Accueil | Culture | [Cinéma] «Decision to Leave», arrête-moi si tu peux

[Cinéma] «Decision to Leave», arrête-moi si tu peux


Parmi les idées folles de mise en scène, Park Chan-wook réinvente le «split-screen» en isolant deux personnages unis dans la même scène, et assis face à face. (Photo : cj enm/moho film)

Entre enquête policière teintée d’humour et drame amoureux, le cinéaste sud-coréen Park Chan-wook ouvre un nouveau chapitre de sa filmographie avec le très beau Decision to Leave.

Après six ans d’absence sur le grand écran, le virtuose sud-coréen Park Chan-wook a fait son retour par la grande porte. La fresque érotico-féministe The Handmaiden (2016), son dixième long métrage, amorçait le virage d’un auteur sans concessions vers une forme extrême de raffinement plastique, où la mise en scène, qui déambule sur un fil, pile entre le baroque et l’épure, joue des coudes pour s’octroyer la place de narrateur.

On a beau assurer qu’il s’est calmé depuis Old Boy (2003), Lady Vengeance (2005) ou l’immoral Stoker (2013) – et ses débuts à la télé, avec l’excellente minisérie d’espionnage The Little Drummer Girl (2018), n’ont rien fait pour atténuer la croyance générale –, Park Chan-wook a bel et bien gardé quelque part le goût de la cruauté.

D’une certaine manière, The Handmaiden était le prélude à un nouveau chapitre de son œuvre, qui devait commencer avec Decision to Leave, l’histoire d’un inspecteur de police qui, en enquêtant sur la mort louche d’un homme, reste troublé par la principale suspecte, la veuve. Une enquête policière à l’humour noir qui se transforme progressivement en un grand drame amoureux : un retour, pour Park Chan-wook, aux sources de sa propre cinéphilie. Il livre ici une variation autour de Vertigo (1959), le chef-d’œuvre d’Alfred Hitchcock qui a déclenché en lui l’amour du 7e art, ou d’une autre de ses réinterprétations, le sulfureux Basic Instinct (Paul Verhoeven, 1992).

«Si mes précédents films visaient à faire vivre une expérience intense très stimulante, on peut dire que Decision to Leave est un film plus subtil», concède le réalisateur. «Au lieu de raconter une histoire de deuil comme un évènement tragique, j’ai cherché à l’évoquer avec (…) élégance et humour.»

Decision to Leave est le genre de film que je voulais tourner depuis longtemps. Les acteurs rêvent de recevoir des scénarios comme celui-ci

C’est «un film pour adultes», tranche-t-il, mais pas de ceux qui, comme nombre de ses précédents, contiennent des scènes – toujours mémorables – «de violence, de nudité ou de relations sexuelles». Decision to Leave est «adulte» parce qu’il est aussi complexe que malin. C’est l’écrin parfait pour que Park Chan-wook puisse dérouler tous ses trucs et astuces : en maître de la surprise et du détour, il fait serpenter son récit à outrance pour s’installer dans la tête du spectateur – ou le perdre définitivement, c’est selon – et le séduire sur la durée. Ou plutôt, comme le dit le cinéaste, «d’amener le spectateur à s’intéresser et à être séduit de lui-même».

Toute question trouvera une réponse, à condition, donc, d’être attentif. Car tout ce qui se joue dans Decision to Leave – l’avancée de l’enquête, la dynamique des personnages, les enjeux de leur romance, la recherche de la vérité et ce qui pourrait la compromettre… – est traduit en images. Pour sa mise en scène, Park Chan-wook a été récompensé au palmarès cannois, en mai.

Un prix largement mérité : dans ce film qui commence au sommet d’une montagne et se finit au bord de la mer, le cinéaste convoque le classicisme américain et sa variante hitchcockienne, «pervertie» car jouant sur les faux-semblants, tout en maniant un langage poétique traditionnellement associé au cinéma asiatique, saupoudrant le tout de quelques idées ultramodernes, comme lorsqu’il réinvente le «split-screen», afin que ses deux personnages soient à la fois unis et isolés.

Ce sont bien l’inspecteur Hae-joon (Park Hae-il) et la veuve Seo-rae (Tang Wei) qui font battre le cœur du film. Lui est un modèle de rigueur et de courtoisie; elle est plus difficile à cerner, et risque de troubler autant le spectateur que le policier de fiction. «Decision to Leave est le genre de film que je voulais tourner depuis longtemps. Les acteurs rêvent de recevoir des scénarios comme celui-ci», assure l’actrice chinoise, qui prête à son «personnage très séduisant» une curieuse façon de manier la langue coréenne, lui ajoutant une couche de mystère.

Park Hae-il, quant à lui, est une vieille connaissance de Park Chan-wook, au point que ce dernier était persuadé de l’avoir fait tourner plusieurs fois. «Mais un jour, je me suis rendu compte que je n’avais pas fait un seul film avec lui», a précisé le réalisateur, en ajoutant qu’«aucun autre acteur ne (lui) était venu à l’esprit» pour le rôle de Hae-joon. L’acteur dit avoir «le sentiment que plutôt que de se creuser la tête pour trouver une interprétation à ce film, on peut se contenter de prendre du plaisir à voir les images pour ce qu’elles sont». C’est le propre de cet éblouissant long métrage, romantique, bizarre et ambigu. C’est, surtout, le cas des grands films audacieux.

Decision to Leave,

de Park Chan-wook.