avril un chèque à plusieurs centaines de milliers d’euros pour apurer certaines dettes mais surtout pour conserver à tout prix un staff sur le point de partir à Hesperange parce que le club ne pouvait plus se permettre de se payer ses services, l’humble et rieur Gigi a contrarié l’histoire dans les grandes largeurs.
Alors que la fin d’année 2022 arrive à grands pas, le rencontrer dans son restaurant de 250 couverts (40 places en 1993, à l’ouverture) en cours d’agrandissement. Comme le F91 finalement, alors qu’on le croyait voué à rentrer dans le rang avec le départ de Flavio Becca…
Vous pouvez nous dire ce qu’il y a à l’entrée de votre restaurant?
Luigi Tallarico : Eh bien il y a le saladier qui récompense le champion du Luxembourg 2022.
Un trophée national dans un hall d’entrée d’un restaurant, fut-il très fréquenté, c’est une rareté.
La vérité, c’est qu’on s’est tous beaucoup investis pour aller chercher ce titre la saison passée. On est venu me voir après le titre et on m’a dit « c’est ta Coupe, elle reste ici« . Et quand j’ai voulu la rendre, après quelque temps, les dirigeants n’ont pas voulu. Ils m’ont dit « garde-la au restaurant!« . Moi, je pensais qu’elle devait aller au club-house, là où sont toutes les autres. On m’a redit « non, non, elle reste chez toi« . Vous avez vu? Il y a aussi une plaquette reçue à l’occasion du match de Ligue des champions. Et j’aimerais bien y mettre un deuxième saladier en mai prochain! Juste à côté!
Que représente-t-il, ce trophée?
Une fierté. Un travail mené ensemble, pas seulement avec mon coup de pouce financier. C’est beaucoup d’investissement des joueurs, d’un staff, d’un comité, d’un président, d’un directeur sportif, de plein de sponsors. Carlos Fangueiro et moi, en début d’année, on a passé plus de temps ensemble qu’avec nos propres familles. Ce trophée, ça représente tout ça parce qu’au printemps, on est passé par des moments très difficiles.
On n’a plus besoin de 3 millions d’investissement par an
Mais votre contribution personnelle très généreuse revient souvent dans les conversations autour du maintien du coach et de la conquête du titre qui a sauvé financièrement le club…
Mon rôle… il est finalement assez difficile à expliquer. Déjà, oui, j’ai donné un coup de main, mais encore fallait-il que Carlos Fangueiro nous fasse confiance! Mais il m’avait convaincu dès son arrivée au club. La toute première fois que je l’ai vu, ici, au restaurant, je venais de parler avec mon ami Gerry Schintgen (NDLR : président du F91) et on s’était dit que ce serait déjà bien de finir 4e ou 5e. Carlos m’a regardé quand je lui ai répété ça et il m’a dit « mais tu crois vraiment que je suis venu ici pour faire 4e ou 5e? Moi, je veux être champion!« . À ce moment précis, il m’a donné l’élan que j’avais perdu. La connexion entre lui et moi date de ce jour. Avec lui, ces trois dernières années, j’ai l’impression de retrouver le football qu’on avait perdu au F91. On a un club, désormais, qui donne aux jeunes ce qu’ils méritent. On retravaille enfin avec eux.
Pour en revenir à votre rôle, il se murmure plutôt que sans votre générosité, le club était mort…
Est-ce que j’ai sauvé le club? Il y a une part de vérité là-dedans, mais ce n’est pas du tout ce dont j’ai envie de parler. Je préfère qu’on parle des bénévoles. Parce que je ne veux pas devenir un sponsor à la Flavio Becca. Là, dans une demi-heure (NDLR : il indique sa montre), je mets le tablier, je file en cuisine et je file travailler. Je ne veux pas être un sponsor comme ça! On vient de créer quelque chose à Dudelange qui n’a pas besoin de ce genre de concept dont on vient de se sortir.
Mais désormais, on n’a plus besoin de 3 millions d’investissement par an! Comme on est partis désormais, on a le droit de se dire qu’on peut faire quelque chose de grand sans dépendre d’un sponsor comme l’était Flavio. Ce qu’on a accompli reste professionnel. La preuve : c’est que j’aurais pu mettre la même somme sur la table et on aurait pu quand même échouer. Et aujourd’hui, on ne serait pas en train de parler tous les deux.
Mais votre contribution ne s’est pas limitée à combler des trous de trésorerie. Vous avez aussi contribué à mettre une rallonge pour permettre des joueurs un peu plus chers quand le staff estimait qu’ils seraient de réelles plus-values…
Mais pour ça, eux aussi ont dû me faire confiance! On a monté quelque chose de costaud. Par exemple, au stage d’hiver, il était question d’aller tout simplement à Remich. Le coach estimait qu’il fallait partir tous ensemble loin, voir autre chose. On l’a donc fait et on est partis en Espagne. Pareil pour les joueurs : si on n’avait pas mis tous les moyens qu’on devait, on savait qu’on aurait d’autres joueurs, mais un peu moins bons. Si on n’y avait pas mis les moyens… je ne dis pas qu’on aurait pris la direction que suit actuellement le Fola, malheureusement pour eux, mais c’est possible.
