Acteur essentiel de la chanson francophone, Jean Guidoni dévoile un seizième album, Avec des si. Douze chansons tout en élégance et en raffinement pour un chanteur qui se présente «homme sans importance» mais qui assure : «Je suis en vie!».
Il fut un temps où, jambes gainées dans des bas résilles et visage maquillé de blanc, on mourait à Venise dans l’orage d’un bordel. Il y avait du rimmel, c’était amoureusement cruel. Et puis, en ce printemps 2022 naissant, à bientôt 70 ans, Jean Guidoni revient. Un nouvel album, le seizième, joliment titré Avec des si. Douze chansons d’élégance, de raffinement. De désespoir, d’espoir. Du dramatique, jamais du tragique. Et, une fois encore, le rappel et la preuve qu’il est, avec près de cinquante ans de carrière sur le CV, l’un des acteurs principaux de la chanson francophone.
Longtemps inspiré par le Cabaret berlinois, il fut catalogué marginal ou«chanteur noir» qui peut effrayer. «Je voudrais être, j’ai juste été», chante-t-il dans Revoir l’été, lui qui, dans une autre chanson, se présente comme «un homme sans importance parmi des gens sans importance». Avec Arnaud Bousquet pour les textes et Didier Pascalis pour les musiques et la production, Jean Guidoni décline une vie et un monde «avec des si», un monde où il n’a pas vieilli, juste vécu.
De la nostalgie, certainement pas chez Guidoni – plutôt de la mélancolie assaisonnée au bonheur. Comme personne, il sait jouer dans les registres de l’intimité et de l’ivresse. Et à celles et ceux qui, à Paris et ailleurs, l’avaient mis de côté, il lance : «Je reviens, tout recommence, ici / Paris, je suis en vie». Une rencontre exclusive avec un chanteur d’importance.
Vous voici de retour! Un seizième album, cinq ans après Légendes urbaines. Avec vous, l’urgence serait-elle un vain mot?
Jean Guidoni : En novembre 2019, j’arrivais en fin de cycle pour les Légendes urbaines. Et franchement, je n’étais pas vraiment pressé de faire un nouvel album, d’autant que dès le début 2020, sont apparus la crise sanitaire puis le confinement. Il n’y avait pas d’urgence! Avec Didier Pascalis (producteur et compositeur), on s’est dit : « On va commencer à écrire des chansons, on verra ce qu’il se passe ». On a rencontré Arnaud Bousquet, il écrivait dans son coin mais n’avait jamais travaillé pour un chanteur. La rencontre s’est bien passée, j’ai été touché par sa sensibilité.
De quel album aviez-vous envie? Comment l’imaginiez-vous?
Je ne voulais pas d’un album tape-à-l’œil. Je souhaitais un album simple, quelque chose d’épuré. Un piano, un violoncelle… Pour éprouver simplement le plaisir de la création.
Preniez-vous un risque en vous lançant dans une collaboration avec une personne totalement nouvelle?
Mais quand j’ai confiance, je laisse faire les choses. Et ça a été le cas avec Arnaud Bousquet. Il m’a présenté deux textes, Sans Dabadie et Un homme sans importance. J’ai toujours fonctionné ainsi : quand il y a du négatif dans un ensemble, je le prends aussi! Mais immédiatement, j’ai senti dans ses textes beaucoup de bienveillance. Il y a une grande générosité dans son écriture. Et ça a fonctionné parce que, moi, je n’ai pas d’ego d’auteur!
Depuis bientôt cinquante ans, vous avez chanté les mots de Pierre Philippe, Allain Leprest, Jean Rouaud, Marie Nimier…
…Et c’est très intéressant en tant qu’interprète. Je dirai même que c’est plus intéressant de chanter les mots des autres parce qu’on est enrichi par le regard des autres. Mais quand j’ai un texte, il faut que j’en comprenne la logique.
En ouverture de ce seizième album, il y a Avec des si…
Elle correspond bien à ce que chacun vit : j’avais envie mais pas à tout à prix. Et qu’est-ce que j’attends? Les rêves sont ainsi… et depuis quelques années, cette sensation qu’il faut repartir sur autre chose. C’est une remise en question totale!
Depuis toujours, on vous dit théâtral. Vous répondez que vous n’envisagez pas la chanson sans la scène. Pourquoi?
