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Affaire Saïd : «Tout le monde ment»


Saïd se dit victime d’une machination montée de toutes pièces par Jiaoli. (Photo : archives lq/julien garroy)

La confusion s’ajoute à la confusion dans l’affaire qui oppose Saïd à Jiaoli. Après huit audiences, le prévenu a enfin donné sa version des faits hier.

Jiaoli était-elle naïve ou intéressée? La jeune femme est-elle prête à tout pour récupérer son argent, même à noircir exagérément son histoire d’amour avec le prévenu? Saïd est-il un fin manipulateur ou la relation qu’il a entretenue avec la jeune femme l’a-t-elle dépassé? C’est ce que la 13e chambre criminelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg cherche à déterminer depuis deux semaines. Les faits sont complexes, le contexte est trouble et, si la victime dit vrai, la personnalité du prévenu est hors norme. Sa défense, assurée par Mes Penning et Hellinckx, remet en question la crédibilité de la jeune femme.

«Elle se fait passer pour une pauvre malheureuse. Les travaux, on les a faits ensemble», assure le prévenu à qui la parole a enfin été donnée hier. «Elle est maligne, elle savait ce qu’elle faisait.» Le tribunal s’y perd. Le prévenu a du mal à se faire comprendre à la barre. Saïd prétend que «les rénovations de l’immeuble de la jeune femme à Junglinster ont été faites avec son accord», mais il n’y a pas de traces écrites de ces accords, à part un devis qui n’englobe pas la totalité des travaux. «On ne travaille pas comme cela. Même si vous étiez liés. Les affaires sont les affaires», s’emporte la présidente, qui ne comprend toujours pas où le prévenu veut en venir. Elle cherche à savoir si les sommes d’argent qu’il est soupçonné d’avoir extorquées à la jeune femme étaient destinées à payer les travaux réalisés dans ses immeubles et dans son restaurant pour lesquels il n’existe pas de contrats ou de devis. La jeune femme avait dit être ressortie exsangue de cette relation.

Jiaoli et Saïd affirment tous deux des choses pour lesquelles ils n’ont pas de preuves matérielles… jusqu’à présent. Le prévenu a retrouvé hier un e-mail contenant une procuration de juillet 2018 signée de leurs mains lui donnant, insiste-t-il, le droit de gérer les affaires de la jeune femme. Or, Jiaoli a toujours affirmé ne jamais lui avoir donné procuration pour gérer ses affaires. Quant à lui, rappelle la présidente, il aurait indiqué que cette procuration faisait partie des documents restés dans son bureau à Junglinster, que Jiaoli aurait vidé après son incarcération en détention préventive. Jiaoli accuse Saïd d’avoir empoché des loyers en liquide pendant qu’elle avait fui en Chine pour lui échapper et «sauver sa famille».

Après lecture du texte de ladite procuration, il s’avère que ce modèle «qui n’est pas signé» lui donne «le droit de la représenter pour un contrat d’huissier, donc pour une mission précise», note la juge. Ce qui semblait préfigurer un tournant dans l’histoire est retombé comme un soufflet. Saïd insiste et jure qu’une autre procuration existe et que la famille de la jeune femme l’aurait prié de s’occuper de ses affaires.

Le prévenu a insinué que sa victime présumée l’a utilisé, tout comme elle aurait utilisé l’ancien propriétaire du bâtiment de Junglinster. Elle aurait eu une relation personnelle avec cet homme «pour tirer un avantage financier», soit une partie du prix de vente au noir, selon lui. Celui qui, jusqu’à présent, avait le mauvais rôle dans cette affaire s’est présenté hier comme un amoureux éconduit, victime de mensonges de la part de la jeune femme qui aurait voulu le salir «pour ne pas prendre ses responsabilités».

Un procès-fleuve

Les liens commerciaux entre les deux anciens amoureux sont tellement complexes qu’il est difficile de s’y retrouver et que le prévenu peine à s’expliquer. À court d’arguments, il affirme que Jiaoli a incité certains témoins à l’enfoncer et à mentir. La juge lui reproche de ne pas avoir réagi ou de ne pas les avoir questionnés par le biais de son avocat lorsqu’ils témoignaient à la barre. Les débats tournent en rond. Les esprits s’échauffent et le ton monte dans la salle d’audience.

La présidente de la chambre criminelle lui reproche également «son manque de professionnalisme en tant que commerçant et de ne pas avoir fait de factures détaillées des travaux». Elle n’apprécie pas non plus qu’il apporte de nouveaux éléments à l’audience que les enquêteurs n’ont pas eu le temps de vérifier et déplore une perte de temps. Le procès, initialement prévu sur deux semaines, est entré hier dans sa troisième semaine et une date supplémentaire va sans doute devoir être ajoutée.

Imperturbable, les bras ballants, Saïd a continué de jurer être victime d’une manipulation. «Jiaoli a cherché des gens pour témoigner contre moi», conclut-il quand la juge tente de savoir qui était la femme qui l’a accompagné lors de la signature d’un bail avec un locataire alors que Jiaoli était en Chine. Tout le monde ment, conclut le prévenu dépité. Il aura encore l’occasion de s’expliquer cet après-midi.