Grâce aux dons qu’elle a reçus, l’ASBL spécialisée dans le droit d’asile, qui a failli mettre la clé sous la porte cet été, a pu maintenir son activité, mais a été contrainte de réduire la voilure.
L’annonce, au début de l’été, des difficultés financières de Passerell avait provoqué une onde de choc : après six ans d’existence et un travail considérable abattu pour venir en aide aux bénéficiaires et déboutés de la protection internationale, l’association avait urgemment besoin de 60 000 euros, faute de quoi elle aurait dû mettre la clé sous la porte dès le mois d’août.
Un mouvement de générosité de la part de particuliers et d’entreprises tel que Passerell n’en a jamais connu a toutefois permis d’accorder un sursis à l’ASBL, qui a cependant dû considérablement réduire la voilure. L’association ne compte donc désormais plus qu’une seule salariée, sa directrice, Marion Dubois, contre trois temps pleins et un interprète à temps partiel auparavant.
De surcroît, Passerell a dû sensiblement diminuer la fréquence de ses activités, notamment son activité première : la permanence d’accès aux droits, destinée à accueillir, informer et conseiller les demandeurs d’asile. «Avant, nous tenions une permanence quatre après-midis par semaine, maintenant, c’est une demi-journée par semaine seulement! Et nous ne pouvons plus prendre de nouvelles personnes, nous n’accueillons que celles que nous suivions déjà», déplore Marion Dubois. Une situation d’autant plus délicate que les demandes d’aide ont explosé, entre la guerre en Ukraine et la réouverture des frontières postcovid. En 2021, Passerell a organisé pas moins de 1 370 rendez-vous.
Financement public
«Depuis sa création, en 2016, Passerell ne dispose pas de sources de financement pérennes. L’ASBL fonctionnait en répondant à des appels à projets de l’Œuvre nationale de secours Grande-Duchesse-Charlotte, qui était de fait jusqu’en 2021 notre principal financeur», rappelle Marion Dubois. Mais l’absence jusque-là de nouvel appel à projets pour lequel Passerell aurait pu se positionner a mis à mal les finances de l’association, qui ne bénéficie que d’un «petit soutien» des ministères de la Justice et des Affaires étrangères.
Avec une vingtaine d’autres signataires, Passerell a d’ailleurs interpellé le gouvernement dans une lettre ouverte datée du 3 août 2022 sur le fait que ce dernier, depuis plusieurs années, n’a pas lancé d’appels à projets en matière de droits humains, mais uniquement des projets culturels ou sociaux.
«Nos autres sources de financement proviennent des dons de personnes privées et du mécénat d’entreprise, ainsi que de l’autofinancement. Depuis 2021, nous sommes aussi un organisme de formation, qui a reçu en avril dernier un agrément du Barreau et du ministère de l’Éducation», fait savoir la directrice de Passerell. «Nous avons formé environ 70 travailleurs sociaux en 2021, auprès de trois structures : la Croix Rouge, Inter-Actions et la Ligue», se félicite-t-elle.
Mais le fait de former d’autres travailleurs aux bases du droit d’asile (De combien de temps dispose-t-on pour déposer un recours? Quels documents fournir pour un regroupement familial?, etc.) ne suffit pas à remplacer le travail effectué par Passerell, estime Marion Dubois : «Passerell est une niche et se complète avec d’autres organismes, comme l’ASTI par exemple. On nous rétorque qu’il y a déjà une aide juridictionnelle et des avocats pour les demandeurs d’asile. Mais cela va de pair avec le côté associatif : l’aide juridictionnelle est limitée dans le temps et en termes d’horaires. Nous, nous disons aux demandeurs quels documents donner à l’avocat. On facilite les choses.»
« Un financement public nous donnerait davantage de visibilité »
Sans oublier l’important travail de veille et d’action juridique effectué par l’ASBL, qui vaut d’ailleurs parfois quelques frictions avec le gouvernement. «C’est la spécificité de Passerell : on informe sur la pratique, mais on la questionne également. C’est le rôle de la société civile d’alerter quand il y a non-respect des conventions», se défend Marion Dubois.
Parmi les sujets épineux soulevés par Passerell, le droit des enfants migrants (qui ne bénéficient pas d’un statut particulier au Luxembourg) ou le respect de la convention d’Istanbul, qui contraint les États signataires à prévenir et lutter contre les violences domestiques et celles faites aux femmes, et dont le Luxembourg ne tient pas compte dans l’octroi du droit d’asile, alerte Marion Dubois.
«Un financement public nous donnerait davantage de visibilité et nous permettrait de développer une stratégie plus pérenne. Nous ne voulons cependant pas être entièrement financé par le gouvernement, nous ne voulons pas dépendre entièrement d’un ministère» pour pouvoir conserver une précieuse liberté de parole et d’action. Afin de continuer à travailler, l’association souhaiterait donc obtenir un subside de la part des ministères de la Justice et des Affaires étrangères, avec lesquels elle est actuellement en discussion.