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[Bande dessinée] Zep, auteur augmenté


Zep, ce n'est pas que Titeuf. Son nouvel album, Ce que nous sommes, est une fable écologico-politique sur l’humain augmenté et assisté. (Photo : tereze wysocki)

Créateur de Titeuf, le gamin à la mèche blonde et aux 25 millions d’albums vendus dans le monde, le Suisse Zep écrit et dessine aussi pour les adultes. À preuve, son nouvel et très réussi album Ce que nous sommes. Une fable écologico-politique sur l’humain augmenté et assisté. Rencontre.

En ouverture, dans les deux premières cases, le visage d’un jeune homme. Puis une baleine bleue. On lit : «Balaenoptera musculus. Le plus grand animal ayant vécu sur notre planète.» Le jeune homme la touche, il dit : «Il doit en rester une centaine… Celle-ci est magnifique.» Bienvenue dans le monde fantastique de Zep, 54 ans, né et résidant à Genève. C’est Ce que nous sommes, son quatrième et nouvel album dit «adulte», parce qu’on ne le dira jamais assez, le dessinateur et auteur n’est pas seulement le «père» de Titeuf, le gamin à la mèche blonde et aux 25 millions d’albums vendus dans le monde.

Zep (un pseudo en hommage à son groupe de rock référence, Led Zeppelin) est aussi l’auteur et le dessinateur de romans graphiques du meilleur niveau. Ainsi, avec Ce que nous sommes, album diablement maîtrisé tant pour le dessin que le scénario ou la colorisation, il offre une fable écologico-politique – et prévient lectrices et lecteurs : «Nous vivons dans une hypertechnologie que presque aucun individu n’est capable de comprendre ou maîtriser. On voulait faire un humain augmenté, on a créé l’humain assisté.» Et de pointer une société qui veut toujours plus, qui est prête à toutes les folies au nom du progrès jusqu’à envisager l’être humain avec deux cerveaux (le naturel dans la boîte crânienne, peu performant, et un externe, omnisavant mais dénué de toute sensation, de toute réflexion, de tout sentiment).

Et la catastrophe n’est pas loin quand Constant, le héros de Ce que nous sommes, se retrouve avec son cerveau numérique «hacké», déconnecté. Un mal pour un bien, puisqu’il devra, au prix d’aventures plus ou moins heureuses, retrouver ses propres capacités et revivre «à l’ancienne». Une rencontre exclusive avec un auteur qui ne prétend rien d’autre qu’être un observateur.

Ainsi, avec Ce que nous sommes, vous voilà auteur de science-fiction!

Zep : Je parlerai plutôt d’anticipation. C’est un genre que j’aime beaucoup en tant que lecteur. C’est une manière intéressante d’aborder des sujets actuels. On est là dans une quête identitaire alors qu’on arrive dans une époque de fin de civilisation. Dans ce genre de livre ou d’album, il y a la place pour une grande part d’imaginaire… Surtout que moi, je ne suis pas un scientifique.

Quelles sont vos influences dans ce domaine de l’anticipation, de la SF?

En premier, il y a le cinéma. Des films La Planète des singes de Franklin Schaffner sorti en 1968, Soleil vert de Richard Fleischer sorti en 1973 ou encore Blade Runner de Ridley Scott (1982). En bande dessinée, il y a eu les albums d’Enki Bilal et de Moebius, et en littérature, les livres de Philip K. Dick. Parce que j’ai toujours apprécié qu’on me raconte mon futur et que ça me fasse peur!

Justement, pour ce nouvel album, comment en avez-vous abordé l’aspect scientifique?

En Suisse, nous avons un grand scientifique, Pierre Magistretti. Biologiste réputé, il est aussi un grand vulgarisateur. Je lui ai demandé de lire mon scénario. C’est une fable, mais je voulais aussi voir jusqu’où mon histoire était crédible, tout en restant une fiction… Nous avons passé de nombreuses heures ensemble, je l’ai interrogé comme un journaliste réalisant une interview. J’avais entendu une information évoquant le Human Brain Project, en cours et censé s’achever en 2024. Rien moins qu’un énorme chantier doté d’un milliard de dollars (environ 800 millions d’euros) pour mettre au point une réplique numérique du cerveau humain. J’ai ainsi appris que, pour fonctionner, le cerveau humain dépense 12 watts alors que le cerveau Human Brain dépensera l’énergie de toute une ville! La finalité de ce projet? Créer l’humain augmenté. Et au final, pourquoi pas, l’immortalité…

Ce n’est pas un ouvrage scientifique, c’est une fable!

