Le musée plonge dans le Paris artistique de la fin du XIXe siècle avec l’histoire insolite d’une jeune émigrée luxembourgeoise, modeste domestique qui assemblera une petite collection, léguée plus tard à la Ville de Luxembourg.
Au son du piano et du bruit des adieux en gare, la Villa Vauban marie la grande et la petite Histoire. L’universel et l’intime. Dans le dernier quart du XIXe siècle, «de nombreux jeunes quittent le pays», rappelle Guy Thewes, son directeur-historien, dépeignant un Luxembourg alors en phase d’industrialisation, mais «encore fortement rural» et impacté par un important «essor démographique». C’est le cas d’une certaine Élise Hack (1860-1933) qui, avec sa sœur, décident de tenter sa chance à Paris en 1880.
Elle a vingt ans, quitte Echternach pour travailler en tant que bonne, probablement coincée pour un long moment dans une mansarde au 6e étage, comme c’est le cas pour beaucoup d’entre elles. Pourtant, quelques années plus tard, la voilà à la tête d’une petite collection, soit une quarantaine de tableaux, dessins, gravures, sculptures, dont elle fera don à la Ville de Luxembourg. Une ascension sociale et culturelle permise par une rencontre : celle avec Henry Havard (1838-1921), l’homme qui l’a embauchée.
Une étonnante histoire que le musée cherche à reconstruire ici, non sans mal. «Cette femme reste un mystère : on n’a pas de photos d’elle, ni de lettres privées, explique Guy Thewes. On a essayé de contacter la famille, mais il n’y a plus de documents.» Reste cette correspondance (entre 1905 et 1922) avec les différents bourgmestres de Luxembourg (Alphonse Munchen, Luc Housse, Gaston Diderich), retrouvée dans les archives, à qui elle propose justement d’offrir ses œuvres à la Ville, à l’instar d’anciens donateurs de prestige comme Jean-Pierre Pescatore, Léon Lippmann et Eugénie Dutreux-Pescatore.
Elle était un peu tombée dans l’oubli mais là, on corrige le tir !
Une «découverte» qui n’en dit pas plus sur la personnalité d’Élise Hack, en dehors de sa modeste condition, ses dix frères et sœurs, ses envies d’ailleurs. Au musée, elle reste d’ailleurs matérialisée sous la forme d’une ombre. Même le costume de domestique d’époque à la Mary Poppins, qui patiente à l’accueil de l’exposition, reste irrémédiablement vide. Henry Havard, lui par contre, est bien connu. Célèbre critique et historien de l’art, ainsi qu’inspecteur général des Beaux-Arts, «c’est un personnage important à Paris», soutient le directeur.
Très présent sur la scène artistique parisienne et membre du jury de nombreuses expositions, «spécialisé dans les arts décoratifs et la peinture néerlandaise», il se liait d’amitié avec beaucoup d’artistes du cru, comme en témoignent les dédicaces qui lui sont adressées sur les tableaux de sa collection. Mais Élise n’est pas en reste, et elle aussi a des toiles en son nom. C’est que, pour des raisons obscures – «on ne sait pas ce qui s’est passé réellement entre eux deux», lâche Guy Thewes –, la gouvernante est devenue maîtresse de maison, puis une confidente et la compagne d’une vie (Henry Havard était veuf), sans qu’aucune relation amoureuse ne soit toutefois établie.
De cette relation au parfum de «conte de fée», où respect et bienveillance remplacent le mot amour, il en ressortira deux collections, ici rassemblées comme dans un symbole d’harmonie retrouvée. Celle d’Élise Hack est exposée pour la première fois dans sa totalité, après des efforts de restauration. «Elle était un peu tombée dans l’oubli mais là, on corrige le tir !», se rassure le directeur des Musées de la Ville. Elle se mélange donc à celle de Henry Havard, en partie échappée du musée des Ursulines de Mâcon, ainsi qu’à une sélection d’autres œuvres d’artistes présents dans la double collection, «afin de mieux mettre en avant l’effervescence artistique parisienne de l’époque», comme l’explique le musée.
Parmi ceux-ci, on peut notamment citer Jean-Baptiste Olive (1848-1936) et Jean Laronze (1852-1937), spécialisés dans la peinture de paysages, Jean-Jules-Henri Geoffroy (1853-1924), nommé «peintre officiel de l’école» par le ministre de l’Instruction publique ou encore Félix Bracquemond (1833-1914) et Léopold Flameng (1831-1911), considérés comme des pionniers du renouveau de la technique de la gravure en France. Des noms qui, aujourd’hui, ne disent plus forcément grand-chose. Idem sur le marché de l’art où ils n’ont plus la côte.
Cependant, du vivant du couple singulier, ces peintres et sculpteurs, caractéristiques de l’art officiel de la IIIe République, occupaient le devant de la scène artistique. Ils recevaient beaucoup de commandes, et leurs œuvres étaient primées au Salon de Paris, calées sur les goûts d’une bourgeoisie «peu encline aux avant-gardes», précise encore Guy Thewes. Les historiens de l’art Gérald Schurr et Pierre Cabanne ont même trouvé une appellation à ce groupe composite : les «Petits Maîtres de la peinture».
Ici, en effet, ce n’est pas le style, ni l’audace qui marquent. Les genres et sujets présents dans les œuvres sont communs (natures mortes, tableaux historiques, paysages, portraits d’enfants…), et leur exécution n’a rien d’ébouriffant. L’exposition a une autre intention, qui s’observe jusque dans son titre («À Élise») : insister sur la relation amicale qu’entretenait le duo avec ces artistes. Des «signes d’amitié, de convivialité» visibles à travers les dédicaces personnelles. Il ne s’agit donc pas de collection au sens propre du terme, car celle-ci ne répond à aucun calcul. Juste des «cadeaux» qui, au fil des années, s’amassent et s’édifient.
Un lien «très étroit» qui ramène, une fois encore, au surprenant tandem. Élise Hack, qui a partagé la vie sociale de Henry Havard, s’intéressant à ses goûts et à ses travaux, est finalement devenue sa légataire universelle. Elle le rejoindra même, fidèle, dans sa tombe au cimetière de Vincennes. Une «belle histoire» qui n’a pas encore livré tous ses secrets. Mais Guy Thewes ne désespère pas : «Si ça se trouve, durant l’exposition, des gens vont nous en apprendre plus sur elle !» Ne serait-ce, au moins, que pour mettre définitivement un visage sur cette collection.
Grégory Cimatti
«Pour Élise», Villa Vauban – Luxembourg. Jusqu’au 10 octobre.