Les ministres français et britannique de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve et Theresa May, sont venus jeudi ensemble à l’entrée du tunnel sous la Manche signifier « qu’on ne peut pas passer la frontière » entre les deux pays, alors qu’une très forte pression migratoire s’exerce sur l’Union européenne, notamment à Calais.
Les deux gouvernements ont rendu public en même temps un nouveau plan axé sur la sécurité à l’entrée du tunnel, mais comprenant aussi un volet humanitaire pour les migrants « les plus vulnérables » financé à hauteur de 10 millions d’euros sur deux ans par les Britanniques, dont l’essentiel de l’effort portait jusqu’à présent sur l’aspect répressif.
Plusieurs partis politiques ont critiqué cet accord. Depuis début juin, neuf migrants au moins sont morts, selon la préfecture, en tentant de gagner l’Angleterre. Signe de la détermination européenne, le Premier ministre français Manuel Valls viendra à Calais le 31 août, accompagné des deux commissaires européens spécialisés, Frans Timmermans et Dimitris Avramopoulos.
« Il faut qu’un signal très fort soit envoyé ici à Calais qu’on ne peut pas passer la frontière que nous gérons en commun, dans le cadre d’une coopération absolument exemplaire entre nos deux pays. Les passeurs doivent savoir qu’il n’y a pas de passage possible ici à Calais », a insisté Bernard Cazeneuve, dès son arrivée sur le site d’Eurotunnel avec Mme May. Celle-ci a loué « la coopération de grande qualité » avec Paris dans ce dossier.
Des résultats significatifs ont déjà été obtenus avec la division « par dix », selon M. Cazeneuve, des tentatives d’intrusion dans le tunnel, tombées de quelque 2000 quotidiennement fin juillet à 100 à 200 ces derniers jours.
Le duo s’en est pris surtout aux « gangs criminels » de passeurs qu’il faut « briser », a lancé Mme May, M. Cazeneuve stigmatisant un « trafic abject qui conduit à des tragédies humaines, des morts ».
Les deux ministres ont visité dans la matinée la salle de contrôle de sécurité de l’immense site d’Eurotunnel, dont ils ont salué l’action en matière de sécurité, et rencontré les forces de l’ordre des deux pays. A Calais même, ils ont échangé avec les élus locaux et se sont fait expliquer le fonctionnement du centre d’accueil Jules Ferry, qui jouxte le camp sauvage de la « New Jungle » et ses 3000 migrants à l’écart de la cité.
Sur le plan humanitaire, l’accord franco-britannique prévoit, grâce à une rallonge de 10 millions d’euros, d' »intensifier l’observation » des migrants pour « identifier les plus vulnérables et les victimes potentielles de la traite », et d’offrir « des capacités de logement ». Cela concerne d’abord femmes et enfants.
Les migrants bénéficient d’un accueil de jour avec douches et repas au centre Jules-Ferry, et des places de nuit sont réservées aux femmes et enfants. Mais la situation des migrants vivant dans la « New Jungle » qui s’est développée sur la lande voisine est si dégradée que, début août, le Haut commissariat aux réfugiés des Nations unies a réclamé à la France un plan d’urgence « global ».
Pour les demandeurs d’asile, Londres « apportera une aide (…) pour la mise en place d’hébergements dédiés, situés à une distance significative de Calais ». Il s’agit aussi de « diminuer la pression migratoire » localement.
Côté sécurité, la Grande-Bretagne va aussi apporter « des moyens sophistiqués », a affirmé M. Cazeneuve dans une conférence de presse avec Mme May. « Davantage de vidéo-surveillance » entre autres, a-t-elle précisé. Une nouvelle salle de contrôle va être créée et des équipes supplémentaires de fouille du fret seront déployées 24h/24 et 7 jours/7 pour réduire le nombre de passagers en situation irrégulière ».
Pour lutter contre les réseaux de passeurs, les policiers et les autorités de contrôle des frontières « s’engagent à renforcer encore davantage leur collaboration opérationnelle ». Un « commandement unifié » sous la houlette des hauts responsables visera à « dissuader et éradiquer les activités criminelles » des passeurs, et l’échange de renseignement sera favorisé.
La sécurité a déjà été fortement renforcée sur le site, avec l’installation de nouvelles clôtures et l’arrivée de renforts policiers. Grâce à un renfort de 500 membres des forces de l’ordre fin juillet, « 1300 policiers français sont mobilisés » fin juillet, selon le ministre français.
Enfin, une « équipe conjointe » pour éloigner les migrants illégaux sera mise en place, avec une contribution financière du gouvernement britannique pour mettre en oeuvre les vols retour. Bernard Cazeneuve devait dans la foulée se rendre à Berlin pour rencontrer dans la soirée son homologue Thomas de Maizière, qui a annoncé mercredi que l’Allemagne attendait cette année « jusqu’à 800 000 demandeurs d’asile », un record absolu pour ce pays de 81 millions d’habitants.
« C’est un vrai défi que nous allons surmonter », a-t-il affirmé, en assurant que l’Allemagne « n’est pas débordée ». En juillet, le nombre d’arrivées de migrants sur les côtes européennes a atteint le niveau record de 107.500, soit un triplement sur un an, selon l’agence européenne Frontex.
AFP
L’ONU salue l’accord
Le Haut-Commissaire de l’ONU pour les réfugiés (HCR) a salué jeudi l’annonce du plan d’action franco-britannique visant à renforcer la coopération des deux pays face à l’afflux de migrants et réfugiés qui souhaitent traverser la Manche. « Je me réjouis de l’approche prise d’un commun accord par les deux gouvernements en réponse à la situation complexe à Calais », a déclaré le Haut-Commissaire, Antonio Guterres, dans un communiqué. « Je salue en particulier les mesures de protection et humanitaires annoncées, qui reconnaissent à la fois l’importance de la lutte contre le trafic d’êtres humains et contre l’exploitation d’individus vulnérables », a-t-il dit.
« Dans ce contexte, il est important de noter qu’afin de lutter efficacement contre les passeurs et les trafiquants, nous devons augmenter le nombre de recours légaux disponibles pour que les personnes nécessitant une protection puissent se rendre en Europe », a-t-il ajouté. D’après M. Guterres, « nombre des personnes arrivées à Calais depuis l’Afghanistan, l’Erythrée, la Somalie, le Soudan et la Syrie pourraient être éligibles à la protection internationale ».
Le HCR salue « plus spécifiquement (…) les mesures proposées afin d’améliorer les conditions de vie et d’accueil dans le Nord-Pas-de-Calais et dans d’autres régions, ainsi que les efforts entrepris pour faire face aux problèmes de l’accès à l’asile et à l’hébergement ».