Simone Beissel, députée libérale, est la rapporteuse du chapitre consacré aux droits et libertés. Pour cette férue de droit constitutionnel, les récentes critiques de la Commission consultative des droits de l’homme ne sont pas fondées.
Vous avez passé des années à peaufiner cette révision constitutionnelle, et plus particulièrement le chapitre droits et libertés dont vous êtes la rapporteuse. Que vous inspirent les manifestations régulières organisées pour défendre des libertés bafouées, selon les participants ?
Simone Beissel : Naturellement, cela ne me fait pas plaisir, mais comme je suis très large d’esprit, je me dis simplement que tous ces gens qui appellent à la liberté, au référendum, et qui dénoncent une dictature, n’ont jamais ouvert la Constitution et ne savent pas ce qui s’y trouve. Ils se laissent influencer par des personnages publics qui leur répètent ce qu’ils veulent entendre. C’est d’actualité.
Ce qui est inquiétant, c’est de voir le cheminement de tout ce mouvement qui part des antivaccins pour aboutir aux antisystèmes. J’ai l’impression qu’il y a une révolte générale qui pourrait tout aussi bien être déclenchée pour un rond-point mal placé. C’est un peu notre rôle d’être attaqué, mais ces manifestations ne m’empêchent pas de dormir.
Finalement, l’ancienne Constitution a été remise au goût du jour. Avez-vous beaucoup innové dans votre chapitre sur les droits et libertés ?
Disons que nous avions fait un texte agréé par les quatre grands partis représentés à la Chambre et tout a capoté après les élections. Le CSV proposait alors de conserver la vieille Constitution de 1868 et d’y insérer des éléments nouveaux tirés de l’ancien projet de loi. Ce qui signifiait un travail énorme parce que cette Constitution n’a que 121 articles et il fallait un contenu beaucoup plus volumineux.
Dans mon chapitre seul, j’ai déjà douze nouveaux droits qu’il fallait quand même caser entre l’article 9 et l’article 31. J’ai beaucoup travaillé, notamment sur les considérations générales et les commentaires des articles pour expliquer les choses de façon claire. Une Constitution n’est seulement bonne que si elle est claire, limpide et concise.
Il faut y mettre des principes généraux et laisser à la loi le soin de régler tous les détails. La nôtre n’aurait jamais tenu aussi longtemps si elle avait été formulée de façon super vague! Nous avons gardé le même esprit et nous avons beaucoup innové.
En mettant de l’ordre dans les chapitres ?
Nous avons trois rubriques, les droits fondamentaux qui sont complètement bétonnés, les libertés publiques qui peuvent être modifiées par le législateur sous certaines conditions et les objectifs à valeur constitutionnelle, comme le droit au logement et le droit au travail.
Ici, nous avons puisé dans les Constitutions française, suisse et autrichienne et comme j’ai eu la chance de participer en tant que membre luxembourgeoise à l’élaboration de la Charte des droits fondamentaux à Bruxelles, avec Ben Fayot et Paul-Henri Meyers, cela nous a beaucoup inspirés pour moderniser notre texte.
Les objectifs à valeur constitutionnelle, ce sont des visions politiques pour inviter les gouvernements successifs à agir pour se rapprocher sinon atteindre ces objectifs.
L’avis de la Commission consultative des droits de l’homme (CCDH), publié récemment, se montre plutôt sévère envers votre travail et parle d’occasions manquées. Elle critique d’ailleurs votre catégorisation des droits et libertés…
J’ai encore relu cet avis et je dois dire que je ne comprends pas leur démarche. Notre catégorisation a été agréée par tous les avis du Conseil d’État, par la Convention de Venise, et alors que nous avons clarifié les choses, je ne peux pas suivre leur raisonnement.
Une autre de leur critique a trait à la supériorité des traités internationaux dont certains articles auraient pu figurer dans la Constitution. La CCDH indique dans son avis que le juge luxembourgeois refuse parfois d’appliquer les droits consacrés au niveau international. Une critique fondée ?
Ils ont totalement tort. J’étais sidérée parce que nous sommes depuis de très longues années comme beaucoup d’autres pays dans le système moniste qui reconnaît justement la supériorité directe des traités internationaux et européens. Ou bien nous gardons une Constitution élégante et pas trop volumineuse, ou alors nous prenons tous les droits contenus dans les chartes et les conventions et on arrive à 300 articles.
C’est inutile puisque nous avons un lien d’allégeance ferme et définitif vis-à-vis de l’acceptation de la supériorité de tous les textes internationaux. Dans les considérations générales, j’ai expressément fait référence à tout ce qui touche aux droits de la défense, au délai raisonnable, au procès équitable et j’en passe, pour dire que l’on accepte ces textes internationaux sans avoir à les recopier.
Tous les juges suivent ces textes, sinon il y aurait des contestations tous azimuts pour non-respect des textes. Je ne sais pas d’où provient cette affirmation concernant le juge luxembourgeois, mais elle est fausse.