J’ai toujours estimé qu’être sur scène, c’est magique! Et je suis toujours aussi heureux d’y aller, même si je suis bouffé par le trac. Dans cette affaire, il y a quelque chose de follement enfantin. De formidable, également. Mais attention, pas question qu’on me sorte de la scène, je préfère partir avant d’être pathétique!
Vous avez été catalogué très rapidement comme un chanteur réaliste. Est-ce justifié?
Oui, c’est vrai, je fais de l’ »acting » sur scène. J’aime incarner les mots, raconter, et ce n’est pas loin de ce que fait l’acteur. Pour moi, la chanson, c’est une émotion. Alors, je laisse aller mes sentiments!
Longtemps, vous avez été également considéré comme un chanteur de la marge. De vous, on disait que ce n’est jamais gris, c’est blanc ou noir…
Mais rassurez-vous, je suis toujours aussi radical dans ma tête. Simplement, je n’aime pas les conflits. On ne convainc jamais personne, et depuis quelque temps, j’ai quitté Paris, je vis à la campagne, ça m’a un peu apaisé, ça relativise nombre de choses.
On vous dit aussi chanteur culte…
Ça, très franchement, je ne m’en suis pas aperçu! Je veux seulement dire des choses radicales de manière naturelle.
Jean Guidoni, chantre du désespoir?
Si j’ai été désespéré ou si je le suis, j’ai toujours essayé que ce le soit avec humour! En fait, j’adorerais chanter une chanson gaie! Mais surtout, j’ai horreur de déranger. Dans la vie, je parle rarement de moi, je préfère écouter les autres…
Vous bouclez ce nouvel album avec Paris je suis en vie. Est-ce un avertissement à celles et ceux qui vous ont rangé dans l’armoire aux souvenirs?
C’est surtout un hymne à la vie. Le message d’espoir d’un homme qui voudrait être, et qui a juste été.
Avec des si, de Jean Guidoni.
Je préfère quitter la scène avant d’être pathétique
En fait, j’adorerais chanter une chanson gaie!
Six albums indispensables
Je marche dans les villes (1980)
Après deux premiers albums en 1977 et 1978, Jean Guidoni découvre la chanteuse allemande Ingrid Caven – égérie du cinéaste Rainer Werner Fassbinder, et rencontre Pierre Philippe qui devient son parolier. De ce troisième album pour lequel Guidoni recevra le prix de l’Académie Charles-Cros, transpirent angoisses et blessures, solitude, homosexualité et désespoir. Et avec la «cultissime» Djemila.
Crime passionnel (1982)
Pour ce quatrième album, les dix chansons ont été écrites par Pierre Philippe (qui porte là la chanson au rang de poésie) et composées par Astor Piazzola. L’un des albums de Jean Guidoni les plus fameux avec une thématique unique : un opéra pour un homme seul, porté par une musique tout en sensualité.
Tigre de porcelaine (1987)
Septième album. Et c’est une première : Pierre Philippe n’a pas écrit, donc Guidoni s’est mis à l’écriture, seul ou avec un co-auteur (le romancier Alain Lacombe). Longtemps, on reprochera au chanteur d’avoir «commis» un album «grand public» avec, entre autres, Tramway terminus nord ‑ «mon succès commercial», assure le chanteur. Il reçoit, pour la seconde fois, le prix de l’Académie Charles-Cros.
Trapèze (2004)
Onzième album. Jean Guidoni doutait – «on est venu à moi», confiait-il. Des paroliers (le chanteur Christophe Mali, les romanciers Marie Nimier et Jean Rouaud) et une musicienne (Édith Fambuena). Finie, la flottaison entre le noir et le rose, c’est un album franc et rectiligne. Des temps forts d’élégance et d’amplitude, dont Je reviens de loin, Thé de Chine ou Trapèze.
Paris-Milan (2014)
Pour ce quatorzième album avec des musiques de Romain Didier pour douze chansons inédites, Jean Guidoni rend hommage au parolier et interprète Allain Leprest (1954-2011). Évoquant ce nouvel album, un critique écrit : «Il est une force dans l’univers de la chanson. Radical et d’un style passionnel».
Légendes urbaines (2017)
Quinzième album et le retour à l’écriture pour Jean Guidoni. Il est l’auteur des treize chansons, et s’en explique : «Écrire pour soi, un exercice qui me manquait peut-être, qui me manquait sûrement». C’est aussi la rencontre avec un compositeur, Didier Pascalis.