Le club a-t-il pris trop de risques pour aller chercher un nouveau titre et continuer à exister?
Non. C’est un club qui est resté les pieds sur terre avec un budget réduit de moitié. Et après mon coup de pouce, les risques, on les a pris parce que j’ai poussé. Mais je savais que si on n’avait pas pu garder Carlos, on n’aurait pas pu prendre cette direction. Il n’y a qu’avec lui qu’on pouvait.
Il paraît que le départ de Flavio Becca a tout de même permis une grande vague de retours des petits sponsors.
(Il sourit) Disons que c’était un peu difficile et qu’ils ont commencé à revenir en force… après notre victoire 1-0 contre le Swift (NDLR : le 1er mai, dans un match toujours considéré comme la « finale« du dernier championnat). Mais notre nouveau plus gros sponsor, Unik Capital, c’est une connaissance à moi. On s’est rencontrés ici, au restaurant et ça s’est fait. Mais disons, pour faire court, que les sponsors se sont réapproprié le club. On aurait pu en avoir plus, parce que tout le monde voulait être sur le maillot!
Même moi, qui y étais mais qui apportais moins d’argent, j’ai accepté de changer plusieurs fois de place sur l’équipement, jusqu’à me retrouver… sur le cul! (il rit). À ce rythme-là, je vais finir sur les chaussettes. Mais je m’en moque : on est redevenus un club familial dans lequel tout le monde connaît tout le monde.
Ce geste financier que vous avez consenti, est-ce un « one shot« ? Pensez-vous que le club est sauvé, qu’il navigue de nouveau dans des eaux financières sereines maintenant que les sponsors sont revenus et que l’argent de l’UEFA est passé par là?
Tout n’est pas aussi facile que cela semble mais on est sur la bonne voie, oui. Mais je suis là si on a de nouveau besoin de moi. Je le referais s’il le fallait! D’ailleurs, une partie de l’argent que j’avais donné m’est déjà retournée. Et puis je suis officiellement entré au conseil d’administration du club depuis un mois et demi. J’aurais pu arriver comme vice-président mais pour des raisons administratives, je préfère rester là comme simple conseiller de Gerry Schintgen. Et mon seul souci, c’est que l’équipe ait tout ce qu’il lui faut pour être performante.
Avant, avec Flavio, c’était facile. Aujourd’hui, c’est de la douleur mais je suis beaucoup plus heureux
Les joueurs mangent d’ailleurs chez vous.
Ah ici, c’est leur cantine! Mais ils sont très sérieux quand ils mangent (il rit), ils savent ce qu’ils peuvent se permettre.
Dire que depuis près de 25 ans, les gens ne vous connaissent quasiment que pour votre sponsoring du ballon du match, systématiquement annoncé par micro au stade Jos-Nosbaum, alors que vous semblez aujourd’hui un peu au centre de tout.
Ah oui, même quand Flavio Becca était présent, je le faisais, le ballon du match. Depuis 1996! Avec une petite interruption de deux ans quand je n’étais plus trop d’accord avec ce qui se faisait au club. Mais entre ces années-là et aujourd’hui, cela n’a vraiment plus rien à voir. Là, on vit… Un exemple? Dimanche dernier (NDLR : 13e journée), j’ai vu qu’on maîtrisait notre match à Käerjeng, qu’on allait le gagner.
Eh bien je vis les choses tellement intensément depuis deux ou trois ans, que j’ai fini la rencontre à suivre sur mon téléphone celle du Swift à Rosport en voyant qu’ils se faisaient accrocher. Avant, quand je me réveillais, je pensais à mon restaurant et aujourd’hui, je pense au football. Je suis plus heureux aujourd’hui! Sans conteste! Parce qu’avant, avec Flavio, c’était facile. Là, maintenant, il y a des sacrifices, de la douleur.
Le F91, sans Flavio Becca, est-il redevenu un club ordinaire?
Il faudrait poser la question à Flavio pour savoir ce qu’il en pense. Disons que c’est un club qui a les bonnes personnes aux bons endroits. Mais il y a une chose qu’il ne faudra jamais oublier, c’est le bien que Flavio Becca a fait au F91 et à tout le football luxembourgeois. Il a fait quelque chose d’immense.
Et aujourd’hui, au Swift, s’il veut mettre 5 millions d’euros sur la table pour remporter le championnat, désormais, c’est à nous de tout faire pour essayer de l’en empêcher. Et cette saison est très importante : s’il est champion et qu’il met en place une équipe déjà capable de durer en Ligue des champions, cela deviendra très dur de la détrôner ces dix prochaines années. Mais je pense que d’autres clubs du pays devraient prendre exemple sur notre façon de travailler.