Vous avez introduit le droit d’asile pourtant, qui est couvert par la Convention de Genève signée par le Luxembourg…
Pour marquer notre modernité. Nous avons introduit le droit d’asile qui est issu d’une convention onusienne, rien à voir avec la Charte des droits fondamentaux et la Convention des droits de l’homme. Nous l’avons inscrit dans notre Constitution pour que tout le monde sache qu’on y tient.
Nous n’avons rien inventé, nous avons tout fait contrôler
Le droit de fonder une famille vous a donné du fil à retordre. Vous avez dû édulcorer le texte…
Nous avons dû effectivement remodeler cet article. Nous avions courageusement écrit que toute personne avait le droit de fonder une famille, mais l’ADR a déclenché une telle émeute dans une réunion publique en nous accusant de vouloir détruire la famille traditionnelle que nous avons dû préciser les choses.
Nous sommes quatre partis et nous avons essayé de trouver le consensus le plus large, mais aussi avec les autres partis. Disons qu’avec l’ADR de Fernand Kartheiser, c’est un peu plus difficile. Il est arrivé dans les premières réunions en disant qu’il découvrait le droit constitutionnel et après cinq réunions, il était devenu un expert constitutionnaliste. Pour en revenir au sujet, nous avons vraiment placé la famille et les enfants au cœur de nos préoccupations.
Là encore, la CCDH vous reproche d’avoir consacré l’intérêt de l’enfant mais pas l’intérêt supérieur de l’enfant. Elle chipote ?
Je suis avocate et j’ai plaidé mille affaires où la jurisprudence a arrêté l’intérêt supérieur de l’enfant. Mais si on inscrit « supérieur » c’est par rapport à quoi ? Aux désirs des parents ? Nous avons inscrit l’intérêt de l’enfant d’une manière générale et je crois que l’on peut vivre avec ça.
La consultation citoyenne vous a beaucoup inspirée aussi et pas seulement pour le droit des animaux…
La garantie de l’accès à la culture, la sauvegarde du patrimoine, la liberté de la recherche scientifique… Nous avons une loi sur la protection des animaux qui définit l’animal comme un être non humain doté de sensibilité.
Cela n’interdit pas l’abattoir ni la chasse. Cela étant dit, j’aime les animaux pour avoir des chiens et des chats et j’étais ravie d’inscrire cet article dans la Constitution.
La CCDH est étonnée également que soit perpétuée une différence entre Luxembourgeois et étrangers…
Alors cela me chagrine aussi. Le fait est que tous les Luxembourgeois sont égaux devant la loi. Il est aussi indiqué que toute personne qui se trouve sur le territoire luxembourgeois bénéficie des mêmes droits et de la même protection que les Luxembourgeois.
Je suis désolée, mais je pense que la CCDH n’a pas vu ce détail. Je l’ai encore vérifié, parce qu’en lisant cet avis j’ai été prise de gros doutes. Mais non, cette Constitution n’entraîne aucune discrimination et ne fait courir aucun risque à personne. Nous n’avons rien inventé, nous avons tout fait contrôler.
Le droit transversal c’est quoi ?
Les droits fondamentaux sont bétonnés, c’est-à-dire les grands principes de notre civilisation. Ensuite, nous avons les libertés publiques que le législateur peut retravailler, mais pour les restreindre nous avons posé cette clause transversale très sévère, recopiée telle quelle de la charte des droits fondamentaux.
Elle dit que toute limitation de l’exercice des libertés publiques doit être prévue par la loi et respecter leur contenu essentiel, c’est-à-dire que l’essence de cette liberté publique ne peut pas être modifiée.
Que ressentirez-vous à la tribune de la Chambre quand vous présenterez enfin ce chapitre important sur les droits et libertés ?
Ce sera une date historique. C’est Georges Margue qui a commencé en 1995 à parler de moderniser la Constitution. Ce n’est que dix ans plus tard que l’on a décidé de franchir le pas et de tout remettre sur le métier. Ce sera donc un grand honneur et un grand plaisir. Je peux vous dire que j’ai travaillé comme une folle les derniers mois et même très souvent la nuit, pour tout contrôler.
J’ai relu les Constitutions étrangères, j’ai échangé avec des amis constitutionnalistes, bref, j’ai travaillé mon sujet à fond et parfois un peu seule aussi. Les jeunes juristes s’intéressent davantage au droit des affaires, mais pour s’intéresser au droit constitutionnel, il faut avoir le feu sacré. On aime ou on déteste. Moi c’est mon dada, par chance.
Et puis on a une bonne équipe très bien conseillée dans les autres partis. C’est aussi pour cela que je m’énerve contre Fernand Kartheiser parce qu’il remet en cause tout ce travail et diffuse des informations totalement fausses. Je ne laisse plus rien passer et je rétablis les faits.
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