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Tirs mortels à Bonnevoie : trous de mémoire chez les témoins


Les faits se sont produits dans le quartier de Bonnevoie, autour de la place Léon-XIII. (Photo : archives lq/fabrizio pizzolante)

L’ancien policier en a pris pour son grade vendredi matin en raison de ses propos scabreux, malgré les demi-mots et les souvenirs défaillants de ces anciens coéquipiers.

Un des coéquipiers du prévenu n’a rien vu. Il contournait la piscine de Bonnevoie au pas de course. Mais il a tout entendu : le choc, les pneus qui ont crissé, l’accélération, le freinage, les déflagrations des coups de feu. Il est arrivé rue Sigismond quand «tout était fini». «En êtes-vous certain?», l’interroge la présidente de la 13e chambre criminelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg avant de lui rafraîchir la mémoire. Comme tous les témoins avant lui, quatre ans après les faits, le jeune homme ne se souvient plus très bien.

«J’avais les yeux rivés sur la Mercedes»

Le 11 avril 2018, un policier en service depuis sept mois tuait un automobiliste en tirant avec son arme sur la Mercedes qui fonçait sur sa voiture de patrouille. Le policier, inculpé d’homicide volontaire, dit avoir agi en état de légitime défense. Experts, enquêteurs et témoins des faits se succèdent à la barre de la 13e chambre criminelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg depuis deux semaines pour tenter d’éclairer les juges sur les circonstances qui ont pu entraîner cette réaction fatale.

Le jeune policier affecté à Bonnevoie depuis deux jours au moment des faits ne se souvient plus avoir vu le prévenu remonter dans la voiture de patrouille pour reprendre la poursuite après avoir fait feu. «Il a dit qu’il a entendu la Mercedes foncer dans la façade», précise la présidente. «J’avais les yeux rivés sur la Mercedes», répond le policier. Il a également oublié avoir dit au prévenu au téléphone qu’ils avaient «rendu Bonnevoie plus propre». Ce à quoi le prévenu lui aurait répondu qu’ils étaient «les stars de Bonnevoie», parce qu’il avait fait mouche du premier coup, que «c’était un sentiment dément» et qu’il aurait «vidé tout son chargeur» sur la voiture si l’église n’avait pas été dans le chemin. Le témoin aurait rapporté ces propos à son supérieur, qui lui avait fait entendre qu’il pouvait avoir été mis sur écoute téléphonique dans le cadre de l’enquête menée par l’Inspection générale de la police.

La voiture leur a paru louche

La représentante du parquet ne croit pas en ce trou de mémoire qui inclut également une discussion qu’il aurait eue avec le prévenu aux toilettes immédiatement après les faits. Au cours de celle-ci, le prévenu aurait essayé d’influencer son témoignage sur le saut de côté. «Dites la vérité!», s’emporte-t-elle.  Après ce témoignage, la question de la proportionnalité des moyens se pose plus que jamais. La présidente se répète comme les jours précédents : pourquoi avoir voulu contrôler la Mercedes et l’arrêter à tout prix? «Votre action n’était-elle pas totalement exagérée pour une voiture endommagée?»

«Le conducteur de la Mercedes est sorti très vite de la place de stationnement. Cela nous a paru louche», se souvient le brigadier qui accompagnait les deux jeunes agents en patrouille le jour des faits. Comme ses collègues, il a préjugé que la victime avait quelque chose à cacher. Il n’est pas établi dans le dossier qu’elle ait perçu la présence des policiers avant que le brigadier ne rattrape sa voiture. «La victime avait verrouillé la portière et cherchait quelque chose dans la voiture», se souvient le témoin qui, présageant un possible danger, a dégainé son arme. «La Mercedes a mis les gaz, j’ai rengainé et repris la poursuite à pied.»

Des détails incertains

Le reste de l’histoire, on la connaît. Le brigadier n’est plus certain des détails. Dans ses souvenirs, le prévenu se serait trouvé à hauteur du pare-chocs avant de la voiture de patrouille et aurait fait un pas de côté avant de faire feu. La Mercedes aurait, de son point de vue, eu largement la place de contourner la voiture de patrouille du premier coup sans avoir à faire demi-tour.

«J’ai cru que la victime avait fait marche arrière parce qu’elle avait vu la voiture de police et qu’elle était repartie en avant parce que j’arrivais par l’arrière», imagine le témoin. Les trois policiers ne se sont pas concertés avant de se lancer à la poursuite de la Mercedes, ont reconnu les deux témoins. Manque de formation, impulsivité, envie de bien faire… Les trois agents ont réagi à leur manière.

«Il n’est écrit nulle part qu’il est interdit de tirer»

Dernier des cadres de la police à être entendu comme témoin dans ce procès, Pascal Ricquier, le président du syndicat national de la police (SNPGL) et fondateur du Centre de tactique policière, a expliqué que les élèves policiers ne sont pas entraînés à réagir quand une voiture leur fonce dessus. Cependant, des recommandations existent dans une brochure déjà évoquée par l’enquêteur de l’IGP.

La première, «on ne tire pas sur une voiture», a été répétée à de nombreuses reprises depuis le début du procès. «Pourtant, il n’est écrit nulle part qu’il est interdit de tirer, ajoute l’instructeur. Un policier peut faire usage de son arme à feu en cas de nécessité absolue. Mais jusqu’à ce jour, personne n’a pu me dire ce qu’est la nécessité absolue.» Un policier ne doit jamais perdre de vue sa propre sécurité et celle de son environnement.

Le stress, l’instinct de chasse, les réflexes et les automatismes influeraient sur les réponses des policiers confrontés à certaines situations. La réaction au stress, selon le commissaire en chef, «peut induire des réactions différentes allant de la paralysie à l’action plus ou moins rapide», comme tirer ou se mettre à l’abri. «Encore faut-il que le cerveau donne l’information de sortir de la trajectoire.»

Interrogé par Me Penning sur les 0,3 et 0,4 secondes qui séparaient les trois coups de feu, Pascal Ricquier a envisagé que «le prévenu devait être stressé pour tirer aussi rapidement». Il n’a, selon lui, pas eu le temps de viser. «C’est délirant de toucher à trois reprises en tirant à une telle vitesse!»