Comment vous est venue l’histoire de Ce que nous sommes?

J’ai laissé vagabonder mon imagination. D’ailleurs souvent, mes scénarios me viennent la nuit lors d’une insomnie. L’histoire se grave en moi, et elle n’arrive à son terme que seulement lorsque j’ai la fin! Alors, une nuit, est surgie une histoire avec une société où les personnes ont accès à un cerveau numérique. Mais l’une des personnes s’est fait pirater le sien. À son cerveau, on a substitué une machine. Elle est débranchée. Une catastrophe, cette personne augmentée était devenue une personne assistée.

Mais que va-t-il arriver au jeune homme prénommé Constant lorsqu’il sera débranché?

Il va d’abord être perdu, puis redécouvrir nombre de sensations. Je le répète, ce n’est pas un ouvrage scientifique, c’est une fable! Qui évoque l’humain du futur, de plus en plus assisté. Aujourd’hui, je ne suis pas plus intelligent qu’avant mais en moins d’une seconde, j’ai réponse à quasiment toute question… Mais dans le même temps, la génération de mes enfants a perdu la concentration. Et se pose déjà la question sur le devenir de notre espèce. Tout cela est fascinant pour l’auteur et, en même temps, terrifiant pour l’homme. Avec Ce que nous sommes, j’ai raconté un effondrement.

Dans cet album, vous imaginez des personnes avec deux cerveaux : l’humain dans la boîte crânienne et le numérique en externe. D’autres vont jusqu’à envisager d’implanter une puce dans le cerveau humain…

Avouez que c’est fascinant, surtout pour un auteur. Mais franchement, pour l’humain, c’est effrayant. On espère, et on fait tout pour, aller vers une humanité augmentée mais on va vers une humanité diminuée. On est de plus en plus aidé, assisté par des machines. On leur abandonne toutes nos capacités. Et dire que c’est nous, les humains, qui les avons développées!

On espère aller vers une humanité augmentée, mais on va vers une humanité diminuée…

Moi, Titeuf, 30 ans

Comment vous définiriez-vous?

Je fais un métier d’observateur… et je m’interroge : quel nouveau projet avons-nous pour l’humanité? Nous savons observer mais nous avons perdu toute capacité d’anticipation.

Ce que nous sommes, de Zep. Éditions Rue de Sèvres.

Donc, l’histoire est certifiée véridique : après la publication de quelques albums de BD, Zep «dessine des souvenirs d’enfance dans un carnet» et griffonne le croquis d’un personnage. Peu après, en mars 1992, le personnage devient Titeuf, le gamin de huit, peut-être dix ans à la mèche blonde. Il y a une première planche dans le fanzine Sauve qui peut. Un patron des éditions Glénat le repère et lui propose de l’éditer. Ce sera la publication de Dieu, le sexe et les bretelles.

L’affaire continue depuis 30 ans, on en est actuellement à 17 albums des aventures de Titeuf et de ses copains-copines, le dernier en date, La Grande Aventure, étant paru en 2021. «À ce jour, confie Zep, on a dû vendre plus de 25 millions d’albums, traduits dans une trentaine de langues.» En trois décennies, Titeuf est devenu «une petite entreprise qui ne connaît pas la crise» avec les albums, mais aussi les «one shot», les séries animées, un film (en 2011) et les produits dérivés.

Son père créateur travaille, ces temps-ci, sur la manière dont il lui fêtera ses 30 ans. Ainsi, le dessinateur annonce au Quotidien toute une série d’événements pour cet anniversaire, dont la parution, l’automne prochain, d’un Livre d’or Titeuf. «Il y aura aussi, ajoute Zep, des expositions et aussi de nouveaux produits dérivés!».

La question alors s’impose : à quand un 18e album avec Titeuf? Zep : «J’y travaille, parce que Titeuf n’est jamais très loin de moi. Une chose est sûre : ce nouvel album qui devrait arriver l’année prochaine.» En attendant ce nouvel album du gamin à la mèche blonde, on peut regarder le ciel – peut-être y apercevra-t-on l’astéroïde 238817 baptisé Titeuf… en hommage au personnage «zeppien»!
S